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Outrage et Rébellion
Catherine Dufour
Denoël, Lunes d’Encre, roman (France), science-fiction, 386 pages, Mars 2009, 19€

En 2320, dans l’ouest de la Chine, les élèves de la pension des Conglin s’ennuient dans leur prison dorée. Le plus enragé d’entre eux, Marquis, réinvente une musique pleine de colère, qui va fédérer les élèves et les pousser à se révolter contre les surveillants.
Puis Marquis fuit la répression et se réfugie dans les sous-sols de Shanghai…



« Outrage et Rébellion » se situe dans le même futur que « Le Goût de l’Immortalité » (disponible chez Mnémos et Livre de Poche), avec lequel Catherine Dufour a récolté toutes les récompenses de l’imaginaire francophone : prix Rosny Aîné, Grand Prix de l’Imaginaire, prix Bob Morane, Grand Prix de la Science-Fiction française.

Ce livre est monté comme un documentaire, avec une succession d’intervenants qui nous parlent de leur vie et du choc éprouvé avec la découverte de Marquis et de sa musique. On est loin du roman traditionnel, mais cette construction -avec générique de fin !- sert bien l‘histoire et renforce son propos.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que « Outrage et Rébellion » ne laisse pas insensible et divisera sûrement le lectorat : soit on aime, soit on déteste. Un extrême ou l’autre pour ce roman coup-de-poing qui ne transige pas et ne nous épargne rien. Il nous jette notre merde à la gueule et, même si ça ne nous fait pas toujours plaisir, on se la prend en pleine face, sans pouvoir se la voiler.
Catherine Dufour n’aurait fait les choses qu’à moitié, se serait censurée pour arrondir les angles et ne pas heurter les sensibilités, qu’« Outrage et Rébellion » aurait perdu de sa force et n’aurait pas fonctionné. Il faut taper là où ça fait mal et l’auteure l’a très bien compris.

Loin du rythme lent de « Le Goût de l’Immortalité », ici elle nous la joue efficace. Impossible de passer à côté du malaise ambiant, chacun des protagonistes nous expose son rejet d’une réalité sans perspectives. Autant la fuir en prenant tout ce qui lui tombe sous la main, même si sa santé en pâtit. Et tous ils sont presque toujours défoncés, car l’essentiel est l’évasion, l’oubli qu’aucun avenir ne s’ouvre devant eux.
Que ce soient les Ruinés aux riches “parents”, les Rats, les Acteurs ou les étudiants de Dixia Yixia, le sexe le plus débridé les anime et ils s’injectent ou ingèrent les pires saloperies. Tout est bon à prendre, c’est leur façon d’exister.
Dans ce milieu, Marquis se démarque par une attitude encore plus jusqu’au-boutiste : sur scène il n’hésite pas à se mutiler, à faire pisser le sang, à défaut de pisser tout court sur le public qu’il insulte copieusement. Et l’assistance aime ça, elle se sent vivre. Marquis crie sa rébellion dans ses chansons, crée l’évènement et plante les germes de la révolte. D’autres groupes se montent, entretiennent et abreuvent cette flamme. Dans son périple à travers le pensionnat, puis les caves pour finir dans la suburb, Marquis sert de détonateur ; son cri et sa haine face à l’injustice rallient les oubliés d’un Shanghai du futur.
L’histoire, c’est surtout la prise de conscience que les choses peuvent peut-être changer, que la musique -même si c’est souvent n’importe quoi !-, fédère et soulève la ferveur. D’ailleurs la mode “pipi caca” lancé par un groupe connaîtra un grand succès et pour cause, on nage souvent dans les fluides à travers les pages.
Par son montage, les personnages sont légion, apportant chacun leur grain de sel à l’histoire. Marquis, discret en diable, n’intervient quasiment jamais. Sa présence et ses actes suffisent à justifier le mythe.
Dans la fange, les vies n’ont plus grande importance, l’humain est rabaissé et se rabaisse lui-même. Les noms ont perdu leurs majuscules, sont devenus communs comme si le droit de s’élever était refusé à ces êtres en marge.

« Outrage et Rébellion » énervera, c’est sûr !
Catherine Dufour ne fait pas dans la dentelle, tous parlent comme ils vivent, alors on a droit à la totale. Certains lecteurs décrocheront direct, dégoûtés, d’autres poursuivront, happés par un traitement qui sort de l’ordinaire et refuse le politiquement correct. C’est fort et poignant !
Avec le talent qui la caractérise, Catherine Dufour a osé aller jusqu’au bout de son idée. Ce livre n’en est que renforcé.

Oserais-je dire que je l’ai préféré à « Le Goût de l’Immortalité », pourtant primé à maintes reprises ?
Au risque de choquer, eh bien oui !
Même si on nage souvent dans le crade, il est plus vivant.

Voir aussi sur la Yozone, l’avis de Henri Bademoude.


Titre : Outrage et Rébellion
Auteur : Catherine Dufour
Couverture (souple) : Daylon
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’Encre
Directeur de collection : Gilles Dumay
Pages : 386
Format (en cm) : 14,1 x 20,5
Dépôt légal : Mars 2009
ISBN : 978-2-20726115-6
Prix : 19€



François Schnebelen
18 février 2009


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Illustration de Daylon



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