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Club des Policiers Yiddish (Le)
Michael Chabon
Robert Laffont, coll. Pavillons, roman, traduit de l’anglais (USA), policier - anticipation - uchronie, 472 pages, janvier 2009, 21€

Drôle de temps pour un Juif, poulet de surcroît. Le monde a dévié de l’histoire que nous connaissons après la Seconde Guerre Mondiale, et les juifs se sont vus refuser l’entrée d’Israël par les occupants déjà en place.
Dans nos années de début de XXIe siècle, Meyer Landsman, flic yiddish du district de Sikta (Alaska), se sort la tête de la déprimante misère qu’est sa vie en enquêtant sur le meurtre d’un locataire de son motel.
Histoire de lui faire relativiser ses malheurs passés, de s’attirer des ennuis et d’endiguer de futurs et funestes évènements.



Boutée hors d’Israël après 1945, une grande communauté juive a été installée dans le district de Sitka, Alaska, par le gouvernement américain. Néanmoins, le bail arrive à sa fin. Deux mois avant la rétrocession, Meyer Landsman fait le point sur sa vie : un père qui l’a rejeté dès qu’il lui a avoué ne pas partager la passion familiale pour les échecs, une propension à l’alcoolisme, son installation dans un hôtel minable parce que son ex-femme, qui bientôt deviendra son supérieur hiérarchique, a du mal à vivre avec lui depuis la perte de leur enfant jamais né.
Et voilà qu’un autre Yid se fait sauter la tête à quelques chambres de là. Avec un échiquier à côté de lui, bien sûr. Aussi, malgré les consignes de son ex-femme, Meyer refuse d’enterrer cette affaire comme les onze autres encore en suspend à moins de huit semaines de passer la main à l’administration américaine. D’autant que son cadavre s’avère être un petit prodige des échecs, et aussi un petit prodige tout court, le Messie tant attendu. Comment expliquer sa mort ? D’autant qu’il est le fils du plus influent et du plus radical rabbin de la communauté, et tombé en disgrâce pour son goût pour la cocaïne et la chair masculine.
Disparu de la circulation depuis des années, pourquoi est-il revenu pour se faire tuer à deux pas du lit de Landsman ? Et surtout qui l’a tué ?

Premier point noir, mon résumé ci-dessus vous en révèle à peine moins sur l’intrigue que celui de l’éditeur, sur le rabat intérieur de la jaquette à l’illustration sympathiquement rétro. Je vous ai épargné “la conspiration délirante aux conséquences bien plus terribles que le 11 Septembre”.
Conspiration dont vous commencerez à saisir les prémices au-delà de la 300e page (sur 470).
On pourra donc regretter que l’éditeur ne laisse pas plus planer le mystère sur la victime, et gâche le suivi de l’enquête sur les deux premiers tiers de ce roman policier uchronique, d’autant que le reste se précipitera.

Un assez bon policier, à l’atmosphère donc très particulière puisque tout le monde est juif (à l’exception de quelques voisins du district et du héros guère pratiquant) et habite une sorte d’immense ville de location en Alaska. Un contexte politico-social qui sous-tend l’intrigue et donne lieu à une réflexion sur le besoin d’une identité nationale face à une nouvelle Diaspora, mais aussi à la réalité pratique de la migration forcée de toute une ville et la nécessité pour chacun de devoir repartir à zéro, comme l’ont fait leurs parents en arrivant ici, bercés par l’illusion du rêve américain.
Le judaïsme ambiant, sans jamais sombrer dans la caricature ni un humour stigmatisant la communauté hébraïque (mis à part dans les relations tendues entre Indiens et Juifs, et leurs échanges d’insultes mâtinés de souvenirs d’enfance communs) est prenante, même aux athées, car il est plus ici question de culture (notamment celle du martyr du déracinement) que de religion. L’auteur s’attache néanmoins à pointer les travers des religieux les plus radicaux, et leur habileté à résoudre les paradoxes provoqués par le monde contemporain. À cet égard, le personnage du mayven des frontières est délectable : membre éminent de la communauté, il passe sa vie à tendre des câbles dans la ville pour simuler des frontières permettant aux habitants de ne jamais sortir “spirituellement” de leur domicile et de travailler même le jour du shabbat. Dressant des cartes de la ville, il mène une bataille perpétuelle contre cet interdit de sa propre foi au nom de ses coreligionnaires.

La foi et les racines sont bien entendu très présentes dans ce roman. Meyer est le dépositaire d’une religion qu’il a adapté à son mode de vie de policier divorcé et alcoolique, dans l’esprit d’une tradition plus que d’une réelle foi pratiquante (qui de toute façon ne fait pas le poids face aux délicieux beignets de porc à l’indienne dont il est friand). Son cousin Berko concilie quant à lui un demi-sang indien et la décision dans sa jeunesse de suivre la voie de son père, directeur des services secrets juifs de Sitka, et d’embrasser la même carrière de policier que Meyer. Tiraillé entre culture et religion, rejeté par les deux camps, il ne doit le respect qu’on lui porte qu’à sa carrure de géant et sa probité sans faille, malgré les plans foireux dans lesquels l’entraîne son coéquipier de cousin.

Le tout, habillé d’une SF discrète plus proche de l’anticipation sur une base d’uchronie, est loin d’être désagréable à lire, malgré peut-être un emploi du présent (effet apparemment de mode dans la littérature actuelle) parfois gênant surtout pour un récit à la troisième personne ponctué de flash-backs dénués de temporalité (principalement dans le dernier tiers du roman) et un résumé de l’éditeur trop révélateur. Les personnages ont de l’épaisseur, et les multiples climats sociaux et religieux abordés ne prennent pas le pas sur une enquête qui mérite son nom, avec arrestation du coupable à la fin.
Dernier reproche à l’auteur, céder à une fin “facile” et brutale après l’énorme travail stylistique nécessaire pour créer un univers 100% yiddish de manière compréhensible et quasi-naturelle pour ses lecteurs.

Je ne cherche plus à comprendre ce qui fait un prix Hugo. Celui-ci est le millésime 2008, et c’est un bon roman, mais pas forcément un monument de la SF, il semblait juste manquer au palmarès de l’auteur, décrit comme un nouveau génie de la littérature américaine et dont le regard sur la photo de la troisième de couverture est d’un bleu flippant à vous faire changer de trottoir.
Le style est bon et résolument actuel, l’enquête policière se heurte au contexte politique, social et religieux particulier créé par l’auteur dans un genre uchronique original et surtout très bien maîtrisé. Le héros se heurte lui aussi à beaucoup de choses, des méandres de la vie à toutes sortes d’objets contondants, suffisamment pour un faire le martyr attachant qu’est le policier d’aujourd’hui aux dépends du privé des années 50 magnifié par Bogart.
Notons enfin que les frères Cohen (à qui on doit dernièrement « No Contry For Old Men ») l’adapteront au cinéma. Avec la sortie prochaine de « La Route » du même Cormack McCarthy, c’est le retour d’une science-fiction d’anticipation où la profondeur des personnages et le décor dans lequel ils évoluent prennent le pas sur les effets spéciaux.


Titre : Le Club des Policiers Yiddish (The Yiddish Policemen’s Union, 2007)
Auteur : Michael Chabon
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Isabelle D. Philippe
Couverture : Harper Collins Publishers Ltd.
Éditeur : Robert Laffont
Collection : Pavillons
Format (en cm) : 21,5 x 13,5 (grand format, broché)
Pages : 472
Dépôt légal : Janvier 2009
ISBN : 978-2221108796
Prix : 21€



Nicolas Soffray
31 janvier 2009


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