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Lune et l’Autre
John Kessel
Gallimard, FolioSF, Nouvelles, traduction de l’anglais (É-U), anticipation - Utopie, 283 pages, octobre 2008, 7€

Sur la face cachée de la Lune, une société volontairement utopique, matriarcale, s’est développée en marge des autres colonies lunaires et de la société terrestre.

John Kessel, écrivain américain né dans les années cinquante, tente d’étudier à travers ces quatre textes les conséquences morales et psychiques que cette société dirigée par les femmes engendre forcément sur le comportement des hommes.

Inégal, mais aussi intéressant et pourtant mineur.




Quasiment coupée des autres colonies lunaires dont elle limite volontairement ses contacts au strict nécessaire (échanges commerciaux), la « Société des Cousins » est une sorte d’utopie féministe censée régler les problèmes de l’humanité en donnant la primauté des chaînes de commande, d’organisation et de gestion des problèmes aux femmes.
Les hommes n’étant, sauf exceptions qui confirment la règle, pas aptes à être autre chose que des objets sexuels consentants, des artistes, des glandeurs entretenus par leur compagne du moment... ou des scientifiques -autant d’activités qui n’octroient pas le statut de citoyen dans cette utopie.
Un univers où la libre collaboration entre les individus, la prise de décision collective à travers de longs débats publics (type Agora grecque), la totale liberté des échanges sexuels dès le plus jeune âge (prime adolescence) et l’acceptation rigide des grandes règles communes, seraient la panacée à tous les maux de l’humanité.
Mais évidemment, rien n’est aussi simple ou facile chez les « Cousins » (Cousines ?).

La première nouvelle,“Le Genévrier”, est une histoire de meurtre aux origines sentimentales classiques. La jalousie en est le moteur central et les éléments perturbateurs sont une femme et son fils venus de la Terre. Le second n’intègre pas et n’accepte pas -inconsciemment- les valeurs morales de la « Société des Cousins » et finit par tuer un autre garçon qui courtise ce qu’il croit être sa compagne. Cette notion ayant assez peu de valeur sur cette colonie, sa méprise entraîne des conséquences dramatiques même s’il maquille parfaitement ses actes sous la forme d’un accident. L’affaire se résoudra partiellement via les recherches scientifiques imprévues et avancées (en génétique) de la mère de la victime.
Texte séduisant par certains aspects romantiques, mais dont la conclusion ouvre sur une suite qui n’existe pas, cette première nouvelle a le principal avantage de planter les bases de la « Société des Cousins ».

Le deuxième texte, « Histoires pour Hommes » est beaucoup plus ambitieux. Sa conception en forme d’ellipse explore dans les détails les ambiguïtés morales de cette utopie. La rencontre entre un jeune homme un peu perdu et une sorte de révolutionnaire inconscient de ses actes pose des questions morales assez perturbantes pour le lecteur. On regrette néanmoins une fin très abrupte (but what else ?) qui là aussi pourrait ouvrir sur autre chose, mais n’amène qu’un court quatrième texte sans originalité particulière (« Sous le Soleil ou le Rocher »). L’opposition entre la « Société des Cousins » et le reste de l’humanité y est tellement forcée et aux bénéfices de la première que mon tout rend presque incroyable son existence...

Très courte aussi, « Sous l’Arbre à Goûter » décrit le parcours légèrement tumultueux d’une gamine qui veut rejoindre sa mère et en a marre du camp de retraite entre jeunes filles auquel elle est obligée de participer. Un pauvre mec, membre du lumpen prolétariat lunaire, fera forcément les frais de l’escapade sans que les retombées collatérales ne soient vraiment importantes pour la gamine. Un léger mal être de la fautive, quelques questions vites évacuées et puis c’est tout.
Néanmoins, il se dégage de ce texte un sens assez délicat de la mise en scène et une bonne séance d’introspection de la psyché de la petite fille, pas encore femme, mais pas si loin que cela de cet état. Une crise de pré adolescence en forme de fugue en moi mineur, en somme.

Bilan mitigé au final, si la « Société des Cousins » porte en elle une certaine originalité, sa radicalité involontaire, l’absence de toute contestation interne sérieuse qu’elle entraîne, la rend peu crédible, voire presque anti féministe et déplaisante pour le lecteur.

Si les quatre nouvelles proposées sont d’inégales valeurs, ont peut néanmoins trouver, ici et là, des qualités à l’ensemble. Le style n’est pas foncièrement original, mais coule relativement bien, l’étude des us et coutumes de cette utopie a son intérêt.
Mon tout ne résout en rien cependant, le problème fondamental de l’ensemble du recueil qui est de ne pas aller aux bouts de ses idées. Une absence de radicalité sur le fond qui déséquilibre l’idée centrale créatrice et ne permet pas d’adhérer complètement à l’ensemble.

Un résultat global à l’image de la « Société des Cousins ». Une utopie qui se veut parfaite, ne l’est évidemment pas, ne s’en rend pas compte et engendre une forme de confort tout relatif qui lisse les problèmes, mais ne les affronte pas directement.
Une évacuation par le vide des questions fondamentales qui ouvre certes des portes... qui ne seront jamais refermées.


Titre : Lune et l’Autre (nouvelles, 2008)
Quatre nouvelles : Le Genévrier (The Juniper Tree, 2000), Hisoires pour Hommes (Stories For Men, 2002), Sous l’Arbre à Goûter (Under The Lunchbox Tree, 2003), Sous le Soleil ou le Rocher (Sunlight Or Rock, 2006)
Traduction : Jean-Pierre Pugi (Gallimard)
Couverture : Yann Tisseron (illustration)
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Directeur de collection : Pascal Godbillon
Site Internet : site de l’écrivain (en anglais)
Pages : 285
Format (en cm) : 11 x 1,6 x 17,7 (poche, broché)
Numéro : 321
Catégorie : F8
Dépôt légal : octobre 2008
Code : A 34856
EAN : 9 782070 348565
ISBN : 978-2-07-034856-5
Prix : 7€



Stéphane Pons
27 janvier 2009


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