Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Double Étoile
Robert Heinlein
Gallimard, Folio SF, N°294, roman (traduction), USA, 1956, SF, 291 pages, nov 2007, 6,80€

Dans un futur assez proche, Lorenzo Smythe, un acteur aux talents transformistes avérés est engagé afin de remplacer durant quelques jours le principal dirigeant du Parti Expansionniste, le célèbre et controversé John Bonforte.

Malheureusement pour Lorenzo, l’emploi à l’origine temporaire et de brève durée, va se prolonger plus que de raison. Faut dire que ça chauffe dans le système solaire et que certains extrémistes vont perturber le jeu planifié par les conseillers politiques de John Bonforte.

Et puis, Lorenzo Smythe va-t-il rester cet acteur génial à la carrière de looser ou devenir ce que le petit Lawrence Smith rêvait d’être : un homme honnête et respecté par une civilisation de plus de huit milliards d’êtres ?



Robert Heinlein obtint son premier Prix Hugo avec ce « Double Étoile » en 1956. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un grand Robert Heinlein ? Assurément pas.
Pas aussi bête et primaire qu’on voudrait le penser, plus intelligent même qu’il n’y paraît, assurément. Largement moins inventif et talentueux que certains textes de son « Histoire du Futur » (1950 à 1958), que son « En Terre Étrangère » (1961) ou son « Révolte sur la Lune » (1966) aussi.
Néanmoins, on l’admet sans peine, à force d’avaler des kilomètres de space opera faisandé ou des épopées fantasy-cybertruc ou steamchose de 1500 pages bien chiantes et même pas bien écrites (plusieurs coupables et pas de noms), on en arrive facilement à se délecter aujourd’hui de textes qui ne forçaient pas notre admiration trente ans auparavant...

C’est que, à l’image de ses brillants contemporains élevés à la dure école des Pulps et de sérieux rédac’chefs, Robert Heinlein savait écrire, raconter une histoire, ruser avec ses lecteurs et glisser pas mal de choses intéressantes dans une simple aventure de politique-fiction futuriste.

D’une part, le bougre n’y cache pas ses profonds sentiments et fait comprendre à maintes reprises qu’on ne manie pas, d’après lui, une nation avec des douceurs, et qu’un homme s’élève et se façonne aussi à grands coups de ceinturons dans le derrière. D’autre part, il ne le fait pas non plus n’importe comment.
Hum, discours politiquement incorrects à certains étages, « Double Étoile » étonne rétrospectivement par le soufre gentiment provocateur qu’il dégage aujourd’hui.
Finalement, à part quelques survivants du défunt Fleuve Noir grande époque, une maison où un écrivain simplement de droite passait pour un affreux gauchiste (histoire de situer l’échelle des valeurs), qui arriverait en 2008 à balancer de tels idéaux ? Que dis-je, qui se risquerait à l’exercice avec une désarmante sincérité et reconnaissons-le, pas mal de brio ?
Personne ou alors il faudrait que la collection s’appelle « Second Degré » avec une diode rouge clignotante histoire de prévenir les lecteurs et d’éviter les procès...

Bon, l’époque n’était pas à la plaisanterie et un républicain américain modéré d’alors ferait presque passer notre Dabeuliou actuel pour un démocrate. Qui plus est, Heinlein possédait un atout maître dans sa poche : le talent.
Tout comme la plus grande partie de ses contemporains de l’Âge d’Or de la SF, il en avait même à revendre... Et livrer un bon petit roman de SF en moins de 300 pages devait à peu près lui coûter autant d’effort qu’un footing matinal pré petit déj à un marathonien éthiopien.

Et voilà l’énergumène lancé en petites foulées, citant Shakespeare à propos, multipliant les allusions au théâtre élisabéthain, digressant sans épuiser sur la grandeur des acteurs, leur rôle ou leur utilité dans la société, se permettant même d’émailler son récit d’un message et d’une vision prémonitoire sur la politique moderne. Où l’on comprend déjà qu’Heinlein avait pressenti l’importance qu’allaient prendre les équipes de « techniciens » qui entourent un “grand” politicien sur l’Homo politicus lui-même.
Sauf que.
Sauf que chez Heinlein, l’homme a aussi son libre-arbitre et qu’élevé à la dure, le cuir tanné par les années, il ne va pas non plus se laisser manipuler comme le premier arriviste venu ou être débordé par une situation qui le dépasse à priori. Donc, surprise finale au programme et conclusion humaniste inattendue (et émouvante) battant en brèche les idées reçues ou toutes faites sur l’écrivain en prime.

Thomas Day qui a soigneusement revu la traduction originelle made in “Rayon Fantastique” de 1958 (reprise plusieurs fois par la collection “J’ai Lu”) de cette édition Folio SF s’étant parfaitement chargé de bien nettoyer quelques imperfections temporelles, cinquante ans (et oui !) plus tard, on peut savourer en toute tranquillité ce « Double Étoile » en y trouvant même une dose de second degré (et d’humour) que les premiers lecteurs avaient peut-être ratée.

D’une certaine manière, ça fait un peu mal de le reconnaître, mais on préfère choisir ce roman que de s’enfiler une grande partie de la pile des bouquins qui prennent la poussière depuis quelques semaines sur notre étagère.

Trois heures de lecture agréable et plutôt cultivée (si, si, Voltaire est même cité), une bonne aventure et pas d’aspirine au finish.
Yeap !
Hé, hé. Trop fort ce Heinlein.

Titre : Double Étoile (Double Star)
Auteur : Robert Heinlein
Récompense : Prix Hugo 1956
Couverture : Photo Chris Alan Wilton-Getty Images
Traduction (de l’Américain) : Michel Chrestien (Rayon Fantastique n°59)
Revue par (présente édition) : Thomas Day
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF n°294
Site Internet : Gallimard - Folio SF - Fiche roman
Format (en cm) : 10,8 x 1,3 x 17,8 (poche, broché)
Catégorie : F8
Pages : 291
Dépôt légal : novembre 2007
Code Hachette : A 32794
EAN : 9 782070 327942
ISBN : 978-2-07-032794-2
Prix : 6,80€

Précédentes éditions :
- Hachette-Gallimard : Rayon Fantastique n°59
- J’ai Lu n°590 (1975, 1986 et non-signalée)

Collection Folio SF (Gallimard)
- En Route pour la Gloire : Parution le 18 mai 2006
- Histoire du futur (4 vol.) : Parution le 7 avril 2005
- Marionnettes Humaines : Parution le 8 septembre 2005
- Sixième Colonne : À paraître le 31 janvier 2008


Stéphane Pons
27 décembre 2007


JPEG - 15.4 ko



Chargement...
WebAnalytics