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Jeu Cruel (Un)
Robert Silverberg
Gallimard, Folio SF n°281, roman (traduction, USA), SF, 296 pages, poche, 6€

Lona Kelvin est jeune, vierge et mère de... cent enfants ! Bref, un modèle d’esprit traumatisé dans un corps plus très sain...
Minner Burris est le seul astronaute survivant d’une expédition chez les extraterrestres. Malheureusement, il est tombé sur une race passionnée par la chirurgie et les manipulations génétiques. Inutile de préciser que la matière organique qui est renvoyée aux humains n’a plus grand chose à voir avec un Homo sapiens...
Quant à Duncan Chalk, magnat du divertissement interplanétaire, il se nourrit de la douleur des autres, alimentant les foules en émotions fortes et troubles.

Son nouveau projet ? Offrir en pâture au public, le spectacle de la vie « monstrueuse » des deux éclopés qu’il va prendre sous sa coupe.
Mais attention ! Si « la douleur est instructive », elle peut aussi tuer !



Par la grâce du travail des professionnels de l’édition hexagonale -Robert Silverberg leur doit d’ailleurs une fière chandelle- 99% de la nombreuse production bas de gamme de cet écrivain n’est jamais arrivée par chez nous.
Heureusement, car il y eut plusieurs Robert Silverberg (sous pseudos ou pas), publiant des douzaines de textes à peine alimentaires et à oublier.
Puis, il y a l’autre, celui que l’on apprécie par-dessus tout et qui livra une bonne dizaine de chefs d’œuvres absolus du genre (« L’Oreille Interne », « Les Monades Urbaines », « Le Cycle de Majipoor », « Les Ailes de la Nuit », « Trips », « L’Homme dans le Labyrinthe », « Le Fils de l’Homme », « Le Livre des Crânes », etc).

Légèrement sous évalué par certains critiques lors de sa première édition, « Un Jeu Cruel » se bonifie le temps passant. C’est une excellente chose car ce court roman (296 pages) est assez frappant et touchant. Et puis, il livre plein fer une des grandes clefs de l’univers de Silverberg : à savoir, l’importance du fait psychanalytique dans son écriture.
Certes, les trois personnages principaux de cette intrigue peuvent sembler archétypaux (la vierge multi mère, l’astronaute reconstruit et le vampire psychique) et paraissent baigner dans un océan narratif assez artificiel.
Ce n’est pas faux, mais Silverberg est un malin.

Finalement, sa petite histoire est d’une perversité assez complexe et la grâce se trouve dans les détails. Un cactus que l’on offre et qui devient un objet de « transfert » tout au long du roman, des mains qui se serrent, des regards qui se croisent ou des dialogues à fleurets mouchetés... Tout est dans la nuance jusqu’au règlement final.
Émotion, tristesse, désespoir, révolte, les sentiments convoqués n’engagent pas à l’optimisme, mais expriment pourtant un besoin profond de s’accrocher à la vie.

La découverte d’« Un Jeu Cruel » laisse des traces, scarifie votre peau de jeune lecteur et réveille même d’anciennes blessures que l’on croyait effacées par le temps.

Comme souvent chez ce romancier, la fin est un peu bâclée (4 pages et hop !) mais le procédé ne surprendra pas les habitués car on avait saisi depuis bien longtemps que l’essentiel était déjà dit.
Bon, en habile professionnel, Robert Silverberg écrit des vrais fins. Soit. Mais parce que c’est comme ça et que sinon, ses éditeurs feraient la gueule ! La figure est imposée et ne va pas plus loin. On perçoit même l’énervement du romancier, forcé de répéter (le plus vite possible) ce qu’il s’est évertué à dire intelligemment durant presque trois cents pages...

Mais chez Silverberg, l’essentiel -tout comme la vérité- est ailleurs. Dans les méandres et la simplicité d’une émotion à fleur de peau qu’avait si parfaitement su saisir Caza pour sa couverture J’ai Lu originelle, par exemple.

Cette réédition Folio SF tombe donc à pic. La traduction de grande qualité de Michel Deutsch est révisée et « actualisée » par Julie Pujos, le texte à nouveau disponible et si la couverture verte « cactualisée » (si l’on peut dire) n’est pas l’élément le plus convaincant (même si l’on comprend bien le sens de tout cela), l’affaire est à saisir.
Aussi, clin d’œil du destin avec quarante années (1967-2007) dans les dents, on ne peut que se féliciter du pouvoir visionnaire du texte. En effet, dès qu’il nous prend la mauvaise idée d’allumer nos médias audiovisuels aux heures des grands divertissements voyeuristes, vulgaires et avilissants d’une télé réalité qui fait ressurgir des envies de guillotines chez le premier téléspectateur un peu sain d’esprit, on est scotchés par la dégringolade morale tolérée. « Un Jeu Cruel » prend alors des airs de possibles, tout à fait envisageables à très courts termes...

En 1967, Silverberg n’avait sans doute pas pu lire « La Société du Spectacle » de Guy Debord publié simultanément en France.
Néanmoins, il est étrange et frappant de constater qu’un parfait résumé du roman de Silverberg se trouve dans cet extrait du texte du philosophe :
- « Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience ». (Guy Debord in « La Société du Spectacle »).

Étonnant, non ?

Titre : Un Jeu Cruel (Thorns)
Auteur : Robert Silverberg
Autres recueils critiqués sur la Yozone : (« L’Oreille Interne », « En Un Autre Pays », « Roma Aeterna » et « Légendes 2 »
Traduction (de l’Américain) : Michel Deutsch
Révision : Julie Pujos
Couverture : photo Vincent Capman : Hoa-Qui (détails)
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF n°281
Site Internet : Folio SF - Un Jeu Cruel
Pages : 296
Format : 10,8 x 1,5 x 17,8 (poche)
Catégorie : F7b
Dépôt légal : mai 2007
ISBN : 978-2-07-033664-7
Prix : 6€


Stéphane Pons
11 juillet 2007


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Réédition Folio SF utile et nécessaire (n°281).



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Caza en pleine forme et en plein dans le sujet avec une couverture d’une simplicité et d’une fidélité totale au roman (1ère édition J’ai Lu).



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