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Le papa des hippies était-il un anar nietzschéen ou un populiste ?
En terre étrangère de Robert A. Heinlein
Délices & Daubes n° 55


C’est très tendance aujourd’hui de cracher sur mai-juin 68 et ce qui s’en suivit. Evidemment que Tonton Henri n’est pas du tout d’accord. Il y était et ça l’a marqué au fer, pas rouge mais noir, grave. C’était pas la Commune, non, mais c’était quand même une belle explosion de liberté, une révolution pour les têtes, les rapports humains, la morale, la relation au travail et à l’argent, la façon d’aborder l’existence, la philosophie et toutes ces sortes de choses. Et - pour une fois exceptionnellement - il est content d’être assez âgé pour avoir eu 20 ans à ce moment-là. Le Vieux aux grandes oreilles, dont tous les politicards à gauche, à droite ou ailleurs se réclament aujourd’hui, n’était pas Napoléon IV (tiens, ça m’évoque quelque chose, avec des oreilles mais moins grand) mais il a quand même eu la trouille de sa vie, le général de mes deux gaules. A juste titre. Il n’avait absolument rien compris à la jeunesse. Et c’est dans le monde entier que ça bougeait à la fin des 60 et au début des 70. Il faut bien admettre - soyez objectifs, très chers lecteurs - que cette Terre fut meilleure après. Bon d’accord, maintenant, il y a eu le temps, les impératifs économiques, la dure réalité, qui ont fait que... Pffft de pffft ! Faudrait recommencer, tiens !

Aux States, la remise en cause des valeurs de la société capitaliste, spectaculaire et marchande, avait commencé avec les beatniks, à la fin des 50. Mais en 1961, quand Robert Heinlein fait paraître Stranger in a Strange Land, Prix Hugo 1962, tous ceux qui se réclameront de ce chef-d’œuvre, et en particulier les hippies « Peace and Love, Make Love not War » qui déboulent à San Francisco vers les 1966-1967 et dont tout le monde se gausse avec ironie aujourd’hui, jouaient encore aux billes ou à la poupée. Et il a mis 10 ans, le Robert, pour écrire ce pavé, qu’il a d’ailleurs du rétrécir d’un bon tiers à la demande de son éditeur (trop long et trop de sexe, no comment). Il n’a donc pas suivi mais bien devancé le mouvement.

Le bouquin est sorti en français chez Laffont, en Ailleurs et Demain, couv argentée (voir mon exemplaire scanné ci-contre), au tout début de l’an 1970, 476 pages quand même. Ré édité chez les mêmes en 1999, deux fois merci à Gérard Klein. Il y eut entretemps des ré éditions en Livre de Poche (1979) et Presses Pocket (1985).

Alors, les gens qui pensent que Robert était un horrible réactionnaire devrait lire ce livre. C’est un hymne à l’anarchie, à la liberté de penser, de croire et d’agir selon ses désirs. C’est un pamphlet contre l’Etat et ses représentations (le flic Heinrich fait partie des SS (comme dans CRS =), pour Services Spéciaux mais quand même), contre les religions et leur hypocrisie. C’est une apologie de la différence, de l’amour libre, de l’abolition des tabous, de la sexualité en général.

Valentin Michael Smith, dit Mike, est un humain élevé par les Martiens. C’est génétiquement un homme ordinaire mais son éducation et sa culture en ont fait un surhomme aux pouvoirs invraisemblables, capable de modifier sa physiologie, de dilater le temps, de faire disparaître des choses et des gens, de léviter et de téléporter êtres et objets, de communiquer par télépathie, etc. Et même de transmettre ces pouvoirs à ceux qui arrivent à penser en martien. Il débarque dans une Amérique à peine différente de celle d’aujourd’hui et son innocence et sa candeur permettent à Heinlein de montrer tout le ridicule de nos habitudes, us et coutumes. Ça vous rappelle quelque chose ? Montesquieu et les Persans ? Voltaire et l’ingénu ?

L’homme de Mars sera aidé par une infirmière, la trop belle Jill, par un journaliste, Ben, et surtout par Jubal, un vieil excentrique cynique et bon vivant. Cet écrivain est aussi médecin et avocat. À sa manière, avec sa philosophie fondamentalement anarchiste mais qui sait comment faire de l’argent et contourner les lois, il sera le mentor de Mike. Après un temps d’adaptation, son “fils” apprendra à vivre sur Terre et finira par “gnoquer” son humanité.

Vous trouverez le pitch et bien d’autres choses sur la wikipédie qui a fait très fort sur ce coup, pas comme des collègues orthoptères intergalactiques qui estiment que Heinlein est un mauvais écrivain et un vieux réac, quoiqu’il écrive. Ils ont lu Versins mais ont-ils lu le dir coll Klein ? Populisme et pop culture, voilà un beau sujet de dissert et de réflexion, non ?

Bon, il y a des défauts, mais qui n’en a pas est-il humain ? C’est parfois bavard, certes, et la fin en vraie-fausse religion trop too much second degré était-elle nécessaire ? Ou utile ? Chacun sa réponse, au nom de la liberté, liberté chérie... Moi perso, en tant qu’individu, j’adore, je kiffe et je « gnoque » ce bouquin du début à la fin.

Allez, soyez fous, osez un classique, c’est long mais ça déménage et, replacé ou pas dans le contexte historique, c’est tout simplement génial.


Henri Bademoude
26 mai 2007


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