« L’inversion de Polyphème », c’est l’histoire du début des vacances pour quatre enfants condamnés à rester aux Loges en banlieue parisienne. Ils sont de milieux différents, mais la passion de la science-fiction les a rapprochés. Ils se sont aménagés une cabane avec un local secret abritant leur bibliothèque sans cesse augmentée par le vol d’ouvrages chez le libraire du coin. Le plus âgé de la bande, Paul, est un peu le meneur ; sa dégaine et son assurance fascinent les autres : Hugo, le narrateur de ce récit bien des décennies plus tard, Francis et Mick, une jeune fille que Hugo aime. Et Paul est borgne, il a un œil de verre qu’il recouvre parfois d’un bandeau, devenant alors le pirate. En ce début de vacances, il a amené une boule de verre, voulant absolument leur montrer un étrange phénomène, uniquement visible d’un gros rocher dans un champ.
Des enfants au seuil de l’adolescence, le début des vacances, de drôles de choses qui se produisent soudain sans que les adultes n’en aient conscience, on a tous lu des livres marquants sur le sujet, notamment les pavés que sont « Ça » de Stephen King ou encore « Nuit d’été » de Dan Simmons, des modèles du genre. « L’inversion de Polyphème » joue clairement dans la cour des grands, mais sans s’étaler outre mesure. L’œil de verre de Paul lui permet de voir au-delà des apparences, lui donne une vision dépassant le cadre de notre monde, ce qu’il veut justement partager avec ses copains. Les conséquences sont pour le moins inattendues et il faut à tous les quatre réagir, mais un seul peut vraiment agir, Paul.
Leurs connaissances de la SF leur permettent d’appréhender le phénomène à l’œuvre, de donner une explication, mais comment rétablir l’ordre ? Au passage, bien des références témoignent de l’amour de l’auteur pour le genre.
Le signet offert avec l’ouvrage ne sert pas à grand-chose, car commencer la lecture revient à la terminer sans interruption, tant cette novella retient l’attention. Impossible de reposer le livre, chacun se souvient de l’enfant qu’il était, d’autant plus suivant son âge. Pas d’Internet dans les années 90, mais les copains, les lectures, les rêves d’avenir, les sorties à vélo, les premiers amours... Tout était prétexte à l’aventure. « L’inversion de Polyphème » (Polyphème est un cyclope, fils de Poséidon, ce qui ramène à Paul) nous replonge dans nos jeunes années, nous rappelle celui ou celle que nous étions, les souvenirs remontent à la surface. J’ai lu cette novella en 1997 dans le« Bifrost n°5 » ; plus de 25 ans après, j’ai éprouvé le même émerveillement qu’à l’époque. C’est du sense of wonder à l’état brut, du plaisir tout simplement. Qui n’a jamais rêvé de voir des créatures depuis longtemps disparues, même si ce n’est pas sans danger ? Braver l’interdit, éprouver le frisson qui en découle, tester les limites, quitte à en payer le prix, grandir dans l’ombre des adultes... Serge Lehman nous ramène en arrière, quand on pensait que l’avenir nous appartenait, que tout était possible.
« L’inversion de Polyphème » franchit allègrement l’heure-lumière promise. Cette novella est à savourer sans modération, elle se lit et se relit avec un plaisir intact. S’il reste un seul regret, c’est que Serge Lehman ne nous régale plus de son imaginaire depuis bien trop longtemps.
Titre : L’inversion de Polyphème
Auteur : Serge Lehman
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’ (1ère édition : Bifrost n°5, 1997)
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 57
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 106
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mars 2025
ISBN : 9782381631677
Prix : 9,90 €
Derniers titres chroniqués de la collection :
46. « Le dernier des Aînés » de Adrian Tchaikovsky
47. « La peste du léopard vert » de Walter Jon Williams
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
50. « De l’espace et du temps » d’Alastair Reynolds
51. « La marche funèbre des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
52. « Kid Wolf et Kraken Boy » de Sam J. Miller
53. « L’automate de Nuremberg » de Thomas Day
54. « Les fils enchevêtrés des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
55. « Les armées de ceux que j’aime » de Ken Liu
56. « As-tu mérité tes yeux ? » de Eric LaRocca
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