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Heureux hasards
Tim James
Dunod, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), essai, 223 pages, février 2025, 19,90€


La sérendipité : on a beaucoup écrit sur ce concept malaisé à définir qui rend compte de l’aptitude à saisir au vol un élément marginal, souvent noyé dans le quotidien et ne demandant qu’à passer inaperçu, mais qui, de première importance, permet de faire une découverte scientifique. Une découverte relevant du hasard, donc, ce qui en effet est possible, même si le concept même de hasard est ici discutable : pour saisir la balle au bond, il faut être éveillé, préparé, à l’affût ; pour prêter attention à l’élément qui interroge, il faut être observateur, avoir l’esprit ouvert, vif, curieux. Ce qui veut dire des conditions et contextes particuliers qui, eux, ne relèvent pas entièrement du hasard.

C’est à ce concept de sérendipité et aux découvertes grandes et petites, mais le plus souvent accidentelles, qui en découlent – découvertes dont certaines ont changé le monde, dont d’autres ont modelé notre quotidien – que s’intéresse ici Tim James. Ces découvertes accidentelles au sens large du terme, il les classe en cinq catégories : maladresses, malchances et malfaçons, surprises – quand l’expérience révèle bien plus que ce que l’on attendait – et moments « Euréka », compréhension et révélation subite dont nous rapprocherions le « ah ah ! » des mathématiciens, qui survient souvent à un moment inattendu, parfois grâce à un élément sans rapport explicite avec le problème posé.

On retrouve des anecdotes fameuses, comme la découverte de la radioactivité après une observation faite par Becquerel, qui, cherchant à reproduire l’expérience photographique de Niepce, avait rangé ses plaques dans un tiroir où elles capturèrent l’image d’une médaille posée au même endroit : l’explication se trouvait dans un flacon de sulfate d’uranium rangé lui aussi dans le même tiroir, dont le rayonnement avait fait réagir les plaques. Autre anecdote fameuse, celle de la découverte accidentelle de la pénicilline (répondant alors à l’engageant nom de « jus de moisi ») en 1928 par contamination à partir des sécrétions nasales du chercheur Alexander Fleming. Mais ce que l’on sait moins est que la découverte de sa forme orale (on ne l’utilisait alors que sous forme injectable) s’est faite elle aussi par accident, en 1945, après utilisation de produits de nettoyage dans l’usine de production du chimiste Michel Rambaud.

Donner un problème mathématique considéré comme insoluble à des étudiants et le voir aussitôt résolu peut être aussi considéré comme une découverte faite presque par hasard : un exploit réalisé par l’étudiant George Dantzig à Berkeley à la fin des années trente. Une découverte qui ne parlera pas à tous, mais bien d’autres découvertes accidentelles sont utiles dans la vie quotidienne. Le four à micro-ondes ? Découvert par hasard par le physicien Percy Spencer qui travaillait sur ce type d’ondes pour voir si elles avaient un intérêt en tant que radar. Le verre incassable ? Découvert par hasard par le physicien français Edouard Bénédictus, qui avait insuffisamment nettoyé son matériel. Le Slinky, ce ressort-gadget qui descend tout seul les escaliers ? Découvert par hasard par le physicien Richard James qui cherchait à fabriquer un stabilisateur pour bateau.

On ne s’étonnera pas de rencontrer à travers cet ouvrage toutes sortes de figures de la science et de savants non pas fous mais pour le moins farfelus, et quelque peu audacieux. On citera par exemple le physicien prussien Johan Ritter qui abusa de la fée électricité non pas comme résurrectionniste mais en l’appliquant sur diverses parties de son propre corps, allant jusqu’à scandaliser ses pairs, l’entomologiste Justin Schmidt qui expérimenta sur lui-même plus de mille piqûres et morsures d’insectes et écrivit un ouvrage sur le sujet (« The Sting of the wild) », le biologiste Hans-Peter Rieder qui collecta des urines de schizophrènes pour les donner à boire à des araignées ou encore le chimiste Christian Schönbein, qui en 1845 transforma par pur hasard le tablier de sa femme en fulmicoton, cinq fois plus détonant que la poudre à canon (on n’ose imaginer le caractère explosif de la scène de ménage). Avec des savants de ce type, expérimentateurs permanents et faisant feu de tout bois, des découvertes intentionnelles, mais aussi accidentelles, apparaissent quasiment inévitables.

Des savants vont même jusqu’à faire des découvertes en rêve. La plupart des scientifiques ont entendu parler du rêve de Kekulé von Stradonitz, qui découvrit la structure chimique du benzène après avoir rêvé du serpent Ourobouros qui se mord la queue ; mais on connaît moins le rêve d’Elias Howe, qui, en dépit de ses efforts, ne parvenait pas à mettre au point la machine à coudre. Une nuit, il rêva que le roi d’un pays inconnu lui donnait vingt-quatre heures pour inventer une telle machine sous peine d’être exécuté. Le délai expiré, emmené sur le lieu de l’exécution, il remarqua que les gardes portaient des lances dont les pointes présentaient des trous. Il s’éveilla comprenant que là était l’invention : faire passer le fil non pas dans la queue mais sur la pointe d’une aiguille. La machine à coudre était née.

Nous ne donnons ici qu’un aperçu des découvertes collectées dans cet ouvrage par Tim James, qui va même jusqu’à consacrer une partie spéciale au tableau périodique des éléments de Mendeleïev. Là aussi, bien des découvertes imprévues que nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir. Bien des choses à noter, à mémoriser, à méditer. Et les plus vains, ou simplement les plus enthousiastes et les plus désireux de partager ce savoir, pourront facilement briller en société en apprenant à leurs proches que les produits détergents pour porcelaine ont été découverts par hasard par un individu au nom très improbable de Harry Pickup, qui utilisa des parties de cet authentique patronyme pour créer le produit… Harpic !

Des annexes (références des citations, notes et index des illustrations) viennent enrichir cet ouvrage, dont on regrette qu’il n’ait pas été complété aussi par un index des noms propres et des inventions. Quoiqu’il en soit, cet ouvrage plaisant et facile à lire constitue une approche originale pour aller vagabonder à travers l’histoire des sciences et des techniques et donnera à plus d’un lecteur l’envie d’aller plus loin. Un inducteur de curiosité, donc …mais ici encore, comme pour les découvertes, cette curiosité n’arrivera pas tout à fait par hasard, car elle ne sera suscitée que chez celui qui en possède déjà assez pour ouvrir de tels ouvrages !

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Titre : Heureux hasards (Accidental, 2024)
Auteur : Tim James
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Benjamin Peylet
Éditeur : Dunod
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 223
Format (en cm) : 15,5 x 24
Dépôt légal : février 2025
ISBN : 9782100870097
Prix : 19,90 €


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Hilaire Alrune
15 mars 2025


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