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Bifrost n°117
La revue des mondes imaginaires
Revue, n°117, nouvelles - articles - entretiens - critiques, janvier 2025, 200 pages, 11,90€

Aujourd’hui, pour qui désire lire Harlan Ellison, il faut se tourner vers l’occasion et pour certains recueils, notamment ceux publiés autour de 1980 par les Humanoïdes Associés, accepter le prix de la rareté. Un seul ouvrage est encore disponible en commande chez votre libraire : le grand format de « Dérapages », la version poche chez Folio étant épuisée. Il est vivement conseillé d’avoir un stock de revues « Fiction » et « Galaxie » en espérant que son nom figure dans le sommaire de certains.
Le dossier de ce « Bifrost » donne envie de découvrir plus avant Harlan Ellison, mais cette curiosité ne sera pas si facile à assouvir.



Sur plus de 20 pages, Laurent Queyssi présente remarquablement Harlan Ellison, quelqu’un de très clivant. Une grande gueule, c’est le cas de le dire, qui s’est fait une place dans la société à force de travail. Écriture de nouvelles, de romans, d’articles, de chroniques, de scénarii pour la télévision ou le cinéma... il faisait feu de tout bois et son aplomb lui a permis de franchir bien des écueils. Sa vie a été mouvementée, plusieurs mariages, des procès pour protéger son œuvre, même ses employeurs pour un contrat pouvaient subir sa colère s’il n’était pas content du traitement. Travailler avec lui se faisait en conscience, sûrement dans l’attente que les bénéfices soient supérieurs aux inconvénients. Cet enfant terrible de la Science-fiction est d’ailleurs loin de se définir comme un auteur de SF, c’est vrai qu’il a officié dans bien des domaines. Un entretien datant de 2005 montre que son portrait n’est en rien noirci, que le bonhomme est cash, parle et agit sans filtre, pouvant s’en prendre à un fan demandant un simple autographe. Compensait-il sa petite taille par son sale caractère ? Vers la fin de sa vie, il a été diagnostiqué bipolaire, ce qui peut expliquer ses fréquentes sautes d’humeur. L’homme était complexe, talentueux, il va sans dire, travailleur, et bien sûr clivant. C’est sur la distance de la nouvelle qu’il s’exprimait le mieux, il en a écrit une quantité considérable avec souvent des titres chocs (ex : “Je n’ai pas de bouche et il faut que je crie” ou encore “Je vois un homme assis dans un fauteuil, et le fauteuil lui mord la jambe”). Toutefois, son nom ramène sans faillir à l’anthologie « Dangereuses visions » parue en 1967 et censée secouer le monde de la SF et le sortir du modèle Campbell. Erwann Perchoc la présente et comment passer à côté de son sommaire des plus prestigieux ! Ses ouvrages traduits en français sont chroniqués et Jean-Daniel Brèque donne un aperçu de son pan hors fiction. La bibliographie compilée par Alain Sprauel s’avère des plus impressionnantes, mais elle ne concerne que les traductions en français ! Une œuvre énorme, rien de moins.
Hors d’œuvre : “Jeffty a cinq ans”, oui et alors ? Cinq, dix ou même vingt ans plus tard, Jeffty, il a toujours cinq ans, au grand désespoir de ses parents. Heureusement il a toujours son ami Donny qui lui a grandi normalement et qui va petit à petit comprendre dans quel monde vit Jeffty. Harlan Ellison dresse très bien le portrait de ces années, de l’enfance et de sa magie que l’on perd en devenant adulte. Donny redécouvre cette époque oubliée et si enchanteresse. Une nouvelle poignante et attachante qui ne peut que donner envie de lire d’autres textes d’Harlan Ellison et qui prouve aussi que sa réputation de novelliste n’est en rien usurpée.

Le sommaire est agrémenté de trois autres beaux textes.
Alastair Reynolds nous immerge dans une “Capsule d’urgence”, abritant et soignant un soldat blessé. Il attend d’être extrait des zones de combats, mais la situation est tendue et il préfère prendre le contrôle du robot abritant la capsule pour se mettre en sécurité. Qu’est-ce qui sépare l’homme de la machine ? Le corps n’est-il pas un frein pour un combattant ? Un texte qui fait réfléchir, aussi bien sur la guerre que sur la forme qu’elle aura dans le futur.

Thomas Day semble retrouver le temps d’écrire, ce dont on ne peut que se féliciter. Dans un proche futur, la différence entre les riches et le reste de la population sera encore plus marquée avec le dérèglement climatique et son lot de tempêtes. Un sexologue découvre un autre univers au cours d’une mission qui n’est pas sans lui poser un cas de conscience, mais l’argent ne peut tout acheter, ce qui est tout à son honneur. “Un après-midi à l’@rboretum de Reykjavik” et le présent “L’âge des tempêtes” donnent l’impression que l’auteur s’est assagi, tourné vers un avenir qui n’attend que nous, mais il ne le fait pas sans mordant à l’occasion. Un registre qui lui va bien.

Pour l’instant, Suzanne Palmer est une parfaite inconnue chez nous. “Joe 33%” est son premier texte traduit en français avant le recueil « La vie secrète des robots » dans la collection Quarante-Deux du Bélial’. Joe n’est pas très doué comme soldat, blessé à de multiples reprises dès l’entame des combats, il n’en est pas moins toujours en vie, ses membres remplacés en partie par des implants robotiques communiquant entre eux. Ces derniers voient bien que ce n’est pas une vie pour Joe, qu’il ne peut continuer ainsi, sinon sa prochaine mission sera sûrement la dernière. Le début est un peu laborieux, mais le lecteur se prend vite au jeu avec ses implants agissant pour le mieux, alors que Joe veut absolument en découdre. Au final, un texte agréable et plutôt amusant.

Dans la rubrique “Scientifiction”, Fabrice Chemla étudie les drogues du désir, un article vraiment intéressant. Après de nombreuses recensions d’ouvrages parus souvent en marge, la parole est donnée à l’éditeur Lionel Évrard, s’occupant des éditions Flatland. Et comme c’est le premier numéro de l’année, ce « Bifrost » présente les lauréats du Prix des lecteurs catégorie Nouvelle francophone (comme pressenti, un prix de plus pour Audrey Pleynet) et catégorie Nouvelle étrangère (“Les nuits de Belladone” d’Alastair Reynolds). Bravo à tous les deux et rendez-vous à l’année prochaine, en espérant une plus grande mobilisation des abonnés).

Un très beau numéro, ce qui devient une habitude, avec un dossier très bien ficelé et des nouvelles fortes. Un seul bémol : allez trouver du Harlan Ellison après ça !


Titre : Bifrost
Numéro : 117
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Jean-Jacques Tachdjian
Illustrations intérieures : Al Dino, Olivier Jubo, Anthony Boursier et Sabine van Apeldoorn
Traductions : Laurent Queyssi (Capsule d’urgence), Jacques Chambon (Jeffty a cinq ans, tarduction révisée par Olivier Girard)) et Pierre-Paul Durastanti (Joe 33%)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 117, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : janvier 2025
ISBN : 9782381631592
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 200
Prix : 11,90€


Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
8 février 2025


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