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Géante Rouge n°32
Rédactrices en cheffes : Léa Fizzala et Pauline J. Bhutia
Fanzine, n°32, SF, décembre 2024, 192 pages, 11€

Dans l’éditorial, Léa Fizzala et Pauline J. Bhutia annoncent que ce numéro 32 de « Géante Rouge » est leur dernier. Après quatre années, elles préfèrent passer à d’autres projets. Pour cette dernière, elles ont choisi de mettre Audrey Pleynet en avant, ce qui est un bon choix, tant cette auteure a su imposer ces dernières années sa voix originale.



En entame, son grand œuvre « Rossignol » auréolé du prix Utopiales 2023 est présenté, avant qu’elle ne réponde à quelques questions retraçant son parcours. Pour ceux qui auraient tendance à le résumer à ce court roman, ainsi que pour tout apprenti auteur en herbe, sa lecture sera instructive à plus d’un titre. Elle relate d’abord la rédaction de son premier roman « Noosphère » qui lui a pris de nombreuses années et qu’elle a choisi de publier en autoédition suite aux refus essuyés. Puis elle a répondu à des appels à textes, se concentrant sur la forme courte pour affiner son écriture. C’est ainsi qu’Audrey Pleynet s’est faite remarquer jusqu’à « Rossignol » qui l’a inscrite dans une autre dimension encore. Une belle histoire qui montre qu’à force de travail, de remises en question, il est possible de percer dans le milieu de l’imaginaire français.
Sa nouvelle “Les questions que l’on se pose” expose les requêtes soumises à une Intelligence Artificielle. Au début, il s’agit surtout de questions commerciales liées à des études de marché, avant qu’il n’y ait une dérive, illustrant le changement de régime politique. L’IA assiste à cette évolution, s’interroge sur la pertinence des questions, sur la liberté, ainsi que sur les conséquences de ses réponses.
La forme de questions/réponses est parfaitement adaptée à ce récit montrant l’évolution totalitaire du pouvoir et la manière dont l’IA peut être utilisée, laissant tout sentiment de côté. Une nouvelle intelligente, un avenir effrayant, dépersonnalisé et qui n’est pas si loin...

Les deux rédactrices en cheffes s’inspirent justement de « Rossignol » pour signer deux articles. Le langage, la communication, le vivre-ensemble... autant de thèmes balayés dans “Paroles et paroles et paroles” de Léa Fizzala et “La cohabitation inter-espèces” de Pauline J. Bhutia.

Ce numéro de « Géante Rouge » est clairement coupé en deux par le dossier Audrey Pleynet. La première partie contient les nouvelles retenues pour l’appel à textes « cohabitation et vivre ensemble » axé sur des avenirs positifs et bien dans l’esprit de l’auteure invitée. La seconde est consacrée aux textes ayant obtenu un accessit au Prix Alain le Bussy 2024.

“Le silence en héritage” de Noé Natt se déroule sur une station. Ros et Valp échangent sur leurs vies, leur rôle dans la société, leurs désirs...
“Henry, Jass et tous les autres” de CM Deiana se passe après la fin du monde, s’attache à une communauté vivant quasi en autarcie et plus particulièrement à un petit groupe se rendant dans une ville voisine pour qu’une jeune fille puisse s’ouvrir au reste du monde d’après.
“Intelligence émotionnelle” de Delphine DD Desusclade met en scène Azadeh une jeune autiste s’attristant de ne pouvoir participer à la société en apportant quelque chose en retour de tout ce qui lui est fourni.
Ces trois textes sont peuplés de bons sentiments, mais il ne s’y passe pas grand chose pour éveiller l’intérêt. C’est trop lisse, trop plat et s’oublie assez rapidement.
Quant à la page d’archives d’Auriane Velten, comprenne qui pourra !

Plus prenant : “Somèj” de Chloé Chevalier et Élio Possoz qui suit la vie de Selma, ce qui permet d’assister à l’évolution de la société. Plus de contraintes, une liberté toujours plus grande où l’interdit n’a plus lieu d’être, ni les animaux de compagnie, ni les plantes d’intérieur. Posséder est devenu tabou pour cette génération qui a tendance à tout laisser filer, au contraire de la suivante qui redécouvre des concepts tels que la propriété. Le langage devient aussi toujours plus vague, les pronoms englobant un peu tout. La démarche s’avère intéressante et la durée permet d’appréhender les changements sociétaux et ses travers.

Marc Oreggia est celui qui met le plus de piment dans son texte avec de l’humour. Le Terrien Ouzbak franchit par manque de prudence un trou de ver et se retrouve loin dans l’espace au milieu d’espèces qu’il ne connaît pas, commettant en toute innocence plus d’un impair. “Comment peut-on être terrien ?” se lit avec le sourire, car l’auteur concilie bienveillance des extraterrestres avec balourdise terrienne.

Cette première partie met en scène des futurs positifs, use du iel et de l’écriture inclusive sans excès, mais que ça manque de peps dans l’ensemble ! L’ennui a tendance à prédominer dans la grande majorité et on est loin ici de rendre l’imaginaire enviable. Le sense of wonder est très souvent un des grands absents et c’est dommage. Certains textes de Solar Punk ou de Hope Punk parviennent à éviter cet écueil, mais la plupart peineront à contenter un lecteur féru du dépaysement offert par la Science-Fiction, qui trouvera plus de plaisir à parcourir les seconds accessits du Prix Alain le Bussy.

“Les araignées aussi ont froid la nuit” s’avère étonnante, car cette nouvelle se déroule dans un hôpital peu à peu envahi par la nature et, à défaut de soigner ses patients, il les accompagne dans leurs derniers instants. Quelle que soit son origine, chacun souffre avant la transition, comme pour expier les mauvais actes de sa vie. Une idée assez retorse, très bien mise en scène par Tom Hennequin.

Matthieu Estiez n’est pas en reste avec “Porteur”. Si le lecteur ne fait pas attention au titre, il met presque deux pages à comprendre qu’ici il n’est pas question des femmes portant la vie mais des hommes. Quelques élus abritent des anges en gestation ! Mais la mise au monde n’est pas sans risque vu la taille des anges et la façon dont ils s’extraient du corps. Sur fond de ferveur religieuse et de peur face à l’inconnu, une belle et surprenante inspiration.

Plus classique, “Écogenèse” de Sylvain Malfettes-Vinsonneau relate une expédition en surface pour entretenir le premier arbre poussant sur Mars au fond d’une crevasse. Le voyage permet de découvrir les étapes de la terraformation de la planète rouge et le temps long de rigueur pour parvenir au bout du processus. Efficace, car l’auteur montre comment ce terme est tangible avec ce fragile arbre poussant en solitaire.

Les expériences sur le Grand collisionneur de hadrons du CERN s’accompagnent d’effets collatéraux, de changements de la réalité que seules certaines personnes remarquent. Une fois alerté, le professeur en charge du projet fait attention à cet effet Mandela et, suite à des expériences mettant en jeu des énergies toujours plus puissantes, il décèle aussi des déviations, dont une d’importance. Il ne peut taire le phénomène ni les dangers de poursuivre les tests, même si cela doit lui coûter sa carrière. Sous le titre mystérieux mais bien trouvé de “Rendez-nous Tom Selleck”, Paul Simon montre, non sans humour, que la science n’est pas sans danger et que le carriérisme à tout prix ne peut tout justifier. Un récit très plaisant.

L’époque est à l’eugénisme, c’est-à-dire à l’amélioration des fœtus pour donner toutes les chances à sa progéniture de réussir dans la vie. Suivant les moyens, l’avenir diffère pour le moins. L’“Eugéno” Luna en veut à sa mère qui a fait une crise cardiaque juste avant un examen qu’elle a alors manqué. Du début du classement, elle est tombée à la fin, ce qui hypothèque ses chances de trouver une bonne situation. Un coup de pouce, même illégal, serait le bienvenu. Elle cherche à déjouer le hasard, mais Aude Lapadu-Hargues sait rendre les apparences trompeuses pour une ultime surprise finale. Un avenir souvent mis en avant, bien loin de l’appel à textes de ce numéro et qui apporte sa pierre à l’illustration des dérives d’un tel système.

Et ce numéro annuel s’achève par les multiples lauréats du Prix Pépin avec des catégories pour le moins loufoques (ex : Prix des sucettes à la menthe et à la réglisse). 300 signes, pas plus, et les auteurs font toujours preuve d’imagination plus ou moins inspirée pour rentrer dans ce cadre.

Un « Géante Rouge » à deux faces : l’une bien plus agréable à parcourir, car laissant l’imagination s’exprimer librement (Prix Alain le Bussy), que l’autre qui manque de relief comme si le sujet bridait la plupart des auteurs. Toutefois, la présence d’Audrey Pleynet fait largement pencher la balance du côté positif.


Titre : Géante Rouge
Numéro : 32
Directeur de publication : Pierre Gévart
Rédactrices en cheffes : Léa Fizzala et Pauline J. Bhutia
Couverture : Pauline J. Bhutia
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Géante Rouge
Dépôt légal : décembre 2024
ISSN : 1778-011X
N° ISBN : 9782376252399
Dimensions (en cm) : 13,4 x 21
Pages : 192
Prix : 11€


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
22 janvier 2025


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