On en avait pris plein les yeux avec « Darien », l’auteur remet le tapis sur le métier avec « Shiang ». Et il commence avec l’humain, avant le spectaculaire : Taeshin, guerrier Mazer prometteur, souffre d’une tumeur inopérable. Marias, son esclave, l’aime en silence, mais craint aussi pour son avenir : si son maître meurt, qu’adviendra-t-il d’elle ?
À Darien, le vieux Tellius est passé de la rue aux plus hauts sommets du pouvoir suite au coup d’état raté. Désormais consort de Dame Sallet, et avec Arthur sur le trône, il est l’homme-clé de la cité, mais derrière ses responsabilités et le jeu politique on le voit surtout éperdument amoureux de Win, dont il admire la force et la finesse politicienne, mais aussi l’humanité qu’elle cache derrière son masque public.
Enfin, un autre « vieux » est sur le devant de la scène : Hondo, le saint des lames dépêché par l’empereur de Shiang. Le guerrier part pour un voyage éprouvant et ressent toutes les petites misères de l’âge tandis que le froid, la fatigue puis l’épuisement lui tombent dessus. Mais seul son devoir importe. C’est aussi ce qui lui fait supporter l’attitude désinvolte de Bosin, le 4e guerrier de leur expédition, à l’exact opposé de son stoïcisme.
Je dirais bien qu’on finit par éprouver quelque compassion pour Gabriel et ses comparses, par la faim dévorante qui les anime, par cet appel lancinant qui les contraint à rejoindre Darien. Mais ils débordent de puissance, de pouvoir, et de violence, semant la mort derrière eux... Seules les miettes de Taeshin qui s’accrochent à Gabriel permettent, au fil des mots qui lui échappent parfois, des soins qu’il a pour Marias, d’espérer qu’il subsiste un espoir de revoir le jeune guerrier dans son corps.
« Shiang » est donc le récit de trois urgences : Tellius doit unifier les Douze Familles de Darien pour organiser sa défense contre ce péril prophétisé ; le groupe d’Hondo doit accomplir la volonté impériale et ramener Tellius ; enfin Gabriel et les autres revenants doivent mettre la main sur les pierres de pouvoir. On le comprend très vite, mais pas complètement : Tellius est plus que jamais le catalyseur de cette histoire, et le retournement qu’il provoque en reconnaissant le sabre de son neveu à la ceinture de Gabriel, au tout début des échauffourées, est un de ces petits frissons littéraires fort appréciables de la fantasy. L’auteur nous fait mariner quelques pages (nous, les longs à la détente) avant de transformer deux problèmes en une solutions flamboyantes.
Et puis c’est l’apocalypse, tandis que les revenants affrontent les pouvoirs des Familles. Les « supers » de « Darien » étaient déjà impressionnants, leur capacité à renverser le cours des choses proprement fabuleuse ; ici c’est un climax magistral qui oppose trois demi-dieux aux défenseurs de la cité.
Un autre combat se déroule simultanément, dans un Enfer de guerriers, là où les âmes des revenants ont été repêchées, là où gît Taeshin, qui rappelle que guerre et violence sont éternelles autant que vaines.
Dans ce déferlement de puissance, ce seront les détails, les oubliés qui feront la différence, comme Marias ou l’Idiot, le quatrième revenant coincé dans l’esprit vide d’un clodo alcoolique. Iggulden joue avec maestria de nos émotions, fait basculer l’avantage jusqu’aux dernière lignes du combat, et nous laisse haletants, comme si nous avions nous aussi combattu, étions tombés puis relevés. La conclusion en 6 lignes est quasi un hommage à David Gemmell, friand de cette brutalité à nous couper une dernière fois le souffle.
Heureusement pour nous, il reste un dernier volume, « Le Saint des Lames ». Et un nouveau péril à venir pour la capitale du sel.
Je me répète un peu avec la chronique de « Darien », mais on sent dans ces volumes la jubilation de l’auteur de roman historique de lâcher la bride de son écriture, de mélanger sans frein éléments classiques de la fantasy et influences plus super-héroïques, dans une narration très visuelle mais qui fait toujours la part belle à l’introspection de ses personnages souvent taiseux.
Titre : Shiang (shiang, 2018)
Série : Les Prodiges de l’Empire (empire of salt), tome 2/3
Auteur : Conn Iggulden
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Olivier Debernard
Couverture : Julien Delval
Éditeur : Le Livre de poche (édition originale : Bragelonne, 2019)
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 36942
Pages : 440
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782253012603
Prix : 9,40 €