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Dernier meurtre au bout du monde
Stuart Turton
Sonatine, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), policier/anticipation, 440 pages, octobre 2024, 24 €

Après « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle » (un récit policier dans une étrange demeure où les personnalités passent de corps en corps), après « L’étrange traversée du Saardam » (une investigation peu ordinaire dans un navire marchand des Indes néerlandaises au dix-septième siècle), voici un troisième « whodunit », cette fois-ci sur une île… Mais pas n’importe laquelle.



Cette île, qui n’a pas de nom, c’est le tout dernier territoire sur lequel vivent encore des êtres humains. Des humains qui, rapporte l’histoire, ont presque entièrement disparu de la surface du globe quatre-vingt-dix ans auparavant, suite à l’ouverture de failles un peu partout dans l’écorce terrestre, par lesquelles s’est dégagé un mystérieux brouillard tueur auquel pratiquement personne n’a pu échapper.

N’ont donc pu survivre que quelques dizaines d’individus, l’équivalent d’un village, dans une île cernée par ce mystérieux brouillard, relégué à courte distance par un dispositif technologique. Une île dont les montagnes ont autrefois abrité le centre de recherches souterrain Blackheath, à présent définitivement inaccessible, mais au-dessus duquel a subsisté le Chaudron, un dôme peuplé de fleurs et d’animaux fabuleux. Ces montagnes sont accessibles par un téléphérique qui correspond à une ancienne attraction touristique.

« Toute leur vie, j’ai chuchoté dans leur esprit, pour les guider, les inciter à faire preuve de bonté et d’altruisme. J’ai soigné leurs blessures et émoussé les bords tranchants du monde en leur signalant tous les dangers. Soudain les certitudes sur lesquelles ils savaient qu’ils pouvaient s’appuyer se sont évaporées. Comme s’ils venaient de découvrir qu’ils vivaient sur un bloc de glace en train de fondre sous leurs pieds. Ils coulent, et je n’ai pas de mains pour les sortir de l’eau. »

Mais les choses, on s’en doute, ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent être. On ignore qui est le narrateur omniscient, qui semble-t-il est capable de murmurer dans l’esprit même des habitants de l’île, une entité nommée Abi, peut-être une intelligence artificielle. Une entité qui dit ne rien pouvoir lorsque les machines protectrices tombent en panne et que le brouillard mortel se rapproche des côtes, inexorablement. Des machines qu’elle ne pourra remettre en route que lorsque le coupable du meurtre qui vient de secouer l’île et ses habitants aura été identifié.

« Elle ne comprend pas que le village est une machine dont chaque habitant est un rouage. Tant qu’il perdure, l’humanité survivra. »

Le meurtre, c’est celui d’une des scientifiques de l’île. Les scientifiques, pour la plupart, sont des survivants de la catastrophe, dotés grâce aux nanotechnologies disparues d’une espérance de vie improbable. On connaît Stuart Turton : si l’enquête peut sembler classique, les surprises le seront beaucoup moins.

« J’ai vu des centaines de futurs s’effriter puis s’écrouler. Il n’y a qu’un seul chemin qui nous conduira là où nous devrons aller.  »

Beaucoup moins, parce que l’univers bâti par l’auteur est en tous points atypique. Très tôt, dès les premiers chapitres, le lecteur croit deviner un univers virtuel, une expérimentation, une simulation informatique réitérable, réinitialisable et rejouable avec une modification des paramètres. Ou un univers-simulacre à la Philip K. Dick. Mais, en suivant le chapitrage qui est aussi le numérotage, à rebours, du nombre d’heures séparant l’humanité de son extinction définitive, le lecteur, allant de surprise en surprise, réalisera que les choses sont loin d’être aussi simples.

«  Les secrets de cette île ont des dents, et ils n’aiment pas être tirés de leur tanière et exposés au grand jour. »

Un lecteur, qui, en suivant l’enquête menée par deux personnages, Emory et sa fille Clara, pourra se torturer les neurones et s’arracher les cheveux sans jamais rattraper l’auteur qui, détenant les clefs invisibles d’une intrigue machiavélique, aura toujours quoiqu’il arrive plusieurs coups d’avance. Là est, peut-être, le principal reproche que l’on peut faire aux aspects logiques du roman : en s’autorisant milles ruses grâce à cet univers atypique dans lequel une entité est capable de générer des amnésies chez ses personnages, qui donc peuvent chacun être coupables sans le savoir (nous ne révélons ici qu’une seule des complexités de l’affaire), Stuart Turton a toute facilité pour mener le lecteur par le bout du nez et le conduire à errer de fausse piste en fausse piste. Mais les surprises et les révélations – et pas des moindres – seront bel et bien au rendez-vous.

Il y a dans ce « Dernier meurtre au bout du monde  », avec des psychologies assez simples qui par moments peinent à convaincre et un aspect un peu sirupeux sur la fin, un petit goût de littérature jeunesse. Mais on trouve aussi, car à chaque fois « La vérité est ailleurs », les ambiances de ces séries télévisées où toujours les explications semblent proches mais où le mystère n’en finit jamais de se raviver. Moins bluffant peut-être que « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle », ce « Dernier meurtre au bout du monde », où la recherche du coupable s’accompagne d’une enquête sur les fondements mêmes du réel, apparaît néanmoins, au final, comme plus et mieux qu’un simple whodunit.


Titre : Dernier meurtre au bout du monde (The last murder at the end of the world, 2024)
Auteur : Stuart Turton
Traduction de l’anglais (États-Unis), l’anglais (Grande-Bretagne) : Cindy Colin Kapen
Couverture : David Manu / Rémi Pépin
Illustration intérieure : Emily Faccini
Éditeur : Sonatine
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 440
Format (en cm) : 14 x 22
Dépôt légal : octobre 2024
ISBN : 9782383991700
Prix : 24 €


Stuart Turton sur la Yozone :

- « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle »



Hilaire Alrune
19 novembre 2024


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