Au-delà de son astucieux titre en écho au Chemin des Dames, « Le Chemin de la Dame » est un très bon roman historique sur l’arrière pendant la Première Guerre mondiale, teinté de fantastique celtique.
Les collégiens (et pas que) apprécieront un matériau plus romanesque pour éclairer leur cours d’Histoire du XXe siècle, les spectateurs de l’excellent feuilleton « Un village français » (sur la Seconde Guerre mondiale) retrouveront toute la noirceur dont l’Homme est capable en ces temps sombres, et les lecteurs de fantastique ne seront donc pas en reste, avec des loups géants, des esprits égarés et des druides. La couverture magnifiquement composée de Pierre Gaux donne à voir tous ces éléments, et les touches dorées du vernis sélectif achèvent de la rendre captivante.
Cela commence donc par ces enfants qui, dans un jeu de transgression, guettent la Dame Verte, mi-fantôme mi-légende, qu’on dit être une ancienne châtelaine, suspectée d’adultère ou de sorcellerie, bannie dans les bois par son mari. À moins qu’elle ne fut qu’une femme trop libre pour son époque, à qui on a enlevé son enfant.
Et pour avoir exaucé le vœu d’Antoine, elle réclamera un jour son prix. L’enfant, bègue, grandit avec la culpabilité d’avoir causé la mort de son père.
Et à son retour du front, amputé d’un bras, on découvre que le petit village breton n’est pas si charmant que cela, le père violent n’étant qu’un parmi d’autres. Les hommes laissés derrière, non enrôlés, ne valent guère mieux, voire pire : le maire en profite pour racheter à prix les terres aux veuves, ces deux fils sèment la terreur au village, sûr de la protection et l’autorité paternelle. L’instituteur, le père d’Hélène, n’est guère plus progressiste, sa réaction à la grossesse hors mariage de sa fille lui fait tracer un trait sur toutes les qualités qu’elle peut montrer. Ne parlons pas du curé, prompt à menacer de l’enfer, et intéressons-nous plutôt aux femmes.
Car ce sont elles qui ont la part belle, elles qui font tourner le monde en l’absence des hommes, des pères et des fils envoyés à la boucherie. Les mères d’Antoine et de Lucie, la grand-mère, indéracinable de leur terre, de leurs fermes voisines. La tante du jeune homme, qu’on découvre plus tard, car elle est marginalisée : herboriste, elle vit dans la forêt. Personne ne fait mine de la connaître mais beaucoup ont recours à ses services, comme le découvre Hélène lorsqu’elle va la voir pour « régler son problème ». Pour les plus jeunes, c’est temps du combat pour l’émancipation, le droit de vivre comme elles l’entendent, de travailler,, car je vous rappelle qu’à l’époque, une femme n’existe qu’à travers l’homme qui gère sa vie, père, frère ou mari...
Et puis il y a Séraphin, le petit voyou du village, né de père inconnu, un peu voleur, qui prend des coups mais refuse de baisser la tête, refuse qu’on insulte sa mère...
Au fil du roman, Marie-Noëlle Pichot brosse un tableau complet des caractères humains, des personnages profondément vrais, avec leurs secrets, leurs forces et leurs faiblesses, dans un microcosme où tout le monde se connaît, et où on n’ébruite pas ce qui se passe chez soi.
Tandis qu’on voit Antoine revenir à la vie civile, s’habituer à sa prothèse, au regard des gens sur ce bras artificiel, à celui de Lucie qu’il aime sans lui dire depuis leur adolescence, pendant qu’Hélène lutte avec elle-même pour garder ou « faire passer » l’enfant de son bien-aimé Michel, des choses rôdent dans la forêt, des crimes ont lieu au village, des vols, un début d’incendie. Des forces surnaturelles sont à l’œuvre, et là encore l’autrice fait merveilles en mêlant des créatures mythiques inspirées du folklore breton, comme des chiens infernaux immortels, à des choses plus contemporaines, comme un fantôme né des champs de bataille. Comme le dit la tante d’Antoine, une telle violence, un tel holocauste, un tel sacrifice de sang humain appelle forcément des forces maléfiques à la surface.
Entre fausses accusations contre Séraphin et battues sanglantes pour débusquer les bêtes, nos quatre jeunes gens, guidés par la Gardienne de la forêt, vont tenter de bannir les monstres et refermer le seuil infernal. Peut-être, aussi, apaiser la Dame Verte, et l’empêcher de nuire également. En apparence faibles et éclopés, nos quatre héros vont se voir investis de pouvoirs en partie magique pour mener à bien cette mission fort dangereuse, qui mettra à l’épreuve leur volonté et les forces, les amenant à se passer, à s’affirmer, à surmonter leurs peurs et leurs traumas.
Au matériel historique et social très réaliste et vraisemblable, souvent âpre et cruel, s’ajoute donc une solide trame fantastique, entre légendes traditionnelles et accents plus contemporains (Donjons et Dragons et super-héros), qui ainsi entremêlés forment un roman captivant, laissant son lectorat toujours sous tension, car le Mal peut hélas venir de partout et frappe sans pitié les gens de bien comme les pécheurs, surtout quand justice et morale ne sont pas synonymes. Au milieu de tout cela, on a quand même quelques respirations, quelques rayons de soleil, avant que s’amoncellent à nouveau les nuages, plus noirs que jamais.
Extrêmement dense, avec plein de personnages (tout un village, pensez donc !) liés par le sang ou les secrets, des héros amochés par la guerre ou la société patriarcale, des amitiés qui renaissent et des masques qui tombent, « Le Chemin de la Dame » est une nouvelle pépite de la collection Électrogène, un roman à mettre entre de nombreuses mains et qui fait honneur aux deux genres qu’il entremêle.
Titre : Le Chemin de la Dame
Autrice : Marie-Noëlle Pichot
Couverture : Pierre Gaux
Éditeur : Gulfstream
Collection : Électrogène
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 412
Format (en cm) : 22 x 14 x 3,5
Dépôt légal : août 2024
ISBN : 9782383493440
Prix : 20 €