J’ai découvert Cécile Corbel avec son troisième ou quatrième songbook, et dès lors elle n’a plus quitté mon univers sonore. Le grand public l’aura découverte avec la BO d’« Arrietty » du Studio Ghibli, en 2011, ou bien lorsqu’elle signe ensuite avec Polydor en 2014 avec « La Fiancée » qui bénéficie d’une promo nationale importante.
Chaque disque va toujours un peu plus loin, la harpe n’est plus seule mais entourée d’un quatuor. Les racines celtiques se répandent à travers le monde, comme dans « Vagabonde » (2016), mais les sons et le texte ne s’éloignent pourtant jamais vraiment de la Bretagne originelle.
En plongeant dans cette Matière de Bretagne, c’est donc à un retour aux sources, à un imaginaire collectif vivifié par les multiples adaptions récentes (du « Kaamelott » d’Alexandre Astier aux séries anglo-saxonnes « Merlin », « Camelot » ou « Cursed » pour ne citer que les portages à l’écran) que nous entraine la harpiste.
- Dame du lac ?
Les titres font la part belle aux héros légendaires, et mettent d’abord en valeur des femmes au destin contrarié et tragique, “Demoiselle” Viviane captive de son lac, outil du destin des autres, et “Morgane”, solitaire et triste malgré sa puissance. Plus loin, j’aime beaucoup la douce “Une Reine”, dont le refrain « Mais moi si j’avais une épée... » joue avec l’hypothèse qu’Excalibur aille à une femme (comme dans « Cursed » ou « Morgane Pendragon » de Jean-Laurent Del Socorro), et l’usage moins guerrier, plus juste et protecteur qu’elle pourrait en faire.
“Folle pensée” revient sur les épisodes d’amnésie de Merlin, et elle donne à y voir un personnage fragile malgré sa puissance, plus perdu qu’on a pu le voir par exemple dans « Cursed ». C’est aussi la première à employer le mot de prière, qui résonnera avec les références au sacrifice du Christ dans “La Porte est en dedans”, qui clôt le disque. On a tendance à l’oublier, dans notre époque culturellement marquée par la fantasy, tant c’est parfois ténu dans les avatars récents, et même si cela peut sembler évident : la quête du Graal est une quête chrétienne, et toute la légende arthurienne est la bascule des anciennes croyances, du druidisme et des fées vers de nouveaux oripeaux, ceux de la foi chrétienne et des miracles de ses Saints.
C’est ce que Cécile Corbel met en avant dans ses textes : cette transition, cette fusion entre les deux fois, tel que mis en lumière dans les peintures et vitraux de l’église de Tréhorenteuc : des motifs cohabitent entre les deux croyances, comme le grand cerf blanc traqué par le roi chasseur. Elle revient sur des épisodes marquants, comme le banquet du “Roi Pêcheur” avec une mélodie assez enlevée, presque dansante, ou, de manière allusive, la mort du roi à Avalon. dans ’“Arthur”. Sur le même registre mélancolique, “Trois gouttes de sang”, autour de Perceval, est également très belle.
Deux très belles ballades nous parlent d’amour, “Tristan & Yseult” et la chanson de Lancelot, “Dans les Yeux de ma Reine”, dont la douceur aérienne semble tenir à la seule voix de l’artiste et quelques notes de harpe, tant le violon reste discret en fond.
Enfin, je n’ai pu que réprimer un frisson (un de plus) dès les premières notes du “Roi des Fées”, reprise en français du “King of the Fairies” de son album « Renaissance (Songbook 3) » dont l’envolée de notes au début de chaque couplet et du refrain vous fait des papillons dans le ventre. Et qui me remémore l’excellent « Thomas le rimeur » de la non moins talentueuse Ellen Kushner d’après le poème de Keats.
Tous les textes qui accompagnent les paroles des chansons, je l’écrivais plus haut, ne se content pas de raconter la ou les légendes qui ont servi d’inspiration : Cécile Corbel y dit le croisement d’influences qui ont guidé son écriture, les thèmes qui les sous-tendent. Ils sont d’autant plus agréables et intéressants si vous avez déjà une petite culture sur le sujet, quelle qu’elle soit (que vous ayez lu Chrétien de Troyes en français modernisé ou juste des recueils arthuriens sous forme de contes).
Et encore une fois, c’est illustré de crayonnés et de fusains parfois rehaussés de quelques gouttes d’aquarelle, pour acheter d’en faire un bel objet pour les yeux et pas seulement pour les oreilles.
Vous l’aurez compris, je suis probablement un peu partial à faire l’éloge d’une artiste que j’aime beaucoup s’emparant d’un univers que j’apprécie tout autant.
Et si La Porte est en dedans, « Graal » est sans nul doute la porte pour découvrir toute la discographie de Cécile Corbel, qu’elle chante en français, anglais, breton ou japonais.
Graal
livre : album hardcover, 54 pages, format 25x17cm, 9782364990999, 25€
CD : 12 pistes, 40min env.
Pistes :
Demoiselle (La Ballade de Viviane)
Morgane
Folle Pensée (Merlin)
Tristan & Yseult
Le Roi S’en Va Chasser
Le Roi Pêcheur
Trois Gouttes de Sang (Perceval)
Dans les Yeux de ma Belle (Lancelot)
Arthur
Une Reine
Le Roi des Fées
La Porte Est En Dedans
Liens :
des extraits à écouter sur le site de Bayard Musique
Le site officiel de Cécile Corbel
le clip de « Le Roi s’en va chasser »