Napoléon s’est cassé une première fois les dents dans sa conquête de la Russie, mais pas une seconde fois dans cette uchronie qui débute le 13 septembre 1824 avec la signature du traité de Niji entre le tsar Alexandre Ier et Napoléon. C’est Melchior, « L’automate de Nuremberg » conçu comme joueur d’échecs qui raconte l’histoire à travers son journal. Cet automate, véritable prouesse technique, est l’œuvre de Viktor Hauser de Nuremberg, inventeur, alchimiste... et qu’il considère comme son père. Maintenant qu’il est libéré de ses obligations envers le tsar, il souhaite le retrouver pour le questionner, notamment pour savoir s’il dispose ou non d’une âme. Le cosaque Igor Derevko dévasté par la mort de sa femme qu’il délaissait pourtant et animé par le même doute l’accompagne.
Melchior est limité en taille, en autonomie, il ne dispose que du sens très limité de la vue. Il lit sur les lèvres de ses interlocuteurs, n’ayant que quelques paroles enregistrées sur des cylindres pour leur répondre. Aussi a-t-il développé l’écriture pour se faire comprendre. Ces extraits de son cinquième journal permettent de l’appréhender avec ses limites, ses forces, lui qui est unique et comprend que s’interroger revient déjà à quitter le rang des machines. Il veut retrouver son créateur pour obtenir des réponses, mais une fois qu’il comprend que ce n’est plus possible, il gagne réellement son indépendance, devient autonome, devant avancer seul dans la vie, mais toujours accompagné de Derevko qui s’accommode de son rôle de garde du corps. Nuremberg, l’Angleterre, l’Afrique : son parcours le change, il évolue, trouve un allié et devient une personne influente dans la société, même si sa condition d’automate rend certains interlocuteurs méfiants. Melchior a beau améliorer ses capacités, il n’en reste pas moins fragile, soumis à autrui pour remonter son mécanisme, ce qui constitue sa grande faiblesse.
Ce versant du récit s’avère passionnant, notamment par son pan uchronique et son personnage terriblement humain par bien des côtés.
Mais Melchior n’est pas seul, il appartient à une trinité sans en avoir conscience. S’il se connaît un frère humain, Kaspar, il ignore le troisième sommet de cet étrange triangle sur lequel il y a beaucoup à dire. Entre les lignes de Melchior qui a les pieds sur terre, les propos de cette troisième entité s’avèrent déroutants jusqu’à percer son véritable état et son but. C’est là que le lecteur découvre le génie et la folie de Viktor Hauser, qui s’est arrogé le droit de vie et de mort, voulant tutoyer le divin.
L’histoire est belle, la rencontre entre Melchior et Balthazar, les deux créations de Viktor Hauser, s’avère inéluctable et sert de point d’orgue à cette chronique d’une mort annoncée. Le seul être véritable, Kaspar, ne joue qu’un rôle mineur, témoin de la faiblesse de la chair et des restrictions humaines. Cette uchronie se lit d’une traite, suit un personnage mécanique formidable qui dépasse son simple rôle de joueur d’échecs et fait rapidement oublier sa condition d’automate. Le contrepoint offert par son frère Balthazar donne encore plus de relief à la novella, les trois patronymes sont loin d’être anodins, et l’ensemble est baigné d’une certaine spiritualité, placée sous le signe de la trinité.
« L’automate de Nuremberg » est un grand texte de Thomas Day, jouant sur bien des registres et pétri de qualité. À lire et à relire pour en appréhender toute la richesse.
Titre : L’automate de Nuremberg
Auteur : Thomas Day
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’ (1ère édition : Folio 2€, 2008)
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 53
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 106
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : août 2024
ISBN : 9782381631431
Prix : 9,90 €
Thomas Day sur la Yozone :
un entretien avec Gilles Dumay
« Dragon »
« 7 Secondes pour devenir un aigle » (Le Bélial’)
« Sympathies for the Devil » (Folio SF)
« Du Sel sous les Paupières » (Folio SF)
« La Cité des Crânes » (Le Bélial’)
« Le Trône d’Ébène : Naissance, Vie et Mort de Chaka, roi des Zoulous » (Le Bélial’)
« L’Automate de Nuremberg » (Gallimard, Folio 2€)
« La Maison aux Fenêtres de Papier » (Folio SF)
Derniers titres chroniqués de la collection :
39. « La millième nuit » d’Alastair Reynolds
40. « La Maison des Jeux, tome 2 : Le voleur » de Claire North
41. « L’Héritage de Molly Southbourne » de Tade Thompson
42. « La Maison des Jeux, tome 3 : Le maître » de Claire North
43. « Connexions » de Michael F. Flynn
46. « Le dernier des Aînés » de Adrian Tchaikovsky
47. « La peste du léopard vert » de Walter Jon Williams
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
50. « De l’espace et du temps » d’Alastair Reynolds
51. « La marche funèbre des marionnettes » d’Adam-Troy Castro
52. « Kid Wolf et Kraken Boy » de Sam J. Miller
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