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À Bras Raccourci
Mark Haskell Smith
Gallmeister, Totem, roman (USA), thriller, 376 pages, juin 2022, 11€

Lorsqu’un bras coupé et couvert de tatouages érotiques arrive dans à la morgue de Los Angeles, Bob a un crush pour une fille encrée dessus. Aussi, quand des mafieux mexicains lui demandent « gentiment » de leur donner le bras, il accepte sans rechigner, à condition qu’on lui présente le modèle.



Je suis désolé, je lis Mark Haskell Smith à rebours. Après « Elephant Crunch », puis ses « Mémoires », je rattrape mon retard avec ce « À Bras Raccourci » qui aligne les situations aussi ubuesques que ses personnages.
Je commence à cerner la recette, et l’apprécie toujours autant : prenez des gens en apparence normaux, avec cette petite faille qu’on a tous au fond de nous, ce plaisir coupable, cette passion secrète, cette envie parfois de tout envoyer promener et vivre ses rêves.

Bob a un boulot peinard dans une morgue. Il est en couple avec Maura, une fille canon mais qui officie comme coach sexuelle, et rentre un peu dégoutée des membres masculins. Parmi ses patients elle a un critique gastronomique de renommée nationale, mais donc un peu mou du sifflet. Côté mexicain, on a un Don Esteban vieillissant qui pense de plus en plus sérieusement à la retraite, ambiance « trop vieux pour ces c...ries » et que cette histoire va achever de décider, Martin son bras droit, un petit avocat blanc aux dents qui rayent le parquet, et des seconds couteaux pas toujours bien affûtés. Dont Amado, un tueur, donc, qui oublie son bras sur une scène de crime, preuve que là aussi il est temps de passer... à autre chose, en l’occurrence il se voit bien scénariste de sa télénovela préférée qui vire au grand-guignol depuis quelques semaines. Enfin, on a un flic, un bon flic, peut-être même trop bon, qui espère coincer le Don, ne lâche pas l’affaire comme un chien son os.
Et pour brouiller les pistes, les mafieux ont une idée de quasi-génie : remplacer le bras tatoué par un autre. Les voilà kidnappant un type au hasard, l’emmènent se faire tatouer complètement shooté, avant de le flinguer et lui couper le bras. Hop, ni vu ni connu.
Sauf que le type est un critique culinaire un peu connu...

Conformément à la loi de Murphy, tout ce qui qui peut aller en empirant, empirera forcément, au plus mauvais moment. Cela nous donne un festival de situations aussi tendues pour les personnages que désopilantes pour les lecteurs, d’autant qu’on devine parfois où les faisceaux vont se croiser... La scène de la chambre d’hôpital, dans les derniers chapitres, est un festival qui ferait passer la fameuse impasse mexicaine pour de la petite bière.
Et en même temps, c’est beau, presque attendrissant de voir chacun courir après son rêve, qu’il soit avouable ou non. Même si Martin, en recherche de reconnaissance familiale, est un sale putois prêt à toutes les trahisons, on ne peut pas totalement lui en vouloir de chercher à briller aux yeux de ses géniteurs. Si son bras lui manque et qu’il a du mal à s’en séparer (même si, de fait...), Amado sentait bien qu’il était temps de changer de carrière, et se jette sans filet dans son projet de scénario. La réponse que lui feront les studios nous tirera des larmes de bonheur (on se rappelle, c’est de la fiction, ça ne se passe hélas pas comme ça dans la vraie vie). Même Maura qui vit une étrange aventure et se découvre une irrésistible, quoique malsaine attraction pour les armes à feu...

« À Bras Raccourci » est bourré d’un humour de situation et d’une certaine tendresse (notamment dans l’acceptation de Bob dans le cartel) qui font passer les quelques scènes de violence physique nécessaires à cette histoire, tout comme le sexe qui épice tout cela, des cours de masturbation de Maura à la rencontre tant attendue avec le modèle du tatouage. C’est une histoire de sexe et d’amour, de pouvoir, de violence et de bonheur. Et superbement racontée.

Tout cela est tarantinesque à foison, du pur MHK donc, le télescopage entre des vies pas toutes du même côté de la loi mais toutes aspirant à un certain bonheur. C’est comme un puzzle, chaque pièce est à sa place, dévoilant peu à peu des détails terrifiants pour la suite, mais le tableau final, dans son ensemble, respire une certaine plénitude. Bon sang, il y a même un happy end général (enfin, sauf pour les défunts, bien sûr) qui nous sidère tant on ne l’espérait pas au milieu des balles perdues : chacun des vivants finit avec son amour et tout est pour le mieux.


Titre : À Bras Raccourci (moist, 2002)
Auteur : Mark Haskell Smith
Traduction de l’anglais (USA) : Stéphane Carn
Couverture : Rui Ricardo
Éditeur : Gallmeister (édition originale : Rivages, 2004)
Collection : Totem
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 251
Pages : 376
Format (en cm) : 18 x 12 x 2
Dépôt légal : juin 2022
ISBN : 9782351788196
Prix : 11 €



Nicolas Soffray
15 décembre 2024


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