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Armand le bagnard
André Bendjebbar
Pocket, n°19365, biographie romancée, 411 pages, mai 2024, 8,60€

L’Histoire et la légende sont riches en récits de prisonniers évadés des bagnes de Guyane, qui ont réussi à revenir au pays ou, plus souvent, se sont fait des situations dans divers pays d’Amérique du Sud. Si Henri Charrière, alias Papillon, est connu de tous, il est aussi, d’une certaine manière, l’arbre qui cache la forêt. Parmi ces bagnards un moment connus des amateurs de faits divers, puis tombés dans l’oubli, on trouve le cas du Lillois Armand Spilers condamné en 1925 à dix ans de travaux forcés, mais qui n’avait pas l’intention d’en faire autant…



Le parcours d’Armand Spilers, du moins à ses débuts, est tristement classique. Ouvrier, pauvre, marié avec enfant, il se laisse aller à des menus larcins, puis se met à « visiter » les maisons des riches, vole tout ce qu’il peut. Et finit par se faire serrer à l’occasion d’un casse raté, et par se voir condamné à dix ans de travaux forcés. Il passe alors par de multiples prisons, Douai, La Rochelle, l’île de Ré, puis le fameux camp de la transportation à Saint Laurent du Maroni, à l’ouest de la Guyane, puis la non moins fameuse île Royale. Prisonnier exemplaire, il se retrouve assigné à résidence à Cayenne. Suite à une évasion ratée il sera transféré vers une autre des îles du Salut, l’île Saint Joseph, puis au Camp des Roches proche de Kourou, où, redevenu prisonnier exemplaire, il se retrouvera chalandier sur le fleuve éponyme avant sa seconde évasion guyanaise, réussie celle-là, mais épique : plusieurs de ses compagnons d’évasion mourront de privations au cours de leur périple en canot qui, après une brève escale à Trinidad, les emmènera au-delà du Venezuela, leur destination initiale, et leur permettra de toucher terre en Colombie.

« S’ils entendent “panoptique de Tunja”, certains prisonniers meurent de peur, d’autres perdent la raison lors de leur admission, et seuls les morts-vivants racontent ce qu’ils ont vu dans cette prison. (…) Tu ne sortiras d’ici que si tu prends la main du diable, la main du fantôme du panoptique. »

C’est alors pour Armand Spilers le début d’une nouvelle odyssée, celle d’un vagabond cherchant en vain de l’aide auprès d’autres bagnards évadés et installés en Colombie, se débrouillant pour avoir de faux papiers suffisamment convaincants pour faire illusion, travaillant, multipliant les métiers, chapardant ici et là, se retrouvant en prison à Santa Marta, puis à Frontinos, s’en évadant, puis se trouvant une fois encore emprisonné au pénitencier de Tunja, dont il s’évade également.

« Va, fais comme les conquistadors, les religieux et les trafiquants de jadis, longe le fleuve de l’or et de l’argent, prends la route des Andes elle te sauvera. »

Il passe au Pérou, devient chercheur d’or, obtient de faux papiers espagnols, rentre en Espagne, regagne la France. Y retrouve son épouse Léontine, sa fille, repart un moment en Espagne, puis reprend dans son pays d’origine une existence paisible sous un faux nom. Hélas, à l’occasion d’une altercation banale, le voilà reconnu par la police. Arrêté, emprisonné à la Santé, il se rend coupable d’une évasion particulièrement spectaculaire – une évasion considérée comme impossible. C’est à ce moment, sans doute, que naît réellement la légende d’Armand Spilers, qui s’est déjà évadé bien des fois. Un casse meurtrier plus loin, sa cavale prend l’eau : il se fait de nouveau serrer en 1936, échappe de justesse à la peine de mort et après avoir fait à sa femme la promesse de ne pas s’évader, sort en 1953, en reprend pour trois ans pour un larcin ridicule, est libéré définitivement en 1957, pour ensuite rester dans le droit chemin jusqu’à sa mort, en 1980.

Belle idée de la part de l’historien André Bendjabbar que d’avoir exhumé ce personnage pour une biographie vivement contée dont les quatre cents pages s’avalent d’une traite. Certains passage en Amérique du Sud semblent très résumés, la faute sans doute à une carence de sources et au fait que Spilers ne se soit pas étendu sur certaines périodes de son existence dans ses mémoires. Depuis Henri Charrière, on sait ce qu’il en est : beaucoup ont une tendance naturelle et bien compréhensible à exagérer, à embellir la légende, tout comme à laisser certains épisodes dans l’ombre. Peu importe : les exploits de Spilers, s’ils ne sont pas uniques, sont loin d’être minces, et André Bendjebbar a le talent de faire de son héros un personnage attachant, victime de la misère et des inégalités sociales, déporté en Guyane comme simple voleur, revenu assassin du fait de ses conditions de captivité, et restant malgré tout attaché à bien des valeurs. Avec « Armand le bagnard, l’éternel évadé », André Bendjebbar ajoute un volume de plus à la littérature déjà considérable des bagnes de Guyane. Avec un mérite rare : s’il n’hésite pas à décrire quelle horreur purent être ces bagnes à l’époque, il apprend aussi à bien des lecteurs que malgré la vision infernale qu’ont pu en donner des auteurs comme Albert Londres, avec ses reportages publiés dans Le Petit Parisien en 1923, le bagne – la fameuse « guillotine sèche », qui vous fait périr des cachexie – n’apparaissait pas forcément aux yeux des condamnés comme le pire des destins. Pour preuve, il s’attarde sur les épidémies de suicides qui, dans les prisons françaises, ont suivi le décret du 17 juin 1936 annulant la déportation pour les condamnés aux travaux forcés. En d’autres termes, certaines prisons françaises laissaient à ces hommes moins d’espoir que le bagne. Ce décret permit à Spilers de ne pas être de nouveau envoyé en Guyane et de terminer sa peine en France, mais il signa aussi, indirectement, l’arrêt de mort de nombreux condamnés.


Titre : Armand le bagnard, l’éternel évadé
Auteur : André Bendjebbar
Couverture :
Éditeur : Pocket (édition originale : Le Cherche-midi, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 19365
Pages : 411
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782266341745
Prix : 8,60 €



Hilaire Alrune
17 août 2024


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