Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Temps des Ogres (Le)
Michelle Montmoulineix
Helium, roman (France), SF, 156 pages, mai 2023, 14,90€

Sur une Terre privée de pluie, desséchée, la jeune Victoire fuit la violence des hommes, et part e quête du lac Baïkal, eldorado bleu où elle espère retrouver ses parents. Hélas, sur son chemin elle croisera des monstres : un cargo ensablé dont les marins capturent les enfants pour les manger...



Michelle Montmoulineix nous propose ici une fable post-apo/écolo à destination des pré-ados. « Le Temps des Ogres » est en effet un peu court et rapide pour satisfaire les gros lecteurs du genre. De plus, l’autrice ne s’embarrasse pas d’explications superflues sur les origines de ce dérèglement climatique, ni sur les événements de la conclusion, pas forcément très scientifiques.
Donc, une fable.
Une fable qui commence dans un petit village, on y découvre les rationnements d’eau, le réservoir aux mains des violents Patrouilleurs, la défiance du voisinage... Tout cela a un petit goût de pré-« Mad Max ». Les deux vieilles femmes qui ont élevé Victoire doivent faire appel au rebouteux du village lorsque la jeune fille tombe malade, et bien sûr l’homme, déjà dans les petits papiers des forces d’occupation, les trahit. Victoire doit fuir, quitter ce cocon fragile mais douillet de son enfance, se confronter au monde extérieur, son aridité, sa sauvagerie.
L’autrice nous dépeint un paysage de désert, de garrigue où seule la végétation la moins gourmande a survécu. Et quelques bêtes, dont des chiens revenus à l’état sauvage. La temporalité est assez floue sur cette catastrophe climatique : la nature a eu en partie le temps de s’adapter, les humains beaucoup moins, et la sauvagerie s’est imposée après un effondrement assez brutal, lorsque la nourriture vint à manquer.
Après une courte errance et quelques mauvaises rencontres, Victoire échoue face à un cargo lui aussi échoué, auprès duquel se rassemblent des ados revenus à l’état de bêtes. Elle découvre que les marins retranchés à bord les nourrissent pour mieux les capturer et... les manger ! Les grosses lettres O.G.R.S peintes sur la coque étaient prémonitoires. À bord, Victoire est confiée à la Capitaine pour mener un bien son grand projet, fou, de Souvenance, de sauvegarde des connaissances informatiques avant que le dernier ordinateur ne s’éteigne et que la grande vague arrive et les remette à flots.

Dans cette histoire, l’autrice oppose la violence, la duplicité et la folie des adultes (sauf Omi et Rosy, les deux tantes/grand-mères de Victoire) à la douceur et la naïveté de l’héroïne qui célèbre la vie, aussi minuscule soit-elle (comme une grenouille de mare) tandis que ses aînés ont conduit à la mort de la Terre, comme des ogres ayant dévoré goulûment tous ses fruits, jusqu’à son épuisement. Mais la jeune fille, qui sait lire, écrire, et donc penser, incarne aussi un espoir de renouveau, un refus de la sauvagerie dans laquelle les autres sont tous retombés. En tentant d’apprendre à lire à un garçon, Pavel, elle « débloque » aussi sa capacité à parler. Entre les deux, le personnage de Liouba, orpheline russe bien décidée à survivre, forme un lien ténu mais solide malgré la barrière de la langue.
L’histoire est parsemée de douceur au milieu de toutes ces horreurs : Victoire écrit dans son journal ses petits bonheurs, la liberté des oiseaux, sur le cargo les filles dessineront avec les crayons de couleur sauvés du naufrage.

Comme écrit plus haut, quasi tous les adultes sont horribles : Glauque le rebouteux veut monnayer ses soins contre la possession de la jeune fille, et avec son fils adulte goinfre et débile ils préfigurent déjà les ogres plus explicites du cargo. Ils ne se satisferont pas du sacrifice (presque biblique) de la dernière brebis du village, ils ont faim de toute viande. Sur le cargo, Victoire entend distinctement le projet de la Capitaine : capturer suffisamment d’ados sauvages, les engraisser grâce aux légumes cultivés dans la cale avant de les mettre au saloir ! Le sel, contrairement à l’eau, n’étant pas une denrée rare... Avec les études sur le cannibalisme, on pourra se demander si c’est la consommation de chair humaine qui a réduit les marins à l’état de bêtes prédatrices, ou bien le contraire.

La grande vague finale est un nouveau Déluge, un grand coup de torchon pour laver le souvenir de cette race qui a détruit la nature, et on voit finalement les trois enfants abandonner leur humanité pour rejoindre la vie marine, confirmant la fin de règne de l’espèce qui s’incarne aussi dans la rouille qui ravage rapidement le bateau.

Je le disais en intro, il ne faut pas chercher d’explication scientifique, de plausibilité dans les événements naturels, la géographie (Victoire marche peu, dans la mauvaise direction mais approche de l’océan, c’est dire si Liouba est loin du lac Baïkal) ou la temporalité de l’histoire : tout va très, peut-être trop vite pour le seuil de crédibilité d’un lecteur un peu mature. L’horloge, c’est la soif, la capacité à survivre sans eau. Et avec tous ces rebondissement en 150 pages, on a hélas pas forcément le temps de développer grand-chose, le pourquoi du comment, la mainmise des Patrouilleurs sur l’eau... Michelle Montmoulineix va à l’essentiel, sans alourdir inutilement son histoire, en la mettant à hauteur de son héroïne et de sa compréhension du monde actuel autant que son ignorance de celui d’avant. La narration externe permet de donner quelques clés supplémentaires aux lecteurs, mais en se limitant au strict minimum. En tant qu’adulte, je trouve cela un peu dommage et je n’aurai pas regretté 50 pages supplémentaires, mais les lecteurs de 11-12 ans ne s’en offusqueront pas, au contraire.


Titre : Le Temps des Ogres
Autrice : Michelle Montmoulineix
Couverture : Ninn Salaün / Katie Fetchmann
Éditeur : Helium
Collection : romans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 156
Format (en cm) : 20 x 14,5 x 1
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782330182496
Prix : 14,90 €



Nicolas Soffray
30 juillet 2024


JPEG - 10.8 ko



Chargement...
WebAnalytics