John Scalzi nous raconte la genèse de ce roman en fin d’ouvrage : la pandémie mondiale en 2020, l’insurrection du Capitole début 2021 l’empêchent d’écrire quelque chose de satisfaisant, malgré un délai à respecter. Une panne électronique lui fait perdre un nouveau jet plus prometteur. S’excusant auprès de son éditeur, il repousse ce projet, et là cette libération salvatrice lui fait rédiger « La Société Protectrice des Kaijus » en deux petits mois.
Roman qui va rafler les Prix Alex, Robert A. Heinlein et Locus 2023.
Revenons-y. Comme l’auteur sait bien le faire, le livre tourne en dérision certains aspects d’Hollywood, et du cinéma à grand spectacle en général. Scalzi propose ici une réponse plausible à l’apparition des kaijus sur Terre, ayant engendré les scénarios de fictions à grand succès, de Godzilla à King Kong. En gros, sur la Terre parallèle, quand une explosion atomique a lieu chez nous, la frontière s’amincit, et les monstres titanesques sont gourmands d’énergie nucléaire, car ils carburent littéralement à l’uranium. Le raccord est nickel avec le mythe japonais de Godzilla.
Sur cette autre version de la Terre, donc, des savants étudient un biotope totalement différent. Les kaijus eux-mêmes sont en dehors de toute classification connue, véritables écosystèmes avec parasites et saprophytes. Le tout dans une jungle mortelle pour tout humain non protégé.
On suit Jamie, « là pour pour porter des trucs » s’immerger avec trois autres nouveaux dans la vie de la base, ses rites pour décompresser et ses règles de sécurité drastiques. Scalzi fait ce qu’on attend d’un bon blockbuster : il nappe son histoire d’un vernis scientifique cohérent et intelligible, au lieu de prendre ses lecteurs pour des débiles en se contentant d’un « c’est magique ». Et il n’hésite pas lancer quelques piques à ses collègues conteurs (cf p. 138) sur les procédés narratifs pour faire avaler beaucoup de choses aux lecteurs !
— C’est l’inverse du lampshading. [...] C’est un procédé littéraire. Son nom évoque l’image d’un abat-jour que l’on suspendrait au-dessus d’un point précis pour l’illuminer. Il s’agit d’attirer l’attention sur un élément invraisemblable du récit, de reconnaître son improbabilité, avant de passer à autre chose.
— Et ça marche ?
— Mieux que tu ne l’imagines.
Très vite, dans les premiers jours de mission, les choses s’emballent, on plonge les nouveaux dans le grand bain. Jamie fait la connaissance de Satie, un pilote d’hélico canadien avec qui il doit aller bombarder les monstres de phéromones pour influencer leur comportement. Ces phéromones sont d’ailleurs l’outil principal des humains, pour attirer ou faire fuir la faune locale, avec un succès de 90%. Régulièrement dans la formation de Jamie, on lui rappelle l’hostilité de ce monde et l’absence de certitude sur ce qui fonctionne ou te maintient en vie. Rien que cela renforce la tension : non, les gadgets scientifiques ne sont pas sûrs à 100%, mais la loi de Murphy, hélas si. Scalzi ne tombe pas dans l’effet inverse, mais dose justement pour nous garder aussi alerte que ses personnages.
Une fois l’univers présenté, la situation installé, arrive le premier déclencheur : Jamie doit faire le guide pour des « touristes », des huiles militaires qui valident certains financements, et quelques généreux donateurs milliardaires à qui il faut rabattre le caquet pour éviter que ça tourne à « Jurassic Park ». Il est jouissif de voir comment son ancien patron est traité, un bon retour de karma. Mais ce serait faire preuve de naïveté que de croire que les choses en resteraient là : l’auteur nous a donné toutes les explications pour nous laisser deviner comment les choses pourraient foirer en grand, alors si on y ajoute un mobile comme l’appât du gain typiquement humain, la suite est certes hollywoodienne mais pas totalement improbable, tout comme sa résolution.
Les personnages sont truculents, terriblement vrais. Les trois nouveaux avec Jamie, tous scientifiques et doctorants, n’en restent pas moins terriblement humains, stressés, jaloux, chamailleurs, et Jamie, qui n’a « que » son master en littérature, incarne souvent la raison, le pragmatisme. Et il s’en satisfait bien. Le procédé permet aussi à l’auteur de nous épargner les discours scientifiques en « les » obligeant à expliquer de manière intelligible au commun (donc sur la base, un bac+5, certes ès lettres) leurs découvertes et hypothèses. On sourira aussi au gimmick de la découverte que tout le monde est docteur sur la base, même le pilote, sauf Jamie, qui est là pour « porter des trucs ».
Pur divertissement, hommage aux bons et mauvais côté de tout ce cinéma de monstres, « La Société Protectrice des Kaijus » se dévore avec grand bonheur, le sourire aux lèvres. Il a tout ce qu’il faut du blockbuster, de la SF accessible, d’humour, de morale et d’humanité pour nous faire passer quelques très bonnes heures de lecture, et surtout il ne dépasse jamais nos seuils de tolérance et d’incrédulité (« le mieux est l’ennemi du bien ») ; C’est fluide, facile à lire, intelligent et émouvant, palpitant, drôle, bref très agréable de la première à la dernière page.
Titre : La Société Protectrice des Kaijus (the kaiju preservation society, 2022)
Auteur : John Scalzi
Traduction de l’américain (USA) : Mickael Cabon
Couverture : Victorien Aubineau
Éditeur : l’Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 330
Format (en cm) : 20 x 14,5 x 2,5
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9791036001437
Prix : 22,50 €
Prix Alex, Robert A. Heinlein, Locus 2023