« La Tour de Garde » ce sont 2 cycles, « Capitale du Nord » et « Capitale du Sud », écrits l’un par Claire Duvivier et l’autre ici présent par Guillaume Chamandjian, qui s’entremêlent et se font écho. Sortis alternativement, ils peuvent être lus un cycle après l’autre (ai-je lu et m’a-t-on dit).
J’ai pour ma part lu d’abord « Citadins de demain », ce qui me donnait certaines clés de lore, mais pas toutes.
L’avalanche de prix qui s’est abattue sur « La Tour de Garde » est amplement méritée. Je ne me risquerai pas à comparer l’écriture de Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, la lecture de l’un influençant forcément la réception de l’autre. L’intrigue du « Sang de la Cité » est-elle moins dense ? non. La narration à la première personne est tout aussi immersive. L’ambiance diffère, mais la trame est similaire : de jeunes gens avec leurs problèmes sont plongés de force dans les problèmes des adultes, doublés de cette incursion d’un autre monde aussi dangereux que fort mal documenté. Proches du pouvoir, des décisions, ils n’ont cependant que peu de prise dessus.
Nohamux, dit Nox, est donc le protégé du Duc Servaint de la Caouane (une sorte de tortue de mer), recueilli lorsque le Duc a pris les armes contre son homologue du Souffleur. On apprendra un peu plus tard, avec la confirmation d’une histoire classique mais glauque à souhait, que Nox et sa sœur Daphné sont probablement ses neveux, bâtards du Souffleur, et que le rapt de leur mère est, comme toute histoire dans la Cité, sujet de chansons. Nox aime les contes, et la Cité est un terreau fertile, son passé et sa construction sont mythiques, ses événements politiques sanglants le deviennent à leur tour.
En tant que commis d’Eustaine, épicier renommé, Nox va partout et est connu de tout le Port et au-delà. Le roman s’ouvre sur une affaire de vin, un produit qui coule à flots, le vrai sang de la cité. Un chai intra-muros prometteur que l’épicier, découvreur de talents, se fait fort de mettre sur toutes les grandes tables. Sans aller jusqu’à l’omniprésence de boustifaille des « Fourneaux de Crachemort » de Raphael Bardas (Mnémos, 2024), il est certain qu’on mange et qu’on boit pas mal dans « Le Sang de la Cité », et par ce biais, au-delà des intrigues politiques, Guillaume Chamanadjian nous donne à voir une ville vivante, dans toutes ses strates.
On mange, on boit et on joue à la Tour de Garde, un jeu de pions et de conquête de territoire qui passionne là aussi toutes les strates de la population, et génère des compétitions parfois lucratives, avec des rencontres entre villes. L’un des amis de Nox partira affronter les champions de Dehaven, la capitale du Nord. Davantage que dans « Citadins de demain » on en discerne les spécificités, notamment qu’on choisit quelles pièces on joue, certaines prisées, d’autres tombées en désuétude. Les deux auteurs, joueurs et rôlistes, tissent dans leur entreprise à quatre mains une vraie religion du jeu.
L’intrigue entremêle les conséquences politiques du projet de canal du Duc Servaint, l’enquête de Nox sur ce drôle de conte arythmique et sa découverte du Nihilo, mais aussi sa sociabilisation avec d’autres jeunes de son âge, de rangs divers : Guenaillie de la Jubarte, blessée par son épouvantable sœur Daphné, Symètre le tuilier, fils de Pelagia la productrice de vin, et Aussilia, une artiste à qui il fait exécuter le dessin pour l’étiquette des bouteilles. Ce sont plusieurs mondes qui se télescopent, chacun avec ses obligations et ses libertés. Tandis que Servaint avance ses pions, les contraintes s’abattent sur Nox, qu’on tente même d’assassiner.
Je ne vais pas trop en dire : les choses suivent leur cours, chaque événement même mineur autour de Nox est un caillou de plus qui dévale la pente, jusqu’à déclencher l’inévitable avalanche. Quelle prise peut-il avoir sur les changements violents qui agiteront la Cité ? Est-il un joueur, ou un pion ?
Tandis que s’annoncent de grandes festivités, comme le tournoi de la Canopée ou le mariage du Duc, qu’on devinera comme les points de bascule de l’intrigue, on voit Guillaume Chamanadjian entremêler petits moments de douceur, instants de normalité pour des grands ados et révélations de secrets intimes ou historiques. On finit notamment par comprendre ce qu’est la Recluse, le clan des maçons en charge des travaux urbains, et la raison de leur monopole : une pointe de magie, l’une des rares avec ce fameux Nihilo auquel seul Nox a accès.
Comme « Citadins de demain », la fin est cataclysmique, mais le drame est ici, dans le Sud, à l’échelle de la Cité, même s’il touche durement Nox et ses proches. Il va être très difficile de se retenir de dévorer la suite.
Titre : Le Sang de la Cité
Série : La Tour de Garde : Capitale du Sud, tome 1/3
Autrice : Guillaume Chamanadjian
Couverture : Elena Vieillard
Grand Format :
Éditeur : Aux Forges de Vulcain
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 416
Format (en cm) : 20 x 13 x 2
Dépôt légal : avril 2021
ISBN : 9782373057461
Prix : 20 €
Poche
Éditeur : Le Livre de Poche
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 36650
Pages : 414
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : septembre 2022
ISBN : 9782253103523
Prix : 8,40 € (réactualisé à 9,20 € sur l’édition 2024)