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Tribut des Dieux (le), tome 2 : Tahirah
Bleuenn Guillou
Hachette jeunesse, romans, roman (France), fantastique, 507 pages, novembre 2022, 19€

Cela fait quinze ans que l’Épreuve décide des Héritiers des Dieux. Tahirah a été formée par Clémence Baron, hors de l’Académie, pour devenir Sekhmet, infiltrer le sanctuaire divin et y mettre fin.
Problème : les Dieux se retrouvent tous sur Terre, le Soleil a disparu sous un ciel de cendres et l’Humanité est en proie au chaos le plus complet.
Pour Tahirah/Sekhmet, c’est le moment de montrer que les Dieux peuvent être utiles et guider les hommes sur un chemin de paix. Et tant pis pour ceux qui ne sont pas d’accord avec elle.



Pour le second volet de son diptyque « Le Tribut des Dieux », l’autrice semble reprendre les mêmes ingrédients : une héroïne à la famille détruite par un grand malheur, une détermination sans faille dans sa terrible mission, un jusqu’au-boutisme qui surpasse régulièrement sa raison. Tahirah nous cache longtemps son drame familial, même une fois qu’elle récupère son frère Tarek, géant apathique. On envisage le pire, qu’il ait violé ses petites sœurs, mais non. Sous l’emprise de Buluc Chabtan, il a « seulement » tué père, mère et sœur. On est presque déçu.
Devenue déesse grâce à son amie Sigrid (qui devient Shango du panthéon yoruba), Tahirah profite d’un rituel de méditation et détruit donc le sanctuaire de l’intérieur en faisant le moins de morts possible (une morale vite balayée ensuite), à l’exception de son amie qui l’a prise en flagrant délit. Cette mort lui pèsera sur la conscience longtemps, et elle croira revoir la silhouette de Sigrid assez souvent. La paranoïa qui s’empare d’elle est plutôt bien construite par cette répétition.

Retombée sur une Terre dévastée en peu de temps (à croire que l’Humanité devient vite folle sans soleil), en Égypte, Tahirah / Sekhmet, accompagnée de la déesse yoruba Oya, aux traits de petite fille, décide de rejoindre l’Académie, où l’attend sa mentor et où, certainement, il faudra finir le travail en éliminant tout le monde. Le trajet passe par l’Inde, où les deux déesses rencontreront Skanda, dieu influant sur les émotions. Après des débuts difficiles, une défiance réciproque, Tahirah finit par avoir un petit crush pour le rouquin, d’autant qu’il embrasse son idéal de dieux « actifs », guides de l’humanité. Ils drainent donc un cortège de fidèles derrière eux jusqu’à Hong Kong, d’où ils embarquent pour l’Académie.
Profitons-en pour faire un petit point univers : dans le tome 1, la position de l’île n’est jamais précisée, le continent a l’air très proche et la population occidentale, parlant les langues des personnages.
Sur l’île, le trio rencontre Khors et Buluc Chabtan. Les filles se rabibochent en un claquement de doigts en découvrant qu’Octavia n’est pas la cause du mal qui ronge Tarek. Les choses s’emballent quand les dieux commencent à mourir, Clémence Baron ayant sorti son plan B pour parachever sa vengeance. On notera le suspense totalement raté de la nommer seulement « Baron » jusqu’à ces retrouvailles finales, puisque si vous aviez oublié le patronyme de Clémence, vous vous souveniez bien sûr qu’elle est la fille de la directrice dont le nom est précisé page... 11. Directrice totalement évacuée de l’intrigue ensuite, comme 99% des mages à l’exception des chasseurs de dieux.
Bref, comme dans le tome 1 avec Bubluc Chabtan, Clémence s’avère une méchante avec un plan qu’elle a caché à son principal instrument, et que tout ça (pour ça) n’est que le moyen de provoquer, ici encore, les conditions de la situation finale, à savoir contraindre Khors à les rendre immortels. Le moyen « inhumain » requis est assez discutable scénaristiquement, et on se demande comment Tahirah et les autres se laisse émouvoir et surprendre... [1]

Enfin, l’épilogue, à l’opposé complet des valeurs prônées par Tahirah tout au long du roman, donnerait raison à Khors (« le pouvoir corrompt »). Le message global du roman me met aussi mal à l’aise : dans un monde où les mages sont rares et les dieux peu impliqués, l’aventure de « Tahirah » dépeint une Humanité avide de foi, de miracles, qui retombe dans la sauvagerie et la barbarie en un rien de temps (rappel aussi : c’est censé être contemporain) faute de guide magique. Tant pis pour toute la littérature solarpunk de cette dernière décennie, rebonjour les pires dystopies.
Si je peux comprendre que la fin d’internet soit violente, le tableau brossée par l’autrice est tout de même très exagéré et parsemé de trous (l’alimentation de la troupe de fidèles, par exemple). On a la sensation d’un sous-« Mad Max » avec de la magie de fantasy des années 80. Rares sont les personnages réalistes. Shango, pétri d’ambition et jouant très bien le Dieu sur Terre, redevient un adulescent mièvre avec Tahirah. L’attitude de Khors sur l’affaire Tarek est si éloignée du personnage à peu près cohérent du premier tome qu’on se demande s’il n’y avait pas une autre façon d’amener cela. De fait, hormis le nordique, les dieux n’endossent jamais leur rôle et se comportent, jeunes ou vieux, comme des gamins capricieux, pleurnichards, gâtés et égocentriques, pires que leur modèle gréco-latin. On s’interroge encore et encore sur leur utilité, sur l’échec de la réforme de Khors tant ils font juste du rien à l’exception d’une poignée, et encore. Quand page 392, l’autrice fait dire que la non-surveillance des anciens dieux toujours omnipotents est « encore une faille dans le système », c’est son propre lore qu’elle met à mal, car comment expliquer que ce qui se passe dans ces deux volumes n’ait pas été tenté (et réussi) des siècles plus tôt ?

Si on pourra apprécier grandement l’embrouillamini final, les multiples trahisons, les plans dans le plan, le tout accentué par un compte à rebours mortel et une violence physique autant que psychologique, on a tout de même la sensation de beaucoup de bruit pour peu de choses, d’un discours religieux assez dérangeant, d’une littérature qui montre le contraire de ce qu’elle vend. La narration n’aide pas à s’y accrocher, tantôt uniquement tournée autour d’une avancée mécanique et descriptive de l’action, tantôt avec de pleines pages de dialogues sans guère d’incises.

Il y a des livres qui vous happent et qu’on referme à regret tant qu’on ne les a pas terminés. Ici c’est le contraire. « Tahirah » a amplifié mon ressenti d’« Octavia » : je l’ai plus souvent posé pour lire ou regarder autre chose, de mieux raconté, de plus stimulant pour l’esprit, de moins rébarbatif. Après l’épilogue, qui nous place 200 ans plus tard avec un panthéon cruel composé des personnages, je me suis dit : « Mais comment en sont-ils arrivés là, à 180° de leurs positions ? c’est cette histoire que j’aurai lire. »
Bref, je me suis fait avoir par la belle couverture de ce diptyque, et si les deux climax finaux sont impressionnants, ils ne valent que la moitié des centaines de pages qui y conduisent, fastidieuses et laborieuses.


Titre : Tahirah
Série : Le Tribut des Dieux, tome 2
Autrice : Bleuenn Guillou
Couverture : Nicolas Carmine / studio Hachette
Éditeur : Hachette
Collection : Romans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 507
Format (en cm) : 21,5 x 13,5 x 3,5
Dépôt légal : novembre 2022
ISBN : 9782017169734
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
4 août 2024


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