Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Tribut des Dieux (le), tome 1 : Octavia
Bleuenn Guillou
Hachette jeunesse, romans, roman (France), fantastique, 460 pages, mai 2022, 19€

Dans un monde similaire au nôtre mais avec des magiciens et des dieux, Octavia entre à l’Académie de magie après la perte douloureuse de sa famille dans un incendie. Au désespoir son son ami d’enfance Théodore, elle ne parvient pas à faire son deuil et se dévoue au dieu maya de la violence, Buluc Chabtan, dans l’espoir qu’il ressuscite ses proches.
Avec l’aide d’Aleksei, un étudiant plus âgé et très doué, Théodore organise un faux rituel d’invocation pour aider son amie. mais à leur surprise, le dieu apparaît et consent a exaucer le vœu d’Octavia à condition qu’elle tue un homme en particulier. La jeune femme dissimule la vérité à ses amis pour s’assurer leur aide, et fait passer la cible, leader d’une communauté de mages, pour un gourou de secte. ce qui n’est pas loin de la vérité...



Bleuenn Guillou est une jeune éditrice française « indépendante », c’est-à-dire qu’en plus de travailler notamment pour Mnémos ou Leha, elle endosse ce rôle directement auprès des auteurs, de la même façon qu’un agent littéraire anglo-saxon. Travailler les textes des autres lui a finalement donner envie d’en écrire elle aussi. C’eut été dommage de ne pas utiliser tous ces outils qu’elle utilise pour les autres.
Elle n’est pas la première ni la dernière éditrice à sauter ainsi le pas. Mais alors, voir les pailles dans le texte des autres épargne-t-il des poutres dans le sien ?

« Octavia » est le premier tome d’un diptyque, et sera suivi de « Tahirah », publié quelques mois plus tard. La magnifique couverture de Nicolas Carmine a achevé de me convaincre de m’y plonger. De petits éléments graphiques viennent rehausser les pages, étoiles, feuillages, règles de marge... C’est joli, mais un peu étouffant à la longue.

On y découvre donc un monde similaire à notre Terre, mais avec des mages qui vivent plus ou moins cachés, et des dieux des panthéons traditionnels qui, tous les cent ans, se choisissent un successeur parmi eux. L’intrigue tourne autour de quelques-uns, dont Khors et Athéna, qui réfléchissent à être vraiment immortels et davantage s’impliquer dans la destinée des hommes, notamment pour les pousser vers le Bien plutôt que les guerres incessantes.
Premier bémol à mon goût, tout cela est introduit de façon assez laborieuse. Géographiquement on est perdu : il y a l’île de l’Académie, une autre avec la communauté, et le reste du monde se résume au Continent, une masse floue de fait cantonnée, lors des incursions des personnages, à une grosse ville côtière ? L’action se déroule en gros à notre époque, il y a des smartphones, et Khors nous parle du XXe siècle.
Les différents panthéons passent très vite à l’arrière-plan, et je n’ai pas forcément vu d’explications aux liens entre panthéons et types de magie. C’est le premier symptôme : la magie et les dieux sont au cœur de l’histoire, mais considérés comme normalité, ils sont relégués au second plan.
Enfin, tout le début du roman manque singulièrement de description. L’alternance de point de vue narratif permet de découvrir inopinément que Théodore a des ascendances et donc des traits asiatiques. Ou que Clémence, la 4e larronne, est noire. Avec Aleksei aux origines russes, et une héroïne rousse et pâle, on a notre bingo diversité, avec en joker les deux mères d’Octavia, l’homosexualité de l’Athéna masculin... on coche toute les cases de l’inclusivité d’affichage, car cela n’apporte à l’intrigue.

Nos quatre amis quittent vite l’Académie pour se mettre en quête de leur cible, Basile Lestringant. On parle onomastique deux minutes sur le nom du « méchant » ? ou du micro-rebondissement qu’il sont 3 suspects à porter ce nom incongru ?
Je n’insiste pas, pour en venir aux points forts du roman, mais tout cela participe à la difficulté à s’immerger dans ce roman YA.

Parlons des personnages. L’alternance des points de vue est aussi celle des mondes : à la trame d’Octavia cherchant à ramener sa famille à la vie s’entremêle à la quête de Khors, dieu slave (enfin de son héritier pour le XXe siècle), d’une méthode pour dépasser ce siècle et convaincre le Conseil de davantage s’impliquer sur Terre. Oui, parce qu’en fait, à par se choisir un Héritier et faire la fête, on ne sait pas trop ce que font les dieux, interdits d’action directe ou de grosse influence. Bref. Sur les conseils de l’ancien Athéna, il tente un petit coup de force, est trahi, finit assigné à résidence pendant des décennies. Pas de bol. A mi-ouvrage environ, par l’emploi d’un tic de langage, l’autrice nous fait comprendre un chapitre avant la révélation qu’il est l’un de nos protagonistes. Si vous n’aviez pas encore deviné.

Revenons sur Terre. Octavia est donc terriblement marquée par l’incendie dont elle a seule réchappé. Elle est dominée par la peine et surtout la colère. Toute dévouée à son projet fou, elle n’hésite pas à mentir à ses amis et ses alliés, et cela en permanence, tout le long de leur quête. Peu à peu les digues vont sauter, et elle utilisera la magie du sang pour influencer ou modifier les souvenirs de ceux qui se mettent sur son chemin, amis ou ennemis. Cela conduira à des tensions notamment avec Clémence, la jeune magie (au lourd passif elle aussi) qui l’idolâtre et dont Buluc Chabtan a fait un rouage essentiel, puisque c’est à elle qu’il confiera le détail du rituel selon lequel Basile doit mourir.

L’essentiel de l’action se déroule donc sur une autre île où Basile Lestringant a regroupé une communauté de mages et cherche un moyen de devenir un dieu. Pour le lecteur qui bénéficie des informations de Khors, ses efforts sont louables mais voués à l’échec... ou presque. Et c’est dans ces petits détails, laissés sous nos yeux par l’autrice, que l’on devine tout de même l’entourloupe, , le billard à trois bandes, le plan secret derrière la mission confiée à Octavia. Même si le mobile reste longtemps flou.
C’est sans doute là le coup de force de Bleuenn Guillou : cet écran de fumée plutôt bien mené sur les projets divins, en nous focalisant sur une héroïne de plus en plus détestable, dont les barrières morales tombent les unes après les autres, mentant comme une arracheuse de dents mais retombant plus moins sur ses pattes grâce aux secrets des autres.
De nombreux chapitres durant, les personnages maîtrisant peu de choses, sur cette île et parmi cette secte, on navigue à vue, cherchant comme eux à démêler le vrai du faux, les secrets de Basile, les mensonges d’Octavia. il y a de bons retournements, qui participent activement à fragiliser la psychologie d’Octavia, comme le vrai rôle de son frère, et qui justifie qu’elle aille de plus en plus loin dans la manipulation pour se venger. Mais, submergée par ses émotions négatives, elle agit très souvent sans trop réfléchir, obligeant ses amis à rattraper les choses, mais pour autant tout se passe à peu près selon le plan.

La fin est dantesque, avec un déferlement de violence physique et morale qui aurait peut-être nécessité un petit trigger warning (dont je ne suis pourtant pas fan). Mais bon, on va se dire que venant d’un personnage qui garde dans une valise les restes carbonisés de ses proches, une petite cérémonie de sacrifice humain typiquement maya... Et puis avec Buluc Chabtan, nous étions prévenus : ce n’est pas le dieu des papillons et des petites fleurs.

À l’issue de cette lecture, je suis assez partagé. La narration aura été longtemps laborieuse, certaines béances dans l’univers n’aident pas à s’y immerger, et j’ai eu du mal à « m’attacher » à Octavia, tellement jusqu’au-boutiste et impulsive que ses actes sont contre-productifs. C’est à l’image du caractère des autres personnages, trop entiers. Clémence « bascule » trop vite elle aussi pour qu’on y croie. De fait, avec ce climat de secte et de mensonge permanent, de perte de confiance mutuelle, Bleuenn Guillou crée ce climat si propice à des actes extrêmes, impulsifs, abolissant peu à peu les barrières morales, pour conduire à ce finale quasi lovecraftien où chacun agit parfois à l’encontre de ses valeurs, poussé par ses pires instincts à des actes qu’il aurait jugé inadmissibles au début de l’histoire.

Ce roman m’aura donc surpris, en m’emportant loin d’où je m’y attendais, sur un chemin bien plus sombre. Ce chemin aura été chaotique et cahoteux, scénaristiquement et stylistiquement parlant, avec des raccourcis et des ornières, des portions d’autoroute et des passages mal fléchés, et une destination finale un peu décevante dont j’espère que le second volet, « Tahirah », dévoilera des beautés qui m’auraient échappées. (spoiler : non)


Titre : Octavia
Série : Le Tribut des Dieux, tome 1/2
Autrice : Bleuenn Guillou
Couverture : Nicolas Carmine / studio Hachette
Éditeur : Hachette
Collection : Romans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 460
Format (en cm) : 21.5 x 13.5 x 3.5
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782017140382
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
20 juillet 2024


JPEG - 26 ko



Chargement...
WebAnalytics