Mais Winnie est une ado déterminée. Elle connaît l’encyclopédie des cauchemars sur le bout des doigts, elle s’est entrainée en cachette et toute seule puisqu’elle n’a plus le droit de suivre le cursus officiel. Profitant d’une faille dans le règlement, elle se présente à la première épreuve, face à sa tante. Il s’agit de tuer un cauchemar sans aide. Winnie croit échouer, traquée par un loup-garou, mais ramasse une tête de banshie proprement décapitée. Elle n’a pas le temps de s’expliquer que ses camarades de promo la félicitent et diffusent son prétendu exploit.
Chaque minute qui passe rend le mensonge plus difficile à avouer, d’autant que cette première victoire amorce la réintégration de la famille dans le clan, le retour de leur sociabilité, la fin de leur ostracisme. Cela ne calme néanmoins pas la colère de Winnie, qui en veut à tout le monde, et notamment à ses meilleurs amis, de les avoir laissés tomber tout aussi vite qu’ils les accueillent de nouveau. Elle en veut à Ericka, qui a viré pimbêche fortunée, mais aussi à Jay Friday, un garçon mystérieux, solitaire et froid, alors que toutes les filles lui tournent autour. C’est pourtant vers Jay que Winnie se tourne pour se préparer aux autres épreuves. Et c’est à Jay qu’elle fait part de sa découverte d’un nouveau cauchemar encore plus terrifiant que le loup-garou : un « chuchoteur », invisible, mortel, qui tord la réalité autour de lui...
Susan Dennard est une autrice de YA bien installée, adoubée par ses pairs aux USA, et dont une autre série, « Witchland », est en cours de traduction (2 tomes sur 5 parus). Avec ces « Luminaries », dont le 3e vient de sortir en VO, elle nous plonge en plein fantastique, avec ces légendes mêlant folklore européens et esprits indiens. la forêt est un lieu dangereux, surtout la nuit, et du brouillard émergent des choses. Face à cela, une organisation internationale qui établit des villes quasi autarciques à côté de ces points chauds. Hemlock Falls tient autant du campus que du gros village, et les clans, avec leur spécialité, accueillent des membres du monde entier (#diversité) et quelques « neutres » extérieurs, comme le père de Winnie. Mais ce dernier faisait en fait partie des Dianes, organisation rivale et présentée comme maléfique, qui veut s’approprier le pouvoir des cauchemars. On en saura guère plus, c’est tabou.
Dans l’ensemble, ce premier tome installe bien les choses et s’articule autour des 3 épreuves de Winnie. Mais ce qui est intéressant et fort bien fait, c’est la façon dont la famille, traitée en paria, est réintégrée dans la sociabilité d’Hemlock Falls. Sa mère, ancienne meneuse de chasse des Wednesday, a dû devenir serveuse au boui-boui local, et à peine leur adresse-t-on la parole. Son frère fait le café pour le maire, alors qu’il avait le profil pour être son secrétaire particulier. La trahison de leur père les a coupé des clans, et la réussite de la première épreuve lève tout aussi brutalement la sanction. Winnie enrage de constater que certains leur parlent à nouveau en faisait totalement abstraction des quatre années passées à ne même pas les voir.
Cela lui fait mal pour sa mère, son frère, mais c’est de l’attitude de ses deux meilleurs amis dont elle a le plus souffert. Et maintenant, elle ne sait plus comment interagir avec eux, et surtout Jay. Les hormones s’en mêlent. Jay est distant avec tout le monde, mais agréable, serviable et patient avec elle, qui ne le voit pas tant elle est remplie de colère. Il va falloir quelques centaines de pages pour qu’elle s’interroge sérieusement. Pendant ce temps, nous autres lecteurs nous interrogeons sur plein de drôles de coïncidences autour de Jay. Serait-il ce loup-garou qui rôde mais qui, paradoxalement, a peut-être sauvé plusieurs fois la jeune fille ? Et ce « chuchoteur » ? l’a-t-il vu lui aussi, ou est-il ce monstre ? L’autrice entretient savamment le flou, et les dernières pages, quand Winnie développe une perception, une respiration de Chasseuse, à l’unisson de la forêt comme Jay lui a enseigné, amplifient ce doute.
Bref, sur des bases qui avaient pu me sembler un brin classique, mélange de communauté fermée avec plein de secrets et monstres comme épée de Damoclès permanente, Susan Dennard nous offre une fiction YA fantastique très prenante, mêlant les tropes de l’adolescence avec intelligence. L’incapacité de Winnie à convaincre les adultes de ce qu’elle a vu (ou leur refus de la croire) évoque autant Cassandre que le garçon qui criait au loup. La levée brutale de l’ostracisme met en perspective la discipline du groupe, indispensable à leur mission, et la froideur inhumaine avec laquelle ils l’exécutent sans arrière-pensée pour ceux qui vont en souffrir. Ainsi, hors du cercle familial, les adultes apparaissent-ils dépourvus d’émotions, quand Winnie semble les concentrer toutes.
On passe donc sur certains rebondissements (pas si nombreux en plus) un peu attendus, ou des clichés comme ces clans nommés sur les jours de la semaine et assez étanches, au mépris des talents de chacun (Winnie avait le potentiel d’être une Monday, davantage chercheurs-scientifiques).
Vivement la suite !
Titre : L’épreuve des sept clans (the luminaries, 2022)
Série : Luminaries, tome 1/3
Autrice : Susan Dennard
Traduction de l’anglais (USA : Céline Morzelle
Couverture : Micaela Alcaino
Éditeur : La Martinière Jeunesse
Collection : fictions
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 394
Format (en cm) : 21,5 x 14,5 x 3
Dépôt légal : février 2024
ISBN : 9791040113508
Prix : 20 €