« Des cultes extravagants prospéraient et, dans un millier de cellules, les Vorsters se prosternaient devant leur diabolique lueur bleue. »
Dans “Le Feu bleu – 2077”, Reynolds Kirby, haut fonctionnaire de l’ONU du futur, est chargé d’accueillir un représentant de la planète Mars. Une planète encore en terraformation qui est aussi une nouvelle frontière où la vie est rude, surnommée la Sparte de l’espace. Aucune sophistication, donc, à attendre de la part d’un visiteur qui ne pense qu’à boire, à fréquenter les renifleries de drogue et à multiplier les provocations envers la Fraternité de la Radiation Immanente, religion en essor des Vorsters – du nom du fondateur Noel Vorst – décrite comme “une religion éclectique empruntant l’aspect confessionnel au catholicisme, en prenant l’athéisme de l’ur-boudhisme et en ajoutant une dose de réincarnation hindouiste, le tout lardé d’attributs technologiques ultra-modernes, avec un réacteur nucléaire derrière chaque autel et un bon bourrage de crâne sur le sacrosaint électron.” Une historiette un peu à l’ancienne, mais qui dessine déjà en filigrane, dans ce qui est le premier récit d’une histoire du futur, l’aspiration à un essor vers les étoiles.
« Fermant les yeux, la tête sur la poitrine, il vit tournoyer les électrons sur leurs orbites. En silence, il récita la Litanie Électromagnétique, nommant toutes les stations du spectre. »
Dans “Les Guerriers de lumière – 2095”, Christopher Mondscheim, jeune moine des Vorsters, acolyte du Troisième Degré, est approché par un culte hérétique vorster, Harmonie Transcendante, qui lui propose de devenir un espion à sa solde. Doté de peu de sentiment religieux et déçu de ne pas avoir été rapidement promu, il accepte. On découvre dans ce récit que Mondscheim, non sans raison, considère le culte Vorster comme une opération destinée à dissimuler un programme avancé de recherche génétique : difficile sur une telle thématique de ne pas penser à l’ordre Bene Gesserit de Frank Herbert dont il est contemporain, « Dune » ayant été publié par épisodes en 1963 et en roman en 1965, alors que les récits composant ce « Chemin de l’espace » sont sortis en revue entre 1965 et 1966. Autres points communs avec « Dune », le goût des manipulations à la Machiavel et les projets à l’échelle des générations, avec un rôle trouble joué par Noel Vorst lui-même puisqu’il semble avoir tout prévu concernant ces deux courants religieux ayant les mêmes objectifs, l’immortalité physique par régénération et le développement de pouvoirs extra-sensoriels – ce dernier à travers les espers, des humains sélectionnés sur ce type de capacités. Lien supplémentaire avec “Le Feu bleu – 2077”, on retrouve ici Reynolds Kirby, deux décennies plus tard, converti et parvenu à un haut poste dans la religion des Vorsters.
« Il se fatiguerait vite ; la roue, elle, jamais. Tôt ou tard, les tranchoirs répandraient ses entrailles sur le sol de Vénus. »
Comme son titre l’indique, “Les élus de Vénus – 2135” est le premier récit du cycle à ne pas se passer sur Terre. Nicholas Martell, missionnaire Vorster sur Vénus, découvre avec effarement que la secte déviante des Harmonistes y est déjà implantée. Plus encore, que les Harmonistes y exercent la télékinésie (y compris à l’échelle subatomique), capacité que les espers terriens n’ont jamais réussi à developper. Des dons qui ne sont pas de trop sur une planète partout infestée de formes de vie hostiles semblable à celles qui sont décrites dans « Le Monde de la mort » de Harry Harrison. On retrouve dans ces “Élus de Vénus” le frère Christopher Mondscheim, rencontré dans le récit précédent, ainsi que le martien Nathaniel Weiner figurant dans le premier récit du cycle, et l’on y découvre que les dons d’anticipation à long terme de Noel Vorst et de David Lazare, le fondateur des Harmonistes, ne sont pas sans rappeler ceux de Harry Seldon, le psychohistorien de « Fondation » d’Isaac Asimov, paru en 1951.
« Nous servons la même cause, de façon différente. »
Après Vénus, Mars : dans “La Résurrection de Lazare – 2152”, Paul Weiner, neveu du martien Nathanaël Weiner rencontré précédemment, découvre à l’occasion de travaux le caveau de David Lazare, le fondateur de la secte des Harmonistes, très proche de celle des Vorsters, dont la principale différence avec cette dernière est qu’elle ne rejette pas les mythes. Mais ce caveau n’est pas un simple tombeau : tout est prévu pour qu’il soit possible de ramener Lazare à la vie. Un tombeau pourrait aider à renforcer le mythe, mais une résurrection le détruire. Les Vorsters – nul ne s’en étonnera – sont en faveur de la résurrection. Mais ce Lazare a-t-il réellement existé ? Dans ce récit qui fait intervenir Nicholas Martell, Christopher Mondscheim et Reynolds Kirby, aux longévités accrues, et même Noel Vorst lui-même, bien difficile de savoir qui tire les ficelles, qui manipule qui, et lequel a la vision la plus pertinente à très long terme.
« Et Vorst voulait que ce cerveau devienne la force capable de propulser le premier groupe d’explorateurs en direction d’un autre système stellaire. »
Dernier récit du cycle, “Le Ciel ouvert – 2164” se déroule à une époque où les efforts des Vorsters ont permis l’allongement de la vie humaine à plusieurs siècles. Mais les étoiles, second objectif du mouvement, leurs demeurent inaccessibles. Toujours avec des personnages connus, “Le Ciel ouvert” dévoile le dernier mouvement de Noel Vorst, maître de l’échiquier humain à l’échelle des générations.
« En cet instant, il contemplait le rivage de demain et tentait d’y jeter l’ancre, de toutes ses forces. »
Nous avons parlé plus haut de points communs avec des cycles tels que « Dune » de Frank Herbert et « Fondation » d’Isaac Asimov. On ne s’étonnera pas d’en trouver également avec les volumes composant des fresques d’anticipation comme « L’Histoire du futur » de Robert Heinlein et « Les Seigneurs de l’instrumentalité » de Cordwainer Smith, ou avec des ouvrages plus récents comme « Espace » de Stephen Baxter – et sans doute avec bien d’autres encore, car, sur des tentatives similaires, les thématiques abordées ne peuvent que se recouper. Si ce « Chemin de l’espace » avec ses moins de trois cents pages, se révèle plus facile à lire et plus digeste que les œuvres précédemment citées, il ne manque pour autant ni d’ambition ni d’envergure. Sur une tonalité à présent un peu à l’ancienne – n’oublions pas que les cinq récits de ce « fix-up » remontent aux années soixante, d’où, sans doute, le choix d’une publication dans les collection Pulps du Bélial’ – cette histoire du futur de Silverberg, ici republiée avec une préface de Robert Silverberg donnant des informations sur l’élaboration du volume après la publication des textes en revue, et sous une illustration somptueuse de Pascal Blanché, intéressera aussi bien les amateurs que les historiens du genre.
Titre : Le Chemin de l’espace (To Open the Sky, 1967)
Auteur : Robert Silverberg
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre-Paul Durastanti
Couverture : Pascal Blanché
Éditeur : Le Bélial’ (édition originale : J’ai Lu, 1983)
Collection : Pulps
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 281
Format (en cm) :13 x 20
Dépôt légal : juin 2024
ISBN : 9782381631394
Prix : 20,90 €
La collection Pulps du Bélial’ sur la Yozone :
« Corsaire de l’espace » de Poul Anderson
« Les Ferrailleurs du cosmos » d’Eric Brown
« Capitaine Futur, tome 1 : L’empereur de l’espace » d’Edmond Hamilton
« Capitaine Futur, tome 2 : À la rescousse » d’Edmond Hamilton
« Capitaine Futur, tome 3 : Le défi » d’Edmond Hamilton
« Capitaine Futur, tome 4 : Le triomphe » d’Edmond Hamilton
« Capitaine Futur, tome 5 : Les 7 pierres de l’espace » d’Edmond Hamilton
« Capitaine Futur, tome 6 : La Course aux étoiles » d’Edmond Hamilton