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Argylle
Elly Conway
JC Lattès, Littérature étrangère, roman (USA), espionnage, 406 pages, janvier 2024, 22,50€

Aubrey Argylle est guide pour touristes dans le Triangle d’Or, ce croisement de frontières en Asie célèbre pour son histoire du trafic d’opium. Le jeune homme d’une vingtaine d’années se la coule relativement douce, encore traumatisé par la mort quelques années plus tôt de ses parents et la découverte de leur vrai métier : trafiquants de drogue.
Athlétique, polyglotte, doué d’un grand sens moral, il sauve des agents de la DEA crashés dans la jungle des griffes du parrain local. Grillé, il doit fuir sous peine de représailles sur ses amis locaux. Il accepte donc l’invitation de la CIA, refusée dans un premier temps. Il rencontre Frances Coffey, la directrice des opérations, qui lui fait très forte impression.
Le jeune homme rejoint une unité déjà constituée, minée par une opération ratée et la trahison d’un des leurs. Il va devoir se faire accepter, se plier à son nouvel environnement, tout cela pour contrecarrer les plans d’un milliardaire russe mégalo et d’extrême-droite, que l’Agence estime capable de gros dégâts s’il accède au pouvoir. L’oligarque a promis au peuple de retrouver la Chambre d’Ambre, un trésor national probablement dérobé par les nazis...



N’en jetez plus ! Pour son premier roman, écrit sur son temps libre de serveuse (dixit la légende en couverture), Elly Conway mixe tous les ingrédients attendus d’une histoire d’espionnage : James Bond, les Jack Ryan de Tom Clancy, « Kingsman » de Mark Millar. De fait, si le roman nous arrive si vite traduit, c’est que « Argylle » le nouveau film de Matthew Vaughn, sorti en tout début d’année, est un pastiche d’« Argylle », avec une autrice enlevée par des espions car ses romans « prédisent l’avenir du monde ». Explosions, humour et brochettes de stars, Henri Cavill, Dua Lipa, et Bryce Dallas Howard dans le rôle de l’autrice. La bande-annonce laisse peu de doute sur le second degré. C’est Marv Quinn Holdings qui signe la publication américaine, soit la boîte de prod de Matthew Vaughn. La sortie du roman a donc été retardée pour accompagner le film, et non le précéder.

Et on comprend vite pourquoi : « Argylle », comme présenté au-dessus, est ultra-classique, et n’aurait jamais déplacé les foules. Je ne dis pas que c’est mal écrit, loin de là, c’est un bon page-turner, facile à lire, écrit au présent, en narration externe... Mais tous les ingrédients, tropes, clichés sont là : le jeune héros super-balaise mais sensible ; l’équipe autour avec la masse de muscles qui l’aime pas au début mais sera l’ami fidèle au grand cœur, la fille inaccessible mais qui brisera sa carapace (avant un retournement dont je ne vous dis rien, mais il est gros comme l’Empire State Building) ; le méchant bien méchant, milliardaire mégalo comme chez Ian Fleming mais là ouvertement populiste (oulà quelle prescience effectivement, quelle prise de position). Il y a un traître à débusquer dans l’équipe, car ô surprise le traître précédent n’est en fait pas en prison mais en sous-marin pour le compte de la patronne de l’Agence qui ne nous dit pas tout... Et surtout, on part à la recherche d’un trésor volé par les nazis ! Avec des indices chelous comme deux bracelets commandés par Napoléon III et une carte des étoiles. Parce que les bons nazis aiment utiliser des trucs historiques antérieurs pour semer des miettes de pain derrière eux, sinon c’est pas drôle.

En termes d’hollywooderie, soit le savant mélange d’épique, de drame et d’humour sur des égos masculins dopés à l’honneur, la camaraderie et le patriotisme, on est bien. Il y a même des petites touches de sensibilité, les agents ne sont pas tous des brutes, mais parfois des gens du civil. On retrouverait une petite influence « Mission : Impossible », la série originale, avant que les excès du scénario nous renvoient davantage aux films avec Tom Cruise. Les rebondissements allient le glamour (soirée de gala à Monaco), spectaculaire (saut en parachute sur le mont Athos) et humour face à l’imprévu (on se cache dans une crypte et on se déguise avec des reliques de popes). Périodiquement, un petit drame vient casser la rigolade (une noyade dans le team-building rafting, un mort quand on pensait s’être sauvé les fesses...)
Tout cela est plutôt bien fait, mais même les imprévus ont un petit côté papier à musique. Aubrey Argylle, espion débutant plein de sensibilité et de valeurs, veut casser le monolithisme de James Bond ou Jack Bauer, mais il peine à convaincre, trop gentil, d’autant qu’autour de lui ses équipiers sont aussi en carton, et que l’intrigue qui ne repose que sur une chasse au trésor doublée d’un contre-la-montre est bien creuse.

Bref, cela se lit très bien, et quelques passages (comme les archives des prisonniers des nazis) remontent un peu l’intérêt et l’épaisseur du machin. Sinon, c’est sans grande surprise, sauf à être encore plus bon (meilleur ?) public que je sais l’être. Mais bon, quand les indices sont donnés avec des gros sabots en même temps que les interrogations du héros... Difficile de ne pas additionner 1 et 1.
Il faut donc prendre « Argylle » comme de la lecture divertissement grand public, premier degré (vous ne l’avez pas attendu pour réaliser la menace de l’extrême-droite, j’espère ?), comme l’étaient ses prédécesseurs. Pour le second degré, il faudra sans doute se tourner vers le film.

Et s’il y a d’autres tomes à suivre, pour travailler sur le traumatisme d’Aubrey Argylle tout en sauvant le monde (va-t-il se mettre à la vodka martini ?), je doute que Lattès y risque des billes (à moins d’une publication directement en poche, format idéal pour ce genre de pulp) : le livre a 6 mois et il est absent des pages principales de leur site, y compris des sélections pour l’été. Ah, l’édition, un monde plus impitoyable que la CIA...


Titre : Argylle (argylle, 2024)
Autrice : Elly Conway
Traduction de l’anglais (USA) : Sophie Bastide-Foltz
Couverture : Le petit Atelier / Minalima
Éditeur : Jean-Claude Lattès
Collection : Littérature étrangère
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 406
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782709671323
Prix : 22,50 €



Nicolas Soffray
5 août 2024


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