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Mémoires
Mark Haskell Smith
Gallmeister, roman (USA), thriller ubuesque, 266 pages, juin 2024, 22€

Une journaliste sans le sou, engagée pour écrire la biographie de Mark Haskell Smith, écrit une longue lettre à son éditeur pour lui expliquer que finalement, pour de multiples raisons, elle ne pourra rendre sa copie. Parmi ses excuses : un sujet peu intéressant, des proches mutiques, des menaces de mort, un enlèvement, et des pressions pour qu’elle assassine l’auteur !



Pour avoir récemment lu « Elephant Crunch » dans la collection Totem, j’ai inscrit Mark Haskell Smith au tableau des auteurs aussi déjantés que talentueux, capables de traiter l’histoire la plus ubuesque avec le plus grand sérieux.

L’auteur se livre ici à un exercice de méta-littérature : proposer un roman racontant la rédaction de sa biographie, où réalité et fiction s’entremêlent sans que la première soit jamais garantie. Le faire à la première personne, par la voix de son héroïne Amy, dans un format direct proche du journalisme gonzo proche des thèmes qui lui sont chers (sexe et drogues). Profiter de ce regard externe pour se moquer sans vergogne de lui-même, de ses tics d’écriture, de sa faible notoriété (sauf en France) et ramener par là toute sa profession à une certaine humilité.

Tout cela sans se départir d’un sens aigu de l’humour, jamais innocent. Amy fait elle aussi son auto-critique tout au long de cette longue lettre d’excuse, parlant de ses rêves de célébrité mais réalisant les compromis en travers de son chemin. Dans une intrigue farfelue à l’extrême, qui place l’auteur-personnage au cœur d’une gigantesque opération de surveillance, la frontière avec le réel est encore plus floutée par l’emploi de proches de MHS comme personnages : la lettre-roman est adressée à Oliver Gallmeister, et Julien Guérif, le traducteur français, endosse le costume d’un espion ultra-classe. On a l’impression d’un jeu, d’un texte-cadeau, hommage à ceux qui font vivre les livres d’un auteur (ou au contraire les enterre). L’avertissement en exergue donnait le ton : « Ce livre est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes, des lieux ou des événements est purement fortuite, sans vraiment être un hasard. » De plus, le roman est totalement inédit, comme un cadeau à ses lecteurs français (soi-disant si peu nombreux).

Notre Amy, pétrie de contradictions, d’espoirs et de désillusions, de valeurs mais d’ambitions, va ainsi découvrir un personnage aussi mystérieux qu’attachant, avant que les choses basculent dans le délire total, qu’on menace son petit ami, qu’on l’enlève pour la parachuter en Roumanie puis en Grèce, que ses ravisseurs, la CIA ou Amazon, lui demandent d’assassiner l’auteur en échange d’une série sur un grand site de VOD. Puis le Vatican s’en mêle... C’est encore un festival de bras cassés, l’héroïne en haut du podium, un James Bond dont le glamour se déconnecte parfois (souvent) au profit du réel, des petites mesquineries, de l’humanité. Bref, comme elle le constate, cette histoire s’est mise à ressembler à un vrai roman de l’auteur : totalement secouée, partant dans tous les sens, avec du sexe exagéré, et la nécessité d’arriver au bout pour relier tous les fils. On a rarement atteint meilleure auto-satire de la part d’un auteur, et Mark Haskell Smith prend visiblement grand plaisir à le faire. Parce qu’il sait aussi que c’est ce que son (petit) public (sauf en France) attend. Le milieu de la télévision passé et présent, en prend pour son grade. La carotte d’une série Netflix/Amazon sous le nez d’Amy est la pique la plus frontale (elle aurait préféré HBO).

Ces 260 pages peuvent paraître un peu courtes, au regard des autres romans de l’auteur, et je les ai dévorées d’une traite. Plus long, le risque aurait été accru de lasser, de perdre le lecteur dans une intrigue tellement obscure et sans queue ni tête que la narratrice sait qu’elle aura du mal à convaincre son éditeur. Cela en fait peut-être une bonne porte d’entrée dans l’œuvre de l’auteur, pour mettre en appétit avant de lire ses autres frasques littéraires, plus débridées mais plus « consensuelles » sur la forme romanesque.
Néanmoins donc, le format particulier, l’aspect meta et le côté foutraque peuvent rebuter le lecteur non averti. Les autres se délecteront de cette histoire douce-amère, où l’incongru côtoie le sincère, le rire est tempéré par quelques sentences propices à la réflexion. La fiction appliquée sur la réalité, ou le contraire.


Titre : Mémoires (memoir : a novel, 2024)
Auteur : Mark Haskell Smith
Traduction de l’anglais (USA) : Julien Guérif
Couverture : Aurélie Bert
Éditeur : Gallmeister
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 266
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : juin 2024
ISBN : 9782351783269
Prix : 22 €


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Nicolas Soffray
23 août 2024


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