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Régulation (La)
Gaëlle Perrin-Guillet
Fleuve éditions, collection Outrefleuve, dystopie, juin 2024, 19,90€

De Gaëlle Perrin-Guillet, nous avions chroniqué il y a quelques années « Soul of London », premier volet d’une série d’enquêtes policières se déroulant à l’époque victorienne. Changement de tonalité et d’époque avec cette « Régulation », puisque nous sommes ici en pleine dystopie.



Depuis l’Effondrement, trois cents ans se sont écoulés. De ce qui s’est passé au cours de ces trois siècles, les survivants ne savent pas grand-chose. Il reste quelques livres des temps passés, et désormais révolus. Fort heureusement, dans cette cité ceinte de très hauts murs qui les protègent du monde extérieur, les habitants sont en parfaite sécurité. Aucun des maux classiques auxquels s’est toujours heurtée l’humanité au cours des millénaires ne peut plus les atteindre. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ou presque.

Car il y a un détail. Pour couper court à tout risque de surpopulation, qui mettrait l’équilibre de la cité en péril, les Dix, les dirigeants qui vivent à l’écart au sommet des murailles, ont édicté une règle dont nul ne peut s’écarter. Toutes les quelques années, à intervalles irréguliers et imprévisibles, survient la « Régulation  » : des habitants reçoivent sur leur téléphone le nom de quatre habitants. Ces quatre habitants, ils devront les tuer. Parmi ces quatre proies, trois ne sont pas informées, la quatrième l’est, parce qu’elle est hérite également du rôle de chasseur, et que quatre proies lui ont aussi été assignées. Un chasseur qui tue un autre chasseur hérite de ses cibles. De la sorte, proies et chasseurs s’entretueront jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, dont les crimes seront oubliés par la loi, et dont le nom ne sera jamais révélé. Puis tout continuera comme avant. Du moins, jusqu’à la prochaine Régulation.

Commence donc un effroyable jeu de massacre où se trouvent impliqués des personnages que Gaëlle Perrin-Guillet a auparavant pris soin de présenter dans leur vie quotidienne : Jack Sullivan, un enseignant, Bettany, une tatoueuse, Damian Walsh, le bibliothécaire handicapé, Abigail Morton, une lectrice de la petite bibliothèque, et une petite douzaine de personnages également très ordinaires. Qui n’ont pas d’autre choix que de se transformer du jour au lendemain en tueurs sanguinaires, et qui pour la plupart n’hésitent pas vraiment.

On l’aura compris : cette « Régulation  » ne prétend pas innover. Il suffit de reprendre des anciennes recettes, de remplacer le terme « robot » par « intelligence artificielle » et le tour est joué. Qui aura la curiosité de se plonger dans les collections d’anticipation pour adolescents des années quatre-vingts et même antérieures pourra retrouver exactement les mêmes thématiques : mondes clos, truqués, régentés par des individus, entités ou machines inconnues, horizons extérieurs inaccessibles et rarement conformes à ce qui en est dit. Des récits empruntant à la fois aux mondes truqués de Philip K. Dick et aux dystopies sinistres d’Orwell et d’Huxley, destinés alors à faire réfléchir la jeunesse (ou du moins celle qui lisait), et désormais fort heureusement mises à la portée d’un public plus large incluant les illettrés, les dyslexiques, les TDAH (authentiques ou revendiqués), et même les authentiques procrastinateurs (moins souvent revendiqués), sous une forme plus ludique et malheureusement sans doute moins édifiante, par le biais de séries télévisées ou de longs métrages eux aussi déclinés en séries, façon « Hunger Games ».

Même si les chronologies intriquées des derniers chapitres demandent un minimum d’attention, cette « Régulation  » est donc à la fois simple et facile d’accès, mais elle est également efficace. Les péripéties se succèdent à un rythme suffisamment rapide pour que l’on se trouve emporté et que l’on n’aille pas trop s’interroger sur un arrière-plan qui n’est pas toujours absolument cohérent (par exemple, l’effondrement technologique semble avoir laissé derrière lui un monde toujours autant technologique où, pour les besoins de l’intrigue, les dégradations ou usures de machines apparaissent étonnamment limitées), et pour que l’on souhaite en savoir plus. La fin ne sera pas vraiment optimiste, elle sera même en forme de coup d’assommoir, et, en parfaite cohérence avec ce que l’on aurait pu à tort considérer comme des facilités, plus sinistre encore que ce que l’on avait cru voir venir. Mais il ne faut pas attendre des véritables dystopies qu’elles s’achèvent par une très improbable happy end.

Avec son potentiel d’adaptation fort – on voit bien cette « Régulation  » déclinée en long métrage ou même en feuilleton – ce nouveau roman de Gaëlle Perrin-Guillet apparaît donc comme une lecture accessible à tous, y compris aux plus jeunes. Il en sera pour noter qu’avec ces individus qui sans le moindre état d’âme se mettent sur injonction à s’entretuer avec ce qu’ils ont sous la main, façon couteau de cuisine, certaines pages apparaissent quelque peu sanglantes. Certes, mais il est vrai aussi qu’une génération qui a biberonné au slasher et regardé « Saw » ou « Massacre à la tronçonneuse » depuis la poussette ou la table à langer n’est pas forcément très impressionnable. Et pour ceux qui sont encore capables de réfléchir, la lecture de cette « Régulation  » ne sera pas tout à fait inutile. Après les expériences de Stanley Milgram et les innombrables démonstrations faites par les régimes totalitaires depuis plus d’un siècle, elle devrait en inciter plus d’un à comprendre comment, et surtout avec quelle facilité, il est possible de pousser tout un chacun à se mettre à « liquider » ses semblables, y compris ses proches. Sous forme de récit d’anticipation, mais sur une thématique éternelle, un roman édifiant et qui fait frémir.


Titre : La Régulation
Auteur : Gaëlle Perrin-Guillet
Couverture : Nicolas Caminade
Éditeur : Fleuve
Collection : Outrefleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 219
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : juin 2024
ISBN : 9782265158122
Prix : 19,90 €


Gaëlle Perrin-Guillet sur la Yozone :

- « Soul of London »



Hilaire Alrune
27 juin 2024


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