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Faille (La)
Franck Thilliez
Pocket, n°19254, policier/thriller, 526 pages, mai 2024, 9,20€


Dans cette nouvelle aventure de Franck Sharko et Lucie Hennebelle, tout commence sous le signe de la mort, et tout se continuera dans les eaux troubles de Léthé. En arrière-fond, une jeune collègue en état de mort cérébrale mais dont le maintien sous assistance pourrait lui permettre de mener sa grossesse à son terme et de donner la vie. Au premier plan, l’interpellation d’un nécrophile préférant se suicider plutôt que d’être enfermé et un fragment d’os greffé sur une victime inconnue, qui mènent les investigateurs sur des pistes inattendues. Vers la mort, mais peut-être aussi vers le diable. Car une autre jeune femme, qui pourrait elle aussi faire partie d’une longue liste de victimes, investiguait avant sa disparition sur des individus ayant miraculeusement survécu à des accidents, puis ayant fini par succomber à d’autres accidents, retrouvés morts les visages figés par l’épouvante. Des individus miraculés mais aussi – comme d’autres ayant subi en milieu hospitalier des arrêts cardio-respiratoires avant d’être réanimés – rapportant des expériences de mort imminente très peu conformes à celles dont chacun a entendu parler : non pas des moments d’apaisement divin mais de véritables plongées en enfer. Un enfer d’où sont sortis des démons qui continuent à les hanter.

Une céruloplasticienne obsédée par la mort, un musée de moulages anatomiques, un artiste particulièrement morbide poursuivi, peut-être, par de véritables démons et réfugié dans un monastère, les enregistrements effectués par un psychologue, l’onde mentale de la mort et le délai qui en fait l’onde de Shelley, les recherches les plus récentes en neurobiologie, l’hôpital psychiatrique Sainte Anne, des chercheurs respectant l’éthique mais aussi les expérimentations de savants sans scrupules, la mort-pacotille d’un club parisien et la mort-véritable des catacombes, le darknet, des déments en tous genres, et beaucoup, beaucoup de mystères : Franck Sharko, Lucie Hennebelle et leurs collègues auront besoin de toute leur expérience et tout leur instinct pour démêler les fils entrecroisés d’affaires qui les mèneront à la découverte des multiples facettes de cette mystérieuse « Faille  » qui semble avoir été fatale à la plupart de ceux qui l’ont recherchée.

Au fil de ces plus de cinq cents pages fortement nourries, le lecteur pourra éprouver à plusieurs reprises des impressions de déjà vu – l’investigatrice qui sans avoir prévenu personne s’aventure seule dans l’antre du tueur, scène lue mille fois et véritable cliché du genre, le marché souterrain aux horreurs (déjà vu chez Franck Thilliez dans « Deuils de miel » aussi bien que dans « Angor » et qui n’est pas sans évoquer, sous une forme légèrement différente, celui que son comparse à la Ligue de L’Imaginaire, Maxime Chattam, situait à New York dans son roman « In Tenebris »), l’attraction /club pervers à haut risque (déjà vu bien souvent, y compris chez l’auteur, comme le club BDSM de « Train d’enfer pour ange rouge » ou le festival anatomique de « Luca »), les trépassés aux visages figés sur des expressions de terreur, qui remontent aux polars ou récits d’épouvante d’il y a un siècle, et ont été repris de façon plus contemporaine – avec moins de talent et moins de vraisemblance que dans cette « Faille » – par Maxime Chattam dans « La Patience du diable ». On sait que Franck Thilliez, qui veut en donner pour son argent au lecteur, a souvent tendance à vouloir trop en faire, et il n’échappe pas ici à ce défaut. Une surenchère perceptible dès les premiers chapitres avec les abominations du nécrophile, une surenchère perpétuelle qui fait que plus aucun moment du roman n’est véritablement saillant – qui fait également que les romans de ce type, trop semblables entre eux, ne laissent à la longue guère de souvenir.

Pourtant, si l’on excepte les clichés récurrents, on doit admettre que Franck Thilliez bâtit soigneusement une intrigue riche avec les investigations menées en parallèle par Lucie Hennebelle, Franck Sharko, et leurs collègues déjà connus du lecteur comme Nicolas Bellanger, le procédurier Pascal Robillard ou encore l’informaticien Julien Sidroux. Bien des éléments disparates viendront trouver cohérence autour d’une thématique à la fois fascinante et mystérieuse. Et l’accumulation dans le dernier tiers du roman de lieux comme on en rencontre souvent dans les thrillers – l’Université Vésale, le Centre de Don des corps, le domicile isolé d’un suspect et pour finir un ancien sanatorium pour l’essentiel à l’abandon – sera particulièrement propice à la création d’ambiances troubles pour le moins réussies.

En terminant son intrigue, jusqu’alors à considérer au premier degré, par une parodie ouverte (le médecin fou qui se nomme Boris Karloff, du nom du fameux acteur de films d’horreur, la « survie » d’une protagoniste, que le lecteur avait vue venir, en un élément scénaristique et une imagerie tout droit sortis des « pulps » des années cinquante), Franck Thilliez donne l’impression d’avoir sur la fin cessé de prendre son propre roman au sérieux. On considérera cette fin hétérogène comme une forme d’auto-ironie, ou plus globalement comme la critique de ces thrillers prétendument high-tech dont les auteurs essaient de faire croire qu’ils sont construits sur les toutes dernières avancées de la science alors qu’ils ne font guère que ressasser des craintes et des obsessions anciennes. En clôturant – là aussi de manière très prévisible – l’ultime chapitre sur la note lumineuse attendue, Franck Thilliez dissipe des ténèbres patiemment tissées sur plus de cinq cents pages et donne au lecteur la bouffée d’oxygène que ce dernier attendait. Au final, sous une couverture sobre et très réussie, cette « Faille  » se lit sans déplaisir et vient enrichir la série, déjà forte de sept volumes, des enquêtes conjointes de Franck Sharko et Lucie Hennebelle.


Titre : La Faille
Auteur : Franck Thilliez
Couverture : Frédéric Tacer
Éditeur : Pocket (édition originale : Fleuve, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 19254
Pages : 526
Format (en cm) : 10,8 x 17,7
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782266339582
Prix : 9,20 €



Franck Thilliez sur la Yozone :

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- « L’anneau de Moebius »
- un entretien avec Franck Thilliez



Hilaire Alrune
19 juin 2024


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