Les lecteurs de l’excellent cycle d’« Andrea Cort » paru chez Albin Michel Imaginaire se retrouvent en terrain connu. Rien que le titre « La marche funèbre des marionnettes » les ramène sur la planète Vlhan qu’ils ont déjà parcouru dans « La guerre des marionnettes ». Il y est d’ailleurs fait mention d’Isadora, la première humaine augmentée à avoir participé au Ballet. Rien d’étonnant finalement, car Adam-Troy Castro a imaginé les Vlhanis bien avant qu’Andrea Cort ne se rende sur leur planète. En effet, la présente novella date de 1997, bien avant 2010.
Une fois repérée, Alex Gordon extrait Isadora du Ballet bien malgré elle, car elle s’y prépare depuis très longtemps. Son corps a été augmenté de bien des façons, notamment ses membres capables de se contorsionner dans tous les sens à l’image des tentacules vlhanis. Imaginez une sphère noire brillante d’un mètre de diamètre de laquelle sortent de 8 à 24 longs tentacules noirs que l’on peut comparer à des fouets, et vous aurez une petite idée de l’apparence d’un Vlhani. Au fil des jours d’une danse harmonieuse, leurs nombreux membres se désynchronisent et les mouvements désordonnés de leurs fouets les déchiquètent. Le Ballet s’apparente à un sacrifice dont chacun cherche à percer le mystère. Qu’y a-t-il à comprendre ? Dans quel but ce rituel existe-t-il ? Chaque année, cent mille Vlhanis y trouvent la mort. Qu’une humaine subisse le même sort est inadmissible. D’ailleurs, de quel droit s’immisce-t-elle dans ce rituel proprement vlhani ? C’est là que se situe l’incompréhension. La délégation humaine pense que sa présence même va créer un incident diplomatique, sans penser qu’il n’en est peut-être rien...
“La marche funèbre des marionnettes” est un bel exemple de l’incompréhension entre peuples. Le Ballet a beau s’achever de manière épouvantable, de quel droit les humains s’y mêlent-ils ? Qui faut-il blâmer ? Isadora s’invitant dans le Ballet ou la délégation humaine l’en empêchant ? Alex qui a noué le contact avec elle et a joué de ses sentiments pour la sauver d’une mort certaine est le seul à tenter de la cerner. La jeune femme comprend peut-être mieux les Vlhanis que tous les observateurs réunis. Il se retrouve déchiré entre elle et sa volonté de reprendre sa place dans le Ballet, et son envie de la protéger. Les événements le pousseront à faire son choix, peut-être le seul possible.
Comment ne pas voir aussi ce Ballet élevé au rang de spectacle à travers la galaxie. Qu’est-ce qui fascine le plus : la beauté de la danse ou le massacre final ? Chacun se transforme en voyeur, en critique d’un rituel qui le dépasse, car personne ne saisit sa raison d’être, sa portée, alors que pour les Vlhanis il est essentiel. En guise de boutades, Alex Gordon et un Riirgaan se donnent du criminel ou encore du pornographe.
« La marche funèbre des marionnettes » montre des humains toujours prêts à mettre leur nez où il ne faut pas, s’arrogeant un droit qu’ils n’ont pas. Même une fois l’incident diplomatique créé, le responsable ne démord pas de sa décision qui ne peut que diviser : d’un côté, non-assistance à personne en danger (même si le cas s’avère bien plus complexe), de l’autre, intrusion dans une cérémonie extraterrestre... Un beau cas de conscience réside en ces pages. Alex Gordon doit ainsi surnager à travers des émotions contradictoires, Isadora aussi, mais elle a déjà fait son choix bien avant et elle sait qu’il ne lui appartient plus à présent.
Une novella fascinante à tous points de vue, belle aussi par tous les sentiments qu’elle dégage. Impossible de rester indifférent, à ne pas réfléchir au cas posé. Et elle ne peut que donner envie d’en savoir plus sur la finalité du Ballet.
En septembre 2024 est justement annoncé dans la même collection « Les Fils enchevêtrés des marionnettes ». Rendez-vous est pris !
Titre : La marche funèbre des marionnettes (The Funeral March of the Marionettes, 1997)
Auteur : Adam-Troy Castro
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoît Domis
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 51
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 116
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : mai 2024
ISBN : 9782381631332
Prix : 11,90 €
Du même auteur :
Andrea Cort, tome 1 : Émissaires des morts
Andrea Cort, tome 2 : La troisième griffe de Dieu
Andrea Cort, tome 3 : La guerre des marionnettes
Derniers titres chroniqués de la collection :
36. « La Maison des Jeux, tome 1 : Le serpent » de Claire North
37. « Un an dans la « ville-rue » » de Paul Di Filippo
38. « Opexx » de Laurent Genefort
39. « La millième nuit » d’Alastair Reynolds
40. « La Maison des Jeux, tome 2 : Le voleur » de Claire North
41. « L’Héritage de Molly Southbourne » de Tade Thompson
42. « La Maison des Jeux, tome 3 : Le maître » de Claire North
43. « Connexions » de Michael F. Flynn
46. « Le dernier des Aînés » de Adrian Tchaikovsky
47. « La peste du léopard vert » de Walter Jon Williams
48. « Barbares » de Rich Larson
49. « Sweet Harmony » de Claire North
50. « De l’espace et du temps » d’Alastair Reynolds
Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr