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Paris Perdus
Fabrice Schurmans
Flatland, La Fabrique d’horizons, science-fiction, 129 pages, février 2024, 9 €

De Fabrice Schurmans, nous avions déjà lu “Le Virus de la méditation seconde” dans l’anthologie « Humanum in silico » et “Le monde en une ligne” dans le sixième numéro du « Novelliste ». Dans ce « Paris perdus », il propose six visions homogènes d’un futur très proche, un Paris qui n’est pas vraiment celui des lendemains qui chantent.



Avec “Étoiles en pagaille” on est d’emblée dans la nouvelle à références cinématographiques, un septième art qui sera un des fils conducteurs du volume. Avec ses personnages mentionnant d’emblée « Fight Club » de David Fincher et « La Mouche » de David Cronenberg, Fabrice Schurmans donne le ton. Les références seront nombreuses pour ce récit qui reprend la technique de changement de visage façon « Volte-Face » (John Woo,1997, avec Nicolas Cage et John Travolta), et l’ombre de David Fincher poussera un moment le lecteur à songer que Fabrice Schurmans l’emmène sur une astuce façon « The Game », mais rien de tel en définitive. Un récit pas tout à fait sérieux où intervient Brad Pitt. Oui, le vrai.

« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres. »

On reconnaîtra ci-dessus la citation orwellienne, mais on aura une tonalité très polar et bien des influences cinématographiques également pour “Le Revers du Silence”, avec par exemple « Les Chasses du comte Zaroff” (Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932) et « Chasse à l’homme » (John Woo, 1993, avec Jean Claude Van Damme). Dans un monde où l’on prêche l’éthique mais où certains croient que l’argent donne tous les droits, dans un monde où l’horreur, réelle ou imaginée, ne réside plus dans les forêts ou dans les terres lointaines mais dans les banlieues reléguées derrière des murailles façon « New York 1997 » (John Carpenter, 1981), aux yeux du bon-chic-bon-genre vivant dans son monde aseptisé et crétinisé par les films d’action et les jeux vidéos, le pauvre devient inévitablement la bête, le sans-dents un sans-droits, une simple proie, un trophée. On restera sur les mêmes références avec “Le Dernier niveau”, escape game cauchemardesque où les bêtes les plus féroces ne sont pas celles que l’on croit. Le lecteur à l’affût d’une chute ou d’un retournement de situation en miroir y trouvera une fin plus épouvantable encore que celle qu’il attendait.

« Chaque rafale entretenait l’espérance d’un dénouement heureux. Hélas, l’aurore se lève aussi pour les monstres ! »

Avec “L’Inconnue du mur”, on reste dans la fable (très) noire, ce qui n’a rien d’étonnant au sujet d’un recueil ayant pour exergue un extrait des « Contes glacés » de Jacques Sternberg. Arcologies sécuritaires façon Ballard ou Antoine Chainas, milices privées, créatures si monstrueuses que l’on ose à peine imaginer ce qu’elles pourraient réellement être, et dont on s’horrifie de surcroît qu’elles deviennent capables de réfléchir et même de se coordonner. Servie par un second degré féroce, “L’Inconnue du mur”, parfaitement horrifique, ne décrit pas vraiment des lendemains qui chantent.

« Ils ne nous laisseront pas sortir vivants de ce trou à rats. Alors, on va leur faire voir comment on fait pour survivre à la crise. »

Les Intrus” constitue en quelque sorte le revers du “Dernier niveau”. Si, avec le danger omniprésent dans un centre commercial à l’abandon, on pense tout d’abord au fameux « Zombie » de George Romero (Dawn of the Dead, 1978) ou à son remake « L’Armée des morts » (même titre original, Zack Snyder, 2004), la scène dans le cinéma permet d’étendre le référentiel à bien d’autres films, classiques ou de genre. On pourra songer également à des déclinaisons modernes autour du thème de l’urbex, mais aussi – retour aux années quatre-vingt-dix – au « Running man » incarné par Arnold Schwarzenegger (Paul Michael Glaser, 1987) et inspiré du roman éponyme de Stephen King. Un « Running Man » dont les participants ne seraient ni volontaires ni informés, avec une fin ouverte sur de nouveaux développements qui, on s’en doute, ne seront pas vraiment dominés par la douceur.

« Quelle sera la grammaire de l’apocalypse ? … Inventer un nouveau temps, comme le futur complexe.  »

Références cinématographiques encore avec “La Nuit des mots-vivants”, à commencer par le titre (George Romero, encore), mais grand-écart entre les décennies passées et les leitmotive obsessionnels du roman contemporain dans la mesure où l’auteur, sans doute non sans une pointe d’ironie, y introduit la touche féministo-saphiste voulue par l’air du temps. Quand Fabrice Schurmans fait dire à sa narratrice “J’ai commencé à lire Shakespeare dans un Pléiade dégoté au rez-de-chaussée. Je me demande si ça sert à quelque chose de lire une tragédie après l’apocalypse”, on retrouve quelque chose de cette apocalypse classieuse et lettrée vécue par les personnages de Jérôme Leroy, par exemple dans « La Minute prescrite pour l’assaut ». Belle réflexion pour une protagoniste oscillant elle aussi entre classique et moderne et capable de faire référence aux tableaux classiques de Hyéronimus Bosch puis d’ajouter, en parlant de Picasso  : “Guernica, je le vis au quotidien.”

« En un sens, l’après a simplifié les relations humaines. Une cartouche chambrée fait maintenant toute la différence. Une légère pression de l’index, tu supprimes l’introduction, le développement et la conclusion. »

Dans des nouvelles en forme de fix-up où sont nommément cités des long métrages comme « Les Sept Mercenaires », « Soleil vert », « La Planète des singes » et bien d’autres, on ne s’étonnera pas de trouver une écriture évoquant l’imagerie des films de genre destinés au grand public. Fabrice Schurmans va en effet droit au but : pas de littérature, pas d’affèteries, pas de tirs de sommation mais du direct, du fonctionnel, de l’efficace. Pourtant, ne nous y trompons pas : qu’il cite nommément Guy Fawkes et « V for Vendetta » (James McTeigue, 2005) est révélateur sur la part de critique sociale et de dystopie noire que recèle, avec son titre joliment trouvé, ce « Paris perdus  ». Un volume que pourrait résumer un autre titre, celui de la pièce « Fin de Partie » de Samuel Beckett, également citée. Car le futur proche – très proche – mis en scène par Fabrice Schurmans dans ce recueil homogène, où le grand effondrement arrive de toutes parts, ne serait pas renié par les collapsologues. Un futur qui ressemble hélas à notre présent, régi par un président au nom assez transparent de Maclot et où le « tout financier » façon macronie a abouti à la création de la milice privée Eau Noire – équivalent francisé de la société américaine Blackwater de sinistre mémoire –, un futur-présent où les pauvres sont considérés comme des monstres et où l’on prêche un discours fort vertueux contre les discriminations en faisant tout pour accentuer la fracture sociale. Ces six nouvelles donnent donc à lire, sous forme ludique, une bonne vision de l’état terminal de notre monde instable, un monde où l’on pourrait dire en forme d’euphémisme que les nouvelles du jour sont rarement bonnes. En mentionnant, séparés par plus de cinquante ans, « Le Survivant » (Boris Sagal, 1971, d’après Richard Matheson), et « Furiosa » (George Miller, 2024, qui n’était pas encore arrivé dans les salles obscures au jour de la publication de ce volume), Fabrice Schurmans relie hier à demain, tire un trait sur un demi-siècle et résume l’essentiel : ce qui est en train de se passer n’est pas réjouissant, mais personne ne pourra dire qu’on ne l’avait pas vu venir.


Titre : Paris perdus
Auteur : Fabrice Schurmans
Couverture et illustrations intérieures : Philippe Caza
Éditeur : Flatland
Collection : La fabrique d’horizons
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 129
Format (en cm) : 13,5 x 21,5
Dépôt légal : février 2024
ISBN : 9782490426243
Prix : 9 €


Les éditions Flatland sur la Yozone :

La collection La Tangente

- « Osgharibyan » par Léo Kennel
- « Protocole commotion » par David Sillanoli
- « Wohlzarenine » par Léo Kennel
- « Brutal deluxe » par Emmanuel Delporte
- « Monstrueuse Féerie » de Laurent Pépin
- « Angélus des ogres » de Laurent Pépin
- « Pill Dream » de Xavier Serrano

Les anthologies
- « Humanum in silico », anthologie
- « Aventures sidérantes », anthologie
- « Des lendemains qui shuntent », recueil de Bruno Pochesci

Le Novelliste
- La chronique du « Novelliste 1 »
- La chronique du « Novelliste 2 »
- La chronique du « Novelliste 3 »
- La chronique du « Novelliste 4 »
- La chronique du « Novelliste 5 »
- La chronique du « Novelliste 6 »



Hilaire Alrune
31 mai 2024


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