L’anthologie s’ouvre sur un poème de Chris Vuklisevic, coup de cœur du festival de cette année et fraîchement lauréate du Grand prix de l’Imaginaire pour « Du Thé pour les fantômes ». Des vers qui donnent envie de la lire davantage et donnent d’emblée le ton.
Christopher Bouix livre une nouvelle à chute savoureusement noire, sur une gestion de la fin de vie qui rappelle « Soleil vert » : moyennant finances, on peut se choisir un scénario de rêve pour partir en douceur. Plus loin, l’excellente Jeanne-A Debats, dans un texte très fouillé, nous évoque l’avenir d’une Humanité proche de « Matrix » : tous dans des sarcophages, nourris-logés, et l’esprit dans une réalité virtuelle pas si innocente qu’on veut le croire, vérolée de patriarcat et en proie à des troubles et luttes intestines. Son héroïne, affublée de son double virtuel, entreprend une quête vers les tréfonds qui se teinte bien sûr d’introspection.
Jean-Laurent del Socorro nous renvoie aux Croisades et aux Assassins d’Alamut, avec quelques références à son Artbon, pour parler Histoire, légende noire et œillères chrétiennes, en renversant nos certitudes. Simple mais efficace.
Anna Triss fait elle aussi le lien avec son oeuvre, en écrivant une lointaine préquelle à ses héros de sa « Guilde des Ombres ». Son Amour à mort est de la pure dark romance, avec un bellâtre qui sauve une jolie fille dans les bois, tombe follement amoureux, jusqu’à développer une jalousie meurtrière. Si quelques éléments sauvent un peu la morale finale, le traitement du personnage met franchement mal à l’aise. C’est un peu rapide et l’écriture ne m’a pas convaincu.
Lionel Davoust et Justine Niogret signent tous les deux des textes très émouvants, sans une once d’imaginaire, à peine une pointe de merveilleux.
Dans Pour se rappeler Mirigor, un paysan frappe à toutes les portes, mairie, église, pompes funèbres, pour faire enterrer son seul ami, son cheval de labour. Tous lui claquent la porte au nez, au nom de conventions sociales, et ce sont d’autres anciens réprouvés qui vont lui tendre la main. Qui a déjà perdu un animal en pleurera.
Hay cielos pa’l buen caballo nous emmène dans l’univers de la tauromachie (cher à l’éditeur), avec un gamin traité comme moins que rien, sur un cheval de réforme, confronté à un toro en colère, à l’inéluctable. Et à un dernier sursaut, un refus de se laisser encore, toujours piétiner. Pour mourir la tête haute.
Deux textes qui font la part belle aux sentiments de rejet, à la société dans toute sa violence, à l’humanité dans toute sa beauté.
Nous aurons des lits plein d’odeurs légères de Thomas Gunzig nous emmène au pays des drogues récréatives au côté d’un personnage effacé, qui trouvera dans la plénitude de l’au-delà plus de bonheur qu’au milieu des vivants et de son train-train quotidien. C’est beau et doux comme sait l’être l’auteur. L’Arrière-pays de Philippe Pastor y fait écho, avec un homme qui marche dans un pays vide, dans une quête qui semble vaine, métaphore de son deuil.
Thomté Ryam nous emmène aussi de l’autre côté avec son Grand oral, pour un traitement réactualisé de la pesée de l’âme et du sens de la réincarnation.
Ariel Holzl nous propose une jolie nouvelle fantastique avec La saison de la sorcière, autour de la jalousie, dans un décor qui évoque Salem. Toute simple, pétrie de finesse et parfaitement maîtrisée.
Tout comme David Bry et son Looping, avec un père qui revit en boucle en réalité virtuelle l’accident qui lui a coûté ses jambes, mais surtout sa femme et sa fille. On suit son effondrement, sa détresse et sa déchéance jusqu’à la seule sortie possible. Là encore, en marge, une critique de la société de divertissement.
Deux nouvelles très accessibles, qui donnent un aperçu de leurs plumes et une forte envie de découvrir leurs romans (si vous ne l’avez pas déjà fait malgré toutes les bonnes chroniques publiées ici).
Nec-Romance de Julia Richard nous entraîne à la cour du Portugal, où le Prince espère ressusciter sa fiancée grâce à deux chercheurs parvenus à d’encourageants résultats sur... des souris : la science comme ultime espoir face à un deuil impossible. La chute est délicatement horrible.
En clôture, Alain Damasio traite du même thème, avec un plongeur dans les souvenirs des défunts. Un très beau texte, exercice de styles, mélange de science, de psychologie et de bouffée d’émotions. La fin est beaucoup plus lumineuse.
Plume D. Serves signe un texte très fort sur les victimes de violences sexuelles. Dans Apparences du pire, écrit à la 2e personne du singulier, on suit une vie brisée, qui se reconstruit mal, se brise à nouveau et en brise d’autres, dans un cercle vicieux. L’héroïne voit le mal que lui font les autres s’afficher en couleurs sur leur peau, tout comme elles les voit masquer ses stigmates de la violence qu’ils infligent en revêtant masques et seconde peau en public. Le texte le plus violent, le plus fort et le plus surprenant du recueil.
Autant « Le futur de la cité », l’anthologie 2023 m’avait laissé sur ma faim, autant au contraire je n’ai rien à redire sur « Memento Mori » : cela manque peut-être un peu de fantasy, qui est l’essence des Imaginales. Les nouvelles sont d’excellente facture, embrassent largement les nuances actuelles de l’imaginaire et mettent en lumière la variété des talents, entre jeunes plumes méconnues et valeurs sûres solidement ancrées dans nos bibliothèques.
Titre : Memento Mori
Série : Anthologie des Imaginales 2024
Direction d’ouvrage : Gilles Francescano
Auteurs :
Christopher Bouix
David Bry
Alain Damasio,
Lionel Davoust
Jeanne-A Debats
Jean-Laurent del Socorro
Thomas Gunzig
Ariel Holzl
Justine Niogret
Philippe Pastor
Julia Richard
Thomté Ryam
Plume D. Serves
Anna Triss
Chris Vuklisevic
Couverture : Daria Schmitt
Éditeur : Au Diable Vauvert
Collection : Littérature Française
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 20 x 13 x 2,5
Dépôt légal : avril 2024
ISBN : 9791030706789
Prix : 20 €