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Arrietty, le Petit Monde des Chapardeurs
Mary Norton
Ynnis, Romans, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), low fantasy, 226 pages, avril 2024, 13,90€

Pour une petite fille un peu curieuse, la vieille Mme May raconte comment enfant, son frère en convalescence dans une maison anglaise, chez leur grand-tante Sophie, a vu des Chapardeurs.
C’est le début de l’histoire des Horloge : Pod, Homily et leur fille Arrietty. Pod a été « vu » par le garçon, et pour les Chapardeurs, c’est généralement le signal du départ de la maison, d’émigration à la campagne. Ce qui horrifie Homily, dévastée par la perte prochaine de leur confort. Pour Arrietty, c’est l’occasion de sortir de sous leur plancher, et de retrouver ses cousins.



« Le petit monde des Chapardeurs » n’est que le premier volet, sur cinq, des aventures de ces petites gens imaginés par Mary Norton dès 1952, et qui lui valu la Carnegie Medal. C’est un plaisir de le voir réédité, dans une nouvelle traduction, grâce à Ynnis qui fait suite à l’adaptation par le studio Ghibli en 2011, dont l’esthétique est fortement reprise par l’illustratrice de la couverture Naomi VanDoren.
Mais ce n’était pas la première : les plus vieux d’entre nous (et les parents) ont peut-être souvenir des « Borrowers » de Peter Hewitt avec John Goodman (et Tom Felton tout jeune !) en 1998 (les effets spéciaux ont un peu vieilli). J’ai aussi découvert un téléfilm anglais, avec Christopher Ecclecston, « Le Mini Noël des Borrowers », contemporain d’« Arrietty ».
Le roman a 70 ans, et hormis le contexte de la convalescence du garçon (les colonies anglaises en Inde fin XIXe), tout est presque intemporel.
L’œuvre de Mary Norton a donc réellement infusé la culture enfantine, et aujourd’hui encore, on trouve des Chapardeurs par exemple dans la très belle trilogie BD de Sepia « Le Petit Peuple », qui brassent les mêmes thèmes.

Quels sont-ils ? Comme écrit plus haut, le roman est un récit enchâssé, et commence par cette rupture du train-train quotidien : Pod a été vu, et il va falloir partir. Tandis qu’Homily se lamente, on explique à la jeune Arrietty qui rêve de liberté l’histoire de la famille au sens large, les dangers du monde des géants, les « disparitions » de chapardeurs capturés et sans doute tués. Pour mieux convaincre la petite fille du danger, son père accepte qu’enfin elle l’accompagne en chapardage. Arrietty va alors rencontrer ce grand garçon en convalescence, et l’un comme l’autre ne se faisant pas peur, ils vont discuter. La jeune fille va lui en révéler beaucoup, dans son enthousiasme d’avoir enfin un ami de son âge, si ce n’est de sa taille. Et ils vont s’entraider.

Il est très drôle de lire sa façon de présenter le monde, forcément centrée sur les Chapardeurs : les géants ne sont là que pour fournir des ressources dont ils ont besoin. Elle a bien du mal à admettre que les géants puissent être si nombreux, puisqu’à l’échelle de son microcosme ils ne sont qu’une poignée, quand les Chapardeurs des différentes branches familiales sont (ou étaient) très nombreux dans la Maison. Si on peut s’interroger (en tant qu’adulte) sur le côté réaliste de la fiction/récit enchâssé (bien que Mme May donne des arguments pour le justifier), cette narration à la hauteur des Chapardeurs est très immersive et maîtrisée, et nous impose vraiment de voir le monde à leur hauteur.

La suite est telle qu’adaptée dans l’anime de Hiromasa Yonebayashi : le jeune garçon va vouloir faciliter la vie des Horloge en leur fournissant directement ce qu’ils ne peuvent chaparder. Les bibelots qui disparaissent attirent l’attention de la domestique revêche, comme Pod avait mis en garde, et va conduire à leur découverte et l’intervention d’un exterminateur. Et donc, finalement, leur exode, mais là aussi le garçon va les aider, en déposant les plus gros objets près de leur nouveau foyer.

Confrontation de deux mondes, fin des statut quo et de la routine, amitié sincère de jeunes gens, conséquences désastreuses de leurs actes bien intentionnés (le mieux est l’ennemi du bien), opposition des réactions des adultes (Mme D. / la domestique / le jardinier... mais aussi Pod et Homily) : c’est un vrai monde, à une petite échelle, que l’autrice présente à ses jeunes lecteurs, avec toutes ses nuances, et non pas binaire (gentils Chapardeurs contre méchants géants). Homily présente toutes les familles qui ont vécu dans la maison, et on y retrouve toute une hiérarchie sociale, avec leurs défauts, qui se retrouvent dans leur nom : Les Armoire-à-linge qui deviennent Clavecin en déménageant, et sont devenus plus snobs. On louera l’inventivité très pratique de Mary Norton sur l’onomastique des Chapardeurs.
On verra aussi que les règles apparemment très strictes sont assouplies par les adultes : oui, Pod a été vu par le garçon, mais il va régulièrement voir la maitresse de maison dans sa chambre. Certes, elle a un bon coup de madère dans le nez et son grand âge la font douter de la réalité.

Mary Norton, dans le dialogue entre sa conteuse, Mme May, et sa jeune auditrice Kate, joue avec nous, public aussi captif. La vieille dame semble avoir beaucoup de réponses aux questions légitimes de la fillette, mais reste parfois évasive, botte en touche. La dernière phrase est mortellement cruelle, nous obligeant à réinterroger toute la crédibilité du récit, nous mettant devant le fait accompli : comme Kate, n’avons-nous pas simplement envie d’y croire ?

Il n’y a pas de hasard si « Le petit monde des Chapardeurs » est un véritable classique : sou un abord très accessible, une histoire pour les plus jeunes, l’autrice aborde autant les attentes des jeunes, l’envie de grandir, que les multiples conséquences de la cohabitation de deux mondes, deux cultures, dont l’une dépend de l’autre, qu’elle exploite et méprise un peu. On pourra aussi y voir y critique de la colonisation anglaise et son occupation de l’Inde évoquée.
Bref, au-delà de l’émotion des aventures vécues, de l’attachement aux petits personnages, c’est une vraie projection dans leur microcosme pour mieux aborder notre vision du monde.
Un roman à mettre entre toutes les mains car chacun aura son niveau de lecture, et on espère qu’Ynnis (re)publiera le reste de la série.


Titre : Arrietty, le Petit Monde des Chapardeurs (the borrowers, 1952)
Série : Les chapardeurs, 1/5 + 1 nouvelle
Autrice : Mary Norton (1903-1992)
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Magali Mangin (nouvelle traduction)
Couverture : Naomi VanDoren
Éditeur : Ynnis (précédentes éditions françaises : Plon, 1957 ; L’Ecole des Loisirs, 1979, traduction d’Anne Green)
Collection : Romans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 226
Format (en cm) : 20 x 14 x 2
Dépôt légal : avril 2024
ISBN : 9782376974710
Prix : 13,90 €



Nicolas Soffray
16 mai 2024


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