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Ars Obscura tome III : Sorcier empereur
François Baranger
Denoël, Lunes d’Encre, dark fantasy, mars 2024, 620 pages, 24 €


Avant d’aborder ce « Sorcier Empereur », il nous faut, comme le fait l’auteur en début de volume, revenir sur le contexte des deux premiers tomes, Ars Obscura Livre I : Sorcier d’Empire et Ars Obscura tome 2 : Second sorcier. Dans les années 1815 imaginées par François Baranger, une inquiétante forme de magie, l’Ars Obscura, est apparue dans l’Empire après le retour de Napoléon d’Égypte. Une seule personne la maitrise pleinement : un sorcier nommé Élégast qui semble être au service de l’Empereur. Mais la magie, fort utile lors des combats contre les ennemis de l’Empire, n’est pas sans effets indésirables : de manière imprévisible, des manifestations surnaturelles surviennent ici et là, emportant les habitants et libérant les terribles résurgions, également nommés malebêtes, qui terrorisent la population. À l’Est, où s’élaborent des alliances contre l’Empire, Nicolas, le frère du tsar Alexandre de Russie, est parvenu à réveiller un être depuis longtemps endormi, un personnage plus sinistre encore que le sorcier Élégast, qu’il pourrait peut-être vaincre, permettant aux troupes russes d’envahir la France. Un Élégast qui, une fois Napoléon tombé entre les mains des Russes, se fait à son tour nommer empereur.

« Tout peut toujours être pire. L’horreur ne connaît nulle limite. »

C’est dans ce contexte particulier que nous retrouvons les personnages des deux premiers volumes. Pour Irénion Brégante, fidèle à Napoléon, il n’y a pas d’autre choix que de fonder la Résistance, emmenant avec lui une partie des troupes faire sécession dans la vallée de la Gaoube, dans les Pyrénées, et cherchant à rallier à lui d’autres commandants et d’autres capitaines. Pour le mercenaire Ludwig Arcerèse et la naturaliste Ethelinde Ordant, c’est une longue et dangereuse odyssée à travers l’Égypte tombée aux mains des Anglais pour aller, au nez et à la barbe des ennemis, mais aussi des djinns, essayer de faire la lumière sur ce qui s’est passé dans les ruines souterraines des Pharaons et en ramener des artefacts magiques : comme dans les premiers tomes, beaucoup se joue en effet autour des différentes variétés d’aiônite, dits aussi cristaux cérulés ou lapis lucidus, ou encore pierre d’uchronite, indispensable catalyseur et combustible de l’Art Obscur, et des personnages ayant la capacité soit d’utiliser ces cristaux, soit de pondérer leurs effets. Pour l’intrigante et aventurière Irina Uliatine, il s’agit d’accéder à un pouvoir toujours plus grand à la cour de Russie, quitte à vendre son âme, ou ce qui en reste, pour être à son tour initiée à l’Art Obscur. Pour la bohémienne Azra, accompagnée du russe Pavel et du noble déchu Léandro, ancien soldat de la Garde Hermétique, il s’agit de pister l’infâme Uliatine à travers ses diverses missions à travers l’Europe pour s’en venger, et surtout pour l’occire. L’érudite Lithian, elle, poursuit la quête de l’ordre des Magi Karoli Magni – les Mages de Charlemagne – qui n’est pas sans rapport avec les aventures vécues par les autres protagonistes. Tous ces personnages et bien d’autres encore se croisent, se retrouvent et s’affrontent au gré d’un séquençage toujours très feuilletonnesque.

« Certaines portes ne devraient jamais être ouvertes. »

Ce troisième tome – en toute subjectivité, mais une lecture est forcément subjective – nous paraît être celui qui prête le plus le flanc à la critique. Défaut chronique de la fantasy, il semble trop long. Avec plus de six cents pages, alors que les tomes 1 et 2 en faisaient chacun moins de cinq cents, « Sorcier Empereur » donne plus d’une fois l’impression de tirer à la ligne, et ceci d’emblée avec une scène de bataille entre sorciers écrite sans conviction, puis avec les discours du capitaine de navire Loukas Christopoulos, pontifiant à répétition de façon universitaire (de toute évidence pour expliquer le contexte au lecteur, on est ici dans la maladresse classique que les anglo-saxons nomment expository lump). On trouve des astuces techniques trop ostensibles (par exemple, pour les évènements du 13 août 1815 en Égypte, le temps de narration bascule d’un paragraphe à l’autre du passé au présent quand l’action s’emballe, puis repasse aussi brutalement au passé dès que la situation s’apaise), bien des facilités scénaristiques (la simplicité avec laquelle Uliatine se débarrasse de ses rivaux ou celle avec laquelle Nicolas assassine Alexandre), des coïncidences opportunes (par exemple quand après son évasion parisienne Pavel retrouve aussi facilement Azra), et nombre de deus ex-machina (la potion d’invisibilité, le souterrain qui en Égypte apparaît à point nommé, les leviers fort opportunément laissés au sol par les Russes). On pourra s’étonner de l’obstination des protagonistes à narrer leurs aventures au passé simple, de manière souvent très littéraire, ce qui ne sonne jamais naturel. Enfin, et l’on revient ici à notre remarque initiale, le roman aurait gagné à être plus intense (la littérature feuilletonnesque ne manque pas d’exemples, les scènes de combat sont ainsi très loin derrière celles d’un Michel Zévaco), et la prose à être plus dense, plus marquante (la faiblesse récurrente des descriptions de résurgions nuit à plus d’un passage, et si la scène du rituel en présence d’Ordant et de Napoléon peut être considérée comme réussie, d’autres apparaissent superficielles et hâtivement écrites). De surcroît, une relecture attentive aurait permis d’alléger le texte de nombreuses répétitions.

Si l’on a l’impression qu’avec ce troisième tome François Baranger s’éloigne de sa meilleure veine, on se gardera cependant de faire une chronique à charge d’un volume qui, fidèle son projet initial, emporte le lecteur aux côtés d’une vaste galerie de protagonistes et à travers une multitude de lieux. Si l’auteur s’y entend pour maintenir le suspense en évitant de se laisser aller aux révélations que certains peut-être attendaient, ajoutant même de nouveaux mystères, comme l’identité du très mystérieux Jorandi auquel il est fait plusieurs fois allusion, il permet à ses personnages, à travers leurs pérégrinations, de jeter un peu de lumière sur les vastes zones de ténèbres dont la compréhension leur échappe. Drames, rebondissements, traîtrises, fuites, évasions, espionnage, épouvante, magie et combats nourrissent ce « Sorcier empereur », mais il faudra d’autres péripéties encore pour en savoir plus sur ces étranges phénomènes de « persona absens a suo tempore », sur Hursëlïnh, l’Autre Monde et « pays des feuillages » ou sur l’Entre-monde, l’Obscuri fines, ou Territoire Obscur, la Lisière et les vallées Putrides. Reste à supputer, à faire des paris – gageons que des personnages encore secondaires, telle l’américaine Eleanor Rockwell, sont appelés à prendre par la suite une plus grande importance – en attendant la parution du dernier tome, « Ars Obscura Livre IV – Sorcier d’Apocalypse ».


Titre : Sorcier empereur
Série : Ars obscura, tome 3
Auteur : François Baranger
Couverture : François Baranger
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’Encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 620
Format (en cm) : 14 x 31
Dépôt légal : mars 2024
ISBN : 9782207165904
Prix : 24 €



François Baranger sur la Yozone :

- Ars Obscura tome I : Sorcier d’Empire
- Ars Obscura tome 2 : Second sorcier
- L’Effet domino
- Les Montagnes hallucinées (illustrateur)
- Tepuy



Hilaire Alrune
15 mai 2024


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