Des cadavres d’enfants exsangues, un mystérieux code chiffré, un Lord revanchard, des savants naïfs... Tous les ingrédients d’un bon thriller historique ! Mais voilà, Robert J. Lloyd a beau avoir fait beaucoup de recherches, comme en témoigne une riche bibliographie, son roman pèche par bien des points.
N’aurais-je point vu qu’il avait d’abord été auto-édité, avant d’attirer un éditeur grâce aux éloges d’un autre auteur (qui du coup baisse dans mon estime), je l’aurais remarqué sans mal. Malgré un retravail (indiqué en postface), les 100 premières pages accumulent les faiblesses et les erreurs de débutant. Page 53, on s’échine à faire passer un tombereau dans des escaliers avant d’admettre page suivante qu’on pouvait juste porter le petit corps et s’épargner ces difficultés...
Contrairement à d’autres auteurs débutants férus d’Histoire, Lloyd évite l’écueil d’étaler ses connaissances. Enfin, pas tout de suite. Il tombe d’abord dans l’excès inverse ! Nous sommes en 1678, 12 ans après le Grand Incendie de Londres, la fin de Cromwell et le sacre de Charles II. J’espère que vous êtes familier de cette époque, car c’est simple, il n’y a aucune description de quoi que ce soit : ni des personnages (Harry est « mince et pâle », Hooke « vieux et courbé, la goutte au nez », sa fille Grace « éblouissante »...) ni de leurs vêtements (essentiels dans le paysage visuel), ni des lieux (Londres est en pleine reconstruction pourtant). Débrouillez-vous. Jusqu’à ce que les commentaires sur la religion et la « philosophie naturelle » (comprenez les sciences) se fassent nombreux, l’histoire pourrait se passer 2 siècles plus tôt ou plus tard sans différence dans le texte.
Après la construction de l’intrigue - la mise en place d’un jeu de piste où ni le héros Harry ni le lecteur ne s’y retrouvent entre demi-vérités et mensonges -, les 150 dernières pages basculent dans la course-poursuite totale (Harry est poursuivi par un tueur jusqu’en haut d’une tour, puis sa tentative d’empêcher l’assassinat du roi au milieu d’une procession qui paralyse la ville). C’est assez haletant, mais ma lecture a fortement pâti d’incohérences comme la forme héroïque d’Harry pourtant perclus de douleurs car battu, passé à tabac et couvert de bleus, ou de l’absurde idée d’une procession de nuit, donc aux flambeaux, dans une ville où le traumatisme de l’incendie est plus qu’à vif... Harry utilise la lanterne de Hooke, jusqu’à ce qu’elle se casse dans son affrontement avec le tueur, mais c’est dommage, nous ne saurons jamais en quoi elle était bien conçue, puisque jamais décrite non plus...
Enfin, le premier chapitre où nous voyons Shaftesbury sortir de la Tour, brûlant de haine, ne cadre absolument pas avec le personnage que nous retrouvons ensuite, malade, avec une sonde gastrique. Il faut croire qu’il a échappé à la relecture. De même que la mise en place du faux complot est risible : on prend deux illuminés qui vont agiter les tensions religieuses, en y croyant eux-mêmes à moitié... On se demande comment le juge et le roi s’y laissent prendre...
Bref, tout cela forme un tout très bancal, un amoncellement déversé à la va-vite pour nous noyer sous l’information. Comme Harry Hunt, on ne sait pas si tout est lié ou pas. On en apprend beaucoup sur la philosophie naturelle et cette Société royale, qui est un nouvel élan de la science expérimentale et s’oppose aux croyances et superstitions. Dans la culture savante des personnages les deux cohabitent bien pourtant, comme si mémoriser ces balivernes « au cas où » était toujours un pré-requis du cursus.
L’auteur s’appuie sur la biographie du vrai Robert Hooke, éminent savant expérimentateur, mais avoue avoir compacté deux ans d’événements en une intrigue d’un mois. Une bien mauvaise idée, qui donne une impression de précipitation constante et nuit au réalisme. Par exemple, Harry décode des pages entières lettre à lettre... en une nuit ! (et attendez de découvrir comment et en combien de temps cela a été codé...)
La partie concernant la guerre, avec les liens créés à cette époque entre des protagonistes, est un peu plus facile à suivre, moins touffue, et on finira par y voir un peu plus clair en dernier ressort, à la toute fin, quand on nous explique les dessous de l’affaire, finalement beaucoup moins alambiquée qu’imaginée, simple accumulation de hasards et de proximités.
Bref, un thriller qui se laisse lire et se révèle très ordinaire dans ses excès abracadabrantesques, un roman historique riche de sciences mais très pauvre en matériau immersif, une trame gâchée par les faiblesses et les incohérences, et une temporalité bien trop courte.
De fait, il faudrait débrancher son cerveau pour apprécier le thriller, mais en ce cas tout le discours scientifique nous en semblera encore plus abscons. Alors on avance, certes de plus en plus vite une fois les marques prises, en soupirant toujours plus...
C’est bien dommage, car au-delà des mauvais choix ou de l’absence de réel travail éditorial, la matière d’un bon thriller scientifico-historique était là.
Titre : La Société Royale (the bloodless boy, 2013, 2021)
Auteur : Robert J. Lloyd
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Fabrice Pointeau
Couverture : studio J’ai Lu d’après Robert Hooke
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Sonatine, 2023)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14052
Pages : 565
Format (en cm) : 18 x 11 x 3
Dépôt légal : mars 2024
ISBN : 9782290398227
Prix : 9,20 €