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Avenir est Pavé de Bonnes Intentions (L’)
Claire Boissard
Phoenicurus, nouvelles (Suisse), anticipation / science-fiction, 220 pages, novembre 2023, 19,50€

Des pollueurs punis dans le futur, de la téléportation de loisir, des robots, de la domotique, de l’eau rare ou des fourmis géantes, ou encore le foot en super-puissance, le futur nous réserve plein de surprises, et pas forcément bonnes...



En 12 nouvelles, l’autrice suisse Claire Boissard imagine des avenirs très variés, améliorés par la technologie ou au contraire ravagés par les changements climatiques.
Peine Atemporelle” imagine des criminels injugeables enlevés par une brigade temporelle. Là, c’est le directeur d’un groupe pharmaceutique qui disparaît sur son voilier au moment de transmettre son entreprise. Pas d’impact sur la ligne temporelle, et les coupables purgent une peine éternelle façon Sisyphe.

La dernière ligne est drôle, mais cette première nouvelle est déjà annonciatrice des qualités et des défauts d’une grande part du recueil : l’autrice a visiblement été attentive à quelques cours de creative writing, mais ces textes manquent d’originalité, leur pitch tient en une ligne et ils n’ont finalement pas grand intérêt. On rappellera aussi la règle du « Show, don’t tell » : les passages d’exposition pure trahissent une incapacité à faire passer la description et les enjeux de l’univers au travers de l’action, et alourdissent un propos déjà très binaire énoncé dans le titre : de bonnes intentions forcément dévoyées.

Dans “Aquapolis”, le personnage remet en cause la version officielle des cités sous-marines où l’Humanité a trouvé refuge, quand il découvre que les baies vitrées sont en fait des écrans. Il rejoint une « résistance » dont on ne saura jamais s’ils sont dans le vrai ou complotistes puisque le texte se termine abruptement au lieu de donner la réponse. Frustrant, malgré une esquisse de lutte sociale.

Le Noeud” nous met dans la situation de crise d’un terminal de téléportation qui doit gérer 3 transferts au lieu d’un seul, ce qui conduira sans doute à la mort d’un voire deux d’entre eux, et on leur demande de privilégier un riche fils à papa qui a outrepassé les protocoles. On ressent leur tension et le cas de conscience. La seconde partie n’est pas mauvaise mais moins bien écrite, et la conclusion, pour le coup un peu attendue mais savoureuse, est trop brutale.

La Valse d’Ava” se passe dans une prison ou un asile, où la protagoniste amnésique voit sa routine quotidienne chamboulée par une remontée de souvenirs. Au lieu de faire confiance à son médecin, elle tait ses progrès et organise son évasion. Mais voilà, tout cela est en fait une expérience.
Peut-être le meilleur texte du recueil, tant sur le fond que la forme. La routine quotidienne est bien rendue, la paranoïa aussi.

La thèse” est au contraire bâclée. Un conférencier présente ses travaux sur la destruction des animaux par l’Homme, survenue des générations avant le monde actuel où on mange des insectes mutants énormes. Il se heurte, comme ses prédécesseurs des Lumières, aux esprits endoctrinés par la religion. On a à peine le temps de deviner l’état du monde en arrière-plan avant la chute de la nouvelle. Là encore, des bonnes choses pas assez approfondies et une frustration finale.

Dans “Le casse”, un quatuor a planifié le braquage d’un kiosque d’espèces, à une époque où les paiements sont presque tous électroniques. Le « cerveau » a pensé à tout pour échapper au pistage... ou presque. J’aime beaucoup le sujet d’un refus d’une hyper-connexion, l’humour repose sur un effet de répétition bien utilisé, mais la fin est bancale (ils se font arrêter par des flics sortis de nulle part).

Ligne de touche” est la plus longue nouvelle, presque 40 pages. La fille d’un footballeur investit un centre d’entrainement de l’ONUF, super-FIFA du futur où le foot est omniprésent et tout-puissant. On retrouve les poncifs de l’opium du peuple et de l’ingérence dans le politique, autour des thèmes de l’argent-roi et du sport-spectacle. La jeune femme est en fait une rebelle qui vient chercher des preuves que des trucs pas nets se passent en douce. Pour cela, elle séduit son guide sur l’île privée où elle prétend retrouver son père, joueur retraité.
Là encore, malgré la place, l’autrice se contente d’une idée de SF ultra-classique (l’augmentation des performances à tout prix) et la croise à une trame plus intimiste, la relation père-fille conflictuelle, qui ne sera guère développée au-delà du prétexte. La fin est sans surprise. À la rigueur, cela ferait un premier chapitre de roman pas forcément inintéressant.

La bouteille” atteint un certain sommet de néant. Dans un avenir désertifié, un touriste meurt de soif devant un marchand qui détient une bouteille d’eau pure. Peu après, des pillards ravagent le village, mettant fin aux espoirs du marchand de refaire sa vie. Paradoxalement, c’est plutôt bien écrit (surtout la seconde partie), mais sans le moindre intérêt, tout se terminant avant même d’avoir commencé, la vague accroche émotionnelle au couple de marchands n’ayant pas le temps de s’étoffer. Pas d’histoire, d’enjeu, pas de fin, juste deux « instantanés ».

Home sweet home” lorgne du côté du feel-good : une jeune femme vient d’emménager dans une maison bourrée de domotique et préfère parler aux IA plutôt qu’à ses voisins, avant d’ouvrir sa carapace grâce à un chat envahissant. C’est tout. La chute est une simple blague, plutôt un trait d’esprit de dialogue. L’histoire est bancale, reposant sur le fait que la jeune femme ne demande pas tout de suite à son IA domestique comment le chat est rentré et illustrant donc que ces « intelligences » artificielles ne sont rien sans l’humain, mais c’est aussi contradictoire avec d’autres de leurs initiatives... Bref, rien ne va sur le fond.

Dans “La dernière fille”, l’Humanité a accédé à une longue vie mais perdu la fertilité. La dernière fille née est volontaire pour une FIV, et espère que devenir mère à son tour redonnera foi en la vie à sa propre mère, qui s’étiole. Et, incroyable, après beaucoup de craintes, oui, ça marche. Encore une fois, pas mal écrit, mais le fond est si ténu, les enjeux si faibles... La comparaison ne tient pas face au même sujet traité il y a des années déjà par P.D. James dans « Les fils de l’homme » ou Paolo Bacigalupi dans « La Fille-Flûte »

Le bocal de cerises au kirsh” est rigolo parce que reposant sur un ressort un peu absurde. Bref (6 pages), il voit les premiers ébats bucoliques d’un jeune couple interrompu par une interversion entre le fameux bocal de cerises au kirsh et un autre très similaire contenant des fourmis géantes africaines. Ce qui serait la genèse mythique de la fin du monde.

Un incident fâcheux” clôt le recueil. Un jeune couple qui se prépare à faire un bébé voit le monde disparaître élément par élément : d’abord les androïdes qui font le service dans leur restaurant, puis des objets, leur voiture, des immeubles... L’autrice fait bien monter la tension, la catastrophe va crescendo jusqu’à ce que tout disparaisse, jusqu’à la main de son chéri dans celle de la protagoniste. Las, trois fois las, Claire Boissard ne s’en tient pas là, et rallonge son texte du réveil dans une arche, l’explication que leur serveur des Sims a bugué et que le programme de repeuplement de la Terre va donc reprendre en avance puisque tout le monde est réveillé. Une seconde partie lourdingue, totalement inutile et archi-revue, qui gâche toutes les qualités du début.

Mon ressenti final ne sera pas surprenant : pour un néophyte en SF, « L’avenir est pavé de bonnes intentions » aborde des tropes ultra-classiques et donne donc des bases, dans des textes courts, assez simples. L’autrice, maladroitement, décrit des avenirs avec force détails rappelant l’âge d’or de l’Anticipation. Tout cela est gentillet, et fournira donc des bribes utiles pour le jeune lecteur qui tomberait sur ce recueil plutôt que sur ceux, au hasard, d’inconnus peu prolifiques et décédés comme Asimov, Van Vogt ou, pour citer quelques Français de qualité et toujours vivants, Joëlle Wintrebert, Sylvie Lainé, Jeanne-A Debats, Serge Brussolo ou Jean-Claude Dunyach (dans toutes les bonnes librairies et bibliothèques).

Ce recueil est donc pavé de bonnes intentions, mais cela ne suffit pas à faire de bonnes nouvelles. La qualité littéraire est déjà assez inégale. Ensuite l’autrice n’arrive souvent pas à dépasser le simple enjeu de son thème ou à lui donner corps autour de son fil plus intime, se bornant à les juxtaposer, à nous exposer ses visions du futur sans vraiment les mettre en scène de façon transparente. Une bonne nouvelle, c’est prendre comme point de départ ce à quoi l’autrice arrive à la fin, et nous emmener au-delà de l’évidence. Que la moitié des textes n’aient pas de fin, d’enjeu ou d’intérêt narratif est tout de même handicapant ! Le résultat fait très amateur, et l’auto-édition est probablement le dernier point révélateur du manque d’un regard extérieur professionnel et critique.

Tout n’est pas à jeter, certes, mais bien peu à garder.


Titre : L’avenir est pavé de bonnes intentions
Nouvelles :
Peine Atemporelle
Aquapolis
Le Nœud
La Valse d’Ava
La thèse
Le casse
Ligne de touche
La bouteille
Home sweet home
La dernière fille
Le bocal de cerise au kirsh
Un incident fâcheux
Autrice : Claire Boissard
Couverture : N/A
Éditeur : Phoenicurus (auto-édition via Lulu.com)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 220
Format (en cm) : 20 x 12 X 1,2
Dépôt légal : novembre 2023
ISBN : 9781446701003
Prix : 19,50 €



Nicolas Soffray
19 juillet 2024


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