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Fille du Destin, tome 1 : Les Emeutes de la Nuit sans Lunes
Kika Hatzopoulou
La Martinière, Fictions, roman (USA), fantastique, 412 pages, janvier 2024, 20€

A Alante, cité lacustre aux bas-quartiers envahis chaque jour par la marée, les humains cohabitent avec les nés-autrement, descendants des dieux et héritiers de leurs pouvoirs. Les sœurs Ora, Thais, Ava et Io sont nées-moire, capables comme les déesses grecques de tisser, renforcer et couper les fils du destin.
Depuis toute petite, Io a un fil qu’elle évite de suivre : celui qui la relie à son âme sœur. Mais lorsque ce jeune homme débarque sur la scène de crime qui l’occupe, la détective du surnaturel ignore que ce sera le cadet de ses soucis. En effet, une créature du fil de vie tranché s’en prend à des habitants d’Alante, et Bianca Rossi, la reine des bas-quartiers, l’engage pour découvrir le dessous de l’affaire.



Pour son premier roman, Kika Hatzopoulou nous offre un agréable mélange de fantastique, de romance et de thriller.

On découvre l’univers par petites touches. Une basse-ville envahie chaque nuit par la marée, un quartier aux mains des groupes mafieux armés de poings américains et rarement d’armes à feu... On imagine une ambiance d’Amérique post-Dépression, un petit côté « Incorruptibles » que la campagne politique du Commissaire Saint-Yves vient confirmer. Viennent s’ajouter la Lune brisée en 3 morceaux, les nés-autrement, et on bascule en plein post-apo urbain, un monde qui s’est reconstruit sur les ruines d’un cataclyme. La proximité sonore d’Alante avec Atlantis n’est probablement pas un hasard.

La trame est celle d’un thriller : des sortes de morts-vivants - puisque leur fil de vie, que les nées-moire comme Io peuvent voir, a été tranché - agressent des citoyens, les accusant de crimes passés. La jeune Io, détective spécialisée dans les adultères, nous apprend aussi qu’elle est une Moire Trancheuse, capable de tuer en coupant le fil de vie des gens. Mais ces créatures-là n’en ont qu’un moignon, dont elles se servent comme armes ! À la demande de Bianca Rossi, la chef du plus puissant gang, elle va devoir enquêter. Mais Bianca lui adjoint son lieutenant, le beau Edei, qui est donc l’âme sœur à qui elle est liée.

On rajoute donc une dimension romance compliquée, puisque Io rejette Edei pour plusieurs raisons. D’abord, il a déjà une petite amie, et ses sœurs lui ont toujours enseigné de respecter cela, et surtout ce fil du destin lui pose un problème moral de libre arbitre, pour elle et pour lui. Et donc elle doit travailler avec lui, et le danger pousse quand même à un peu de rapprochements. Ils sont donc un peu mal à l’aise, gauches, comme deux grands ados maladroits. C’est bien fait et agréable à suivre.

On ajoute la cerise sur le gâteau avec la trame politique, la montée en puissance d’un commissaire qui veut faire travailler humains et nés-autrement ensemble plutôt que sous-considérer ces derniers. Et Io découvre qu’il est soutenu et fiancée à sa sœur Thais, qui avait disparu depuis quelques années, à cause d’Io, finira-t-elle par nous avouer. Thais est l’idéaliste de la fratrie, et son pouvoir permet de renforcer des fils : est-elle utilisée par Saint-Yves pour renfoncer son charisme ? ou bien est-ce elle qui se sert de lui ?

Il vous en faut encore ? Quand Io fait appel aux Neuf Muses pour obtenir des informations, elles lui prophétisent qu’elle sera à l’origine de la fin du monde. Cela met une petite pression supplémentaire.

Agitez tout cela sur 400 pages, et cela vous donne une aventure nerveuse, pleine de mystère et de secrets soigneusement tus, comme ce qui c’est passé lors des Émeutes de la nuit sans lunes, 12 ans plus tôt. La cité est au bord de l’implosion, certains actes se jouent en pleine lumière et d’autres dans l’ombre. Les pouvoirs des nés-autrement donnent une petite touche super-héroïque, et la filiation avec les divinités antiques rajoute un vernis mythologique. Cela permet de parler racisme et ségrégation, comme chez les X-Men, puisque des pouvoirs de ce type fascinent autant qu’ils effrayent, et leur concentration dans un quartier aux mains des gangs permet toutes sortes de commerces en marge de la loi comme de la morale. On a aussi affaire à des exilés (Edei est, en gros, égyptien), et beaucoup de minorités visibles, qui donnent aux bas quartiers d’Alante, cité de réfugiés et réprouvés, une population très cosmopolite, qui apporte avec elle ses propres dieux et nés-autrement.

Si je voulais être pénible, je râlerais sur des micro-détails, comme les lunettes d’Io (elle est hypermétrope, apprend-on p. 355 !) qui apparaissent sans prévenir ; l’intérêt limité des chimères (montrer les mutations post-apo ?) ou l’entrée en matière un peu brutale, très « école d’écriture ».

Non, en fait, dès la couverture aux codes affichés du comics (avec les fils en vernis sélectif brillant) et cet univers flou mêlant plein d’influence, je savais que je passerai un bon moment. L’autrice entremêle très serré toutes ses trames, des histoires de famille des sœurs Ora aux conséquences de la nuit des Émeutes, les luttes de pouvoir politique, les amours contrariées et contrariantes des unes et des autres. Tous les fils tournent autour d’Io, et elle est la seule à pouvoir les démêler, aussi compliqué et lourd à porter cela soit-il.

C’est une histoire de causes et de conséquences, de choix et de dettes à payer, et le récit du moment où tous les comptes se règlent. Chacun a son plan pour en profiter, et bien sûr rien ne se passe comme prévu. Le carnage final est total, Alante est à feu et à sang mais beaucoup de questions trouvent leur réponse, rendant ce premier tome presque auto-conclusif, ce qui n’est jamais désagréable.

Après ces « fils qui lient », on a hâte de retrouver Io dans « Hearts that cut ».
La seconde partie lèvera le voile sur qui tirait les ficelles, élargira la vision du monde et nous dira si les dieux d’autrefois sont derrière tout cela et pourquoi.


Titre : Les Émeutes de la Nuit sans Lunes (threads that bind, 2023)
Série : Fille du Destin, tome 1/2
Autrice : Kika Hatzopoulou
Traduction de l’anglais (USA) : Thomas Leclère
Couverture : Corey Brickley
Éditeur : Éditions de la Martinière Jeunesse
Collection : Romans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 412
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9791040116660
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
16 avril 2024


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