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Nouvelle Ère
Johan Héliot
Seuil, Jeunesse, roman (France), anticipation, 270 pages, mai 2023, 14,90€

Après une nuit blanche, un ado et sa petite soeur, un retraité dont la femme est dans le coma, un interne de garde à l’hôpital et une étudiante sortie en rave party se retrouvent les seuls habitants d’une petite ville à être encore réveillés : tous les autres dorment profondément.
Mais c’est quand ils se réveilleront que les choses prennent un tour étrange.
Tous les communications sont coupées, et soudain une mystérieuse femme diffuse un message : son groupe de savants a trouvé comment changer l’Humanité pour la pousser dans la voie nécessaire à sa survie et au bien de la planète. Une nouvelle ère, après une nuit où le cerveau est reprogrammé, avant qu’on réattribue à chacun une meilleure place dans la société.
Autant dire que nos quelques rescapés ne sont très motivés à l’idée de ce lavage de cerveau...



Contrairement à ce que la lumineuse mais inquiétante illustration d’Aline Bureau laisse présager, « Nouvelle Ère » n’est pas une énième dystopie où tout le monde est coulé dans le moule, sauf quelques rebelles. Non, ça, c’est le projet du mystérieux groupe. Toute l’histoire narrée par Johan Héliot se déroule avant cette grande bascule et a davantage des accents de thriller d’anticipation.

L’auteur accorde un chapitre d’introduction à chaque personnage, dans lesquels il joue sur des niveaux de langues et des styles narratifs différents. Paul, notamment, a un vocabulaire très soutenu (du fait de son âge), et s’adresse à sa femme dans le coma, usant du discours direct et du « tu ». Riad et Clara sont davantage dans la colère et l’urgence, tandis que les enfants Eddy et Zora se partagent angoisse et peur. Eddy est sympa à suivre, ado en pleine poussée d’hormones qui se retrouve en charge de sa petite sœur dans une quasi-fin du monde, gérant ses propres peurs face à l’inconnu et essayant d’en minimiser l’impact sur sa cadette. On passe d’un point de vue à l’autre, la narration évolue quand plusieurs personnages cohabitent le temps d’un chapitre, c’est fluide et agréable à lire.

Il y a presque 80 pages de mise en place avant que tombe le fameux message qui éclaire la lanterne de nos protagonistes. On entre alors dans la réflexion (et la réaction). Le propos imaginé par l’auteur fera fortement réfléchir les plus jeunes : et si sauver l’avenir, la planète, nécessitait de nous transformer en êtres plus solidaires, plus altruistes, par la force (et ici, la science), puisque nous en sommes incapables de nous-mêmes ? Un groupe de personnes, si bien intentionnées soient-elles, a-t-elle le droit d’en décider pour le monde entier, sous prétexte qu’elle en ales moyens ?
De vrais questionnements qui montreront leur côté obscur par la suite, puisque les financeurs derrière les savants, qu’on devine à leur nom et leur allure pastiches d’Elon Musk et Jeff Bezos, soit pas les plus grands philanthropes du monde... L’usage de l’IA pour déterminer « la meilleure place pour chacun » questionne aussi, et les personnages ne manquent pas de souligner la part du choix, des envies, des passions. Nous ne sommes pas des machines, la vie n’est pas que le travail, nous avons aussi des passions.

La pression es maintenue tout le long par cette nécessité de ne pas céder au sommeil. Le roman se déroule sur 48h, et les moyens sont variés pour lutter : café, boissons énergisantes, quelques drogues (c’est pas bien !). C’est une double lutte qui s’instaure : contre le projet Nouvelle ère du groupe de savants, et contre le sommeil qui signifierait leur victoire. On ressent dans la narration les effets des stimulants, ou leur contrecoup, l’épuisement des personnages, leur crainte de céder, trahi par leur corps.

La fin gravit plusieurs paliers dans la fiction, pour nous placer face au transhumanisme, à l’immortalité grâce aux ordinateurs quantiques. Johan Héliot brûle quelques étapes pour aller jusqu’au bout de son argument et de sa mise en garde en demeurant sous les 300 pages et met un point final à son histoire, grâce à un groupe d’activistes débrouillards et un sacrifice cohérent avec les convictions d’un personnage. Cette terrifiante parenthèse se clôt aussi vite et brusquement qu’elle s’est ouverte.

Ce ne sera peut-être pas le roman jeunesse le plus mémorable du prolifique Johan Héliot, et pourtant tout y est très bien fait : variété des personnages et des points de vue, thématique très actuelle et pluralité des points de vue, véritable réflexion philosophique, le tout dans un thriller qui laisse peu de temps pour souffler et un panel de personnages qui permet à chacun de s’identifier, et à l’auteur d’aborder de nombreuses questions sociétales.
Un message d’alerte (un de plus, hélas) pour la jeunesse quant à l’avenir que les générations précédentes leur laissent, voire leur préparent, et la nécessité pour tous de ne pas se laisser faire.


Titre : Nouvelle ère
Auteur : Johan Héliot
Couverture : Aline Bureau
Éditeur : Seuil Jeunesse
Collection : 9-12 ans
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9791023518351
Prix : 14,90 €



Nicolas Soffray
10 avril 2024


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