« Zeta-1 : Année Zéro » a reçu la Newbery Medal 2022, haute distinction américaine pour un roman jeunesse. Et je pense deviner pourquoi : il brasse plein de bonnes idées et de bons sentiments. Las, en tant qu’adulte, disons-le de suite, je l’ai trouvé extrêmement bancal et mal ficelé.
On part sur un classique de la SF : une catastrophe imminente, une « élite » sélectionnée pour reconstruire ailleurs, des antagonistes qui ne sont pas d’accord. L’autrice nous présente cela dans les premiers chapitres, entremêlant les adieux de Petra à sa tante Lita, conteuse hors pair qui lui a transmis le folklore mexicain, quelques leçons de vie par ses parents, respectueux de la nature, de la diversité, et l’embarquement en catastrophe.
Mon seuil d’incrédulité a déjà été franchi quand les activistes du Collectif envahissent le vaisseau à genre 5 minutes du décollage. Et ce même si j’ai apprécié les voir empêcher de décoller le 3e paquebot, contenant les politiques et les milliardaires. Dès lors, les bons sentiments alternent avec les énormités scénaristiques. Le Moniteur qui veillera sur les enfants en stase ajoute toute sa bibliothèque (l’autrice en profite pour citer ses lectures préférées, tellement peu adaptée à des 10-12 ans) au programme d’apprentissage hypnotique de Petra, qui n’a vu son module « contes du monde » validé. Petra se réveille forcément pour les moments-clés des chamboulements internes, comme la prise de pouvoir du collectif...
Mais bon. Petra et 3 autres enfants sont réveillés à l’arrivée en orbite de Sagan, après 3 siècles de dodo et d’apprentissage hypnotique, qui l’ont rendue aussi savante que ses parents. Passé le premier choc de l’apparence des crevettes et la décision de jouer leur jeu pour s’échapper plus tard, Petra renommée Zeta-1 et les 3 autres Zeta sont envoyés à la surface faire des analyses et prélèvements. La Chancelière envoie aussi Len, une crevette « inutile » comme cobaye, vérifier si l’atmosphère est vivable pour eux.
Le vaisseau dispose de matériel de pointe, c’était prévu, mais les crevettes ont tellement muté qu’elles ne savent pas l’utiliser, et elles doivent utiliser les Terriens pour leurs expériences. Mais elles leur effacent tous leurs souvenirs personnels auparavant.
C’est là que tout devient un grand gloubi-boulga de bonnes idées et de mauvaise écriture.
Sans grande subtilité, Donna Barba Higuera nous recrée donc une société stalinienne où, sous couvert d’égalité, tout est nivelé par le bas, les faibles sont éliminés et le/la dirigeant est autocrate. C’est le risque avec les fanatiques de la table rase du passé, ils oublient que l’Histoire se répète si on l’oublie, et qu’on apprend de ses erreurs pour ne pas les reproduire. Tout cela vient bien sûr s’opposer aux leçons sur la richesse de la différence et la solidarité transmises par les parents Peña. C’est louable, certes, mais tellement gros que c’en est gênant à lire si on a plus de 12 ans.
D’autant que les facilités scénaristiques vont se multiplier : Petra est ultra-mature pour ses 13 ans à peine, on dirait davantage une grande ado dans ses actes comme ses réflexions. Son handicap (ah oui, parce qu’en plus d’être mexicaine, elle a une rétinite pigmentaire : son champ visuel est rétréci et elle voit mal certaines couleurs) est utilisé à 2-3 occasions, pour un suspens d’une page, et régulièrement laissé de côté. L’autrice saupoudre certains passages de termes scientifiques obscurs, mais comme nous sommes en narration interne, Petra nous les explique aussitôt dans sa tête. et enfin, le pire, je crois : tout se déroule en une poignée de jours, dans une urgence inutile et avec des raccourcis qui font ressembler le vaisseau, l’espace et la nouvelle planète à un décor de carton-pâte.
Ah, oui, un mot sur la planète : elle a un « verrou gravitationnel », elle tourne tellement bizarrement que c’est toujours la même face qui est face au soleil, lui-même « pas trop chaud ». Je pense que le moindre amateur d’astronomie doit s’arracher les yeux en lisant la page 159. C’est l’exemple même d’un détail totalement inutile à l’intrigue mais qui fait passer le lecteur pour un simple d’esprit. (et je ne demande pas comment on a détecté cette planète apte à la vie terrienne en 2061). Bien sûr on atterrit toujours au même endroit. Et bien sûr elle est trop petite pour 2 civilisations...
Bref, je cesse de m’étendre la-dessus : l’autrice a semble-t-il perdu de vue son public, le traitant parfois comme un gamin, d’autres fois comme un pré-adulte, et sa narration en pâtit très vite et définitivement.
Parlons des choses plus positives : dans ces quelques jours, Petra tente de réveiller la mémoire des 3 autres enfants, et de les appâter à fuir avec elle avec ses Cuentos, ses contes traditionnels. Je passe là aussi sur le double jeu développé par une gamine de 12-13 ans pour apprécier l’utilisation du folklore mexicain, avec de l’espagnol dans le texte et un jeu pas inintéressant sur le pouvoir de captivation d’une histoire même avec des mots qui nous sont inconnus. Dans ses rêves, Petra est aussi confronté aux contes dans ses souvenirs de sa tante Lita ou du Moniteur Ben, avec un petit côté « Alice au pays des Merveilles ». Et malgré le traitement psychique, des choses vont revenir à la surface, notamment grâce au contact avec leurs affaires personnelles que la jeune fille a retrouvées.
Mais encore une fois, la très courte temporalité du récit rend cela moins crédible.
On s’interrogera aussi sur la traduction du titre The last Cuentista (« la dernière conteuse ») en « Zeta-1 : Année Zéro » assez abscons et à côté de la plaque. D’abord parce qu’il n’y a pas d’année zéro, jamais, et ensuite parce qu’encore une fois, cela dure une semaine. Dans les dernières pages (359), Petra repense à sa tante et au bijou offert, « elle en a l’impression, il y a quelques jours à peine ». Oui, hormis ta sieste de 380 ans, c’était bien il y a quelques jours ! Comment peut-on écrire des énormités pareilles sans en rougir ?
Même en cherchant du positif, je trouve des points d’achoppement. Je ne vais donc pas parler du terrible pathos autour de Javier son petit frère et de l’imprévisible rebondissement qui se produira, de la plante toxique mortelle par simple contact et du défoliant créé en 24h de recherches, des drones à tout faire sauf une analyse de l’air...
Pour apprécier « Zeta-1 : Année Zéro », je pense qu’il faut avoir la même étroitesse visuelle que son héroïne : regarder bien en face et laisser le reste dans le flou. C’est navrant d’écrire, d’éditer et de primer un tel ouvrage, d’accorder si peu de confiance en l’intelligence de son jeune lectorat. Et je suis d’autant plus surpris qu’Hélium en publie la traduction (certes impeccable, signée Valérie Le Plouhinec) sans tiquer sur la piètre qualité du matériau initial, même en le conseillant dès 11 ans...
Bref, une déception à la hauteur des attentes et des promesses.
Titre : Zeta-1 : année zéro (the last cuentista, 2022)
Autrice : Donna Barba Higuera
Traduction de l’anglais (USA) : Valérie Le Plouhinec
Couverture : Romane Granger / Katie Fetchmann
Éditeur : Hélium
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 366
Format (en cm) : 20 x 14,5 x 3
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782330187101
Prix : 17,90 €
En survolant la liste des lauréats de la Newbery Medal, j’ai été surpris d’y voir si peu de noms et de textes qui nous soient parvenus en France : Katherine Applegate, « Nobody Owens » de Neil Gaiman, Louis Sachar pour « Le passage », « Le passeur » de Lois Lowry, Kate DiCamilo... sur les 25 dernières années ! Je ne sais qu’en déduire...