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Pax Automata
Ariel Holzl
L’école des loisirs, Médium+, roman (France), conte fantastique, 343 pages, octobre 2022, 17€

Dans un 1889 uchronique où Napoléon III, victorieux à Sedan, domine l’Europe de l’Ouest, le gaz de cobalt des colonies a permis l’émergence de machines désormais omniprésentes. Mais la Pax Automata impose certaines limites : ces machines ne doivent pas être confondues avec des humains, et elles ne peuvent penser. Leur programme est limité à quelques cartes perforées.
Philémon de Fernay est le meilleur jeune pilote de sa classe de Saint-Cyr, et il va piloter un prototype pour l’inauguration de l’Exposition Universelle, à laquelle l’Empereur a invité sa rivale, la reine anglaise Ada Lovelace. La démonstration se termine mal, il s’écrase dans un pavillon de l’exposition, et il découvre dans les décombres un automate interdit, dont tout le monde veut s’emparer. Cela ressemble fort à un complot pour déclencher une guerre. Dans quel guêpier s’est-il fourré ?



Encore une pépite d’Ariel Holzl. « Pax Automata » est un bijou d’orfèvrerie steampunk, où tous les éléments attendus sont présents et très bien dosés. L’ouvrage ravira les ados, mais un lecture un peu plus expérimenté savourera toutes les références et les détournements de l’auteur.
L’aspect historique est essentiel en uchronie, et sans nous assommer de noms ni de détails, Holzl retranscrit très bien la fin du XIXe siècle, l’euphorie autour de l’Exposition Universelle, il reprend à juste titre les débats enflammés autour de la Tour Eiffel ou l’opéra Garnier. La dimension fantastique liée à la surabondance d’automates et de machines à gaz de cobalt vient recouvrir l’industrie du charbon, mais surtout concurrencer l’électricité. On sourit à ses bonnes idées comme les miroscopes, jeux de miroirs pour se voir à distance mais hélas se parler par ardoises interposées, faute de transmettre le son !

Dans cette Europe aux forces chamboulées, dominée par la France impériale, la reine Victoria a été renversée par Ada Lovelace, pionnière de la programmation et fille de Lord Byron. La course à la technologie est au cœur de l’intrigue et du complot mis au jour par Philémon par accident : l’automate aux traits d’enfant peut en effet désactiver les autres machines, voire les faire exploser. De quoi rebattre les cartes des grandes puissances, si le fer de lance de leurs armées peut être rendu inopérant. On voit d’autres automates courir après notre jeune héros, comme les Jacks anglais, eux aussi à la limite de la Pax Automata. Et la Commune de Paris ayant échouée, réprimée dans le sang par le vainqueur de Sedan, les Communards, menés par Gambetta, sont toujours là vingt ans plus tard et multiplient les attentats contre le régime et ses machines.
Au-delà des noms connus si vous avez été attentifs en cours d’Histoire (et il y en a d’autres : les Luddistes, Grévin...) l’auteur adapte à son univers d’autres références. Jules Ferry est chef de la police secrète et ses « Hussards noirs » ne sont pas instituteurs mais de violents et zélés gardiens de la Pax, la société secrète Aube Dorée, quasi inévitable dans une histoire fin XIXe devient « Aube d’acier »... J’ai beaucoup aimé l’évident clin d’œil à l’excellent comic de Joe Benitez « Lady Mechanika », avec un personnage principal aux membres plein de rouages. Difficile de tout citer, car l’uchronie est le terrain de jeu idéal pour ces allusions, et l’auteur s’en donne à cœur joie.

L’auteur n’oublie pas l’aspect social de cette révolution technique. Les découvertes scientifiques ont toutes été dévoyées, concentrées sur l’effort de guerre. Car même en temps de paix, on se prépare à la guerre. Les effets nocifs du gaz sur la santé, à l’image du charbon, sont fréquemment signalés, et la visite du quartier Montmartre, très ouvrier, fait pendant à cette trop bonne société à laquelle appartient le héros, fils d’un général d’Empire et élève de la prestigieuse Saint-Cyr. Philémon est cependant modeste, loin en deçà de son ami Ferdinand de L’Anse-Dufour, dont la famille a comme son nom l’indique fait fortune avec les îles caraïbes, dans le sucre, le rhum et le cacao. Ferdinand, aussi grand, costaud et fort en gueule que Philémon est maigre et assez timide, endosse le traditionnel rôle du comparse comique, toujours là pour aider, mais parfois rival sur les questions sentimentales.
De fait, les deux garçons se disputent les regard de Zélie, une romani« ciel » experte en automates. Si le peuple romani est ici équipé de roulottes à ballons dirigeables, il n’en reste pas moins une communauté marginale, cantonnée à la périphérie (ils gèrent la Foire du Trône) et fréquemment menacée par la police, car forcément responsable de tous les maux. Au-delà, on notera que tous les personnages féminins sont très forts, depuis les sœurs de Phil aux caractères bien trempés, Zélie libre, indépendante et douée, Elisa qui lui dispute la première place à Saint-Cyr tout en cachant son passé... Même la mère de Ferdinand, puissante veuve qui joue de son charme, sa fortune et son influence, ou la communarde avatar de Casque-d’or à la langue bien pendue, ne se laissent jamais marcher sur les pieds.

Les rebondissements sont très nombreux dans « Pax Automata », et on ne s’ennuie pas une seconde, découvrant ce Paris alternatif, souriant aux déboires de notre maladroit héros dès qu’il s’agit de parler à une fille (qu’il s’agisse de ses sœurs, de Zélie ou de sa rivale Elisa) mais frémissant à son courage et à sa droiture tandis que les événements mettent à rude épreuve sa loyauté envers l’Empire. Ariel Holzl équilibre tout cela finement, et ses 340 pages se dévorent hélas bien trop vite. Et pourtant, on savoure chaque chapitre, chaque découverte, chaque référence à sa juste valeur, on apprécie chaque hypothèse juste esquissée par les personnages et ses conséquences. L’auteur n’appuie pas lourdement chaque question philosophique autour de la robotique, de l’IA en devenir, des contre-pouvoirs, laissant la place aux lecteurs pour les confronter à leurs autres lectures, Isaac Asimov en tête, et à notre monde actuel.

Bref, c’est drôle, prenant, intelligent, et pour ne rien gâter, entre la couverture et les gravures intérieures, c’est un ouvrage magnifique.


Titre : Pax Automata
Auteur : Ariel Holzl
Couverture : Léonard Dupont
Éditeur : L’école des loisirs
Collection : Médium +
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 343
Format (en cm) : 22 x 15 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2022
ISBN : 9782211324564
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
2 mars 2024


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