Pas facile la vie d’un adolescent, et moins facile encore quand on est obligé de suivre un foyer familial qui n’en est pas vraiment un, un foyer sans cesse changeant au gré des tribulations de parents militaires, qui plus est avec une mère férue d’opérations de terrain aux quatre coins du monde. Une mère qui à l’occasion d’une mission ratée pourrait bien être en train de perdre pied, non pas vis-à-vis de son rôle de mère qu’elle n’a jamais vraiment tenu, mais vis-à-vis de son propre monde. Un père lui aussi absent, ou trop dur, trop rigide. Enfance abandonnée, donc, pour Gabriel, au gré de déménagements incessants, au sein d’une famille qui n’en est pas tout à fait une. Un Gabriel abandonné même par sa sœur plutôt douée qui, une fois sa majorité atteinte, a fui le foyer familial pour mener à bien des études le plus loin possible.
Impossible d’avoir des amis quand on change sans cesse de lieu d’habitation, quand on est ballotté de droite et de gauche. Et difficile de s’insérer ici et là, de trouver sa place dans des groupes constitués, souvent fermés, parfois hostiles. Gabriel est invité par une bande d’adolescents pour aller boire quelques bières en forêt. Fréquentables ? Peut-être. Mais peut-être que non. Mais comment résister quand on est seul ? Gabriel se laisse dire que cela pourrait être un traquenard. Il semblerait bien qu’ils lui tendent un piège cruel, un de ces pièges idiots dont les adolescents sont coutumiers. Mais la réalité sera bien pire.
On pourrait en effet difficilement imaginer pire. Un fou, tapi dans les bois, exécute méthodiquement les adolescents au fusil. Seul Gabriel s’en sort. S’enfuit à travers la forêt. Mais le tueur – l’homme en noir – le poursuit et ne se laisse pas semer. À travers bois, à travers les prés, à travers des lotissements en construction, la traque se poursuit, et Gabriel va s’évertuer à sauver sa peau. Il s’en sortira, parviendra à contacter la police – mais malgré la compréhension de l’adjudante Cotlère, les ennuis ne feront que commencer. Les choses ne sont pas toujours ce dont elles ont l’air. Elles sont parfois pires encore. C’est ce que Gabriel et la police apprendront à leurs dépens.
On connaît Sébastien Gendron, qui n’a jamais fait dans la douceur ni dans le conventionnel : on ne s’étonnera donc pas, avec ces adolescents décimés à l’arme de guerre, de le voir placer la barre assez haut. Rien que de très banal, pourtant, si l’on s’intéresse à ce qui se passe régulièrement dans les établissements scolaires d’outre-Atlantique. Et puis, même si rares sont ceux qui voudraient l’avouer, nombreux sont les adultes, jeunes ou moins jeunes, qui, après avoir été la cible des ricanements niais d’une bande de collégiens englués dans les profondeurs de l’âge dit « bête », rêvent non pas de leur en retourner quelques-unes – s’approcher trop près, c’est risquer d’être contaminé par leurs sottise et leur acné purulente – mais de leur dire adieu à travers le réticule d’une lunette de visée en leur faisant méthodiquement exploser le peu de cervelle qu’ils parviennent à faire fonctionner. Les amateurs de psychanalyse verront dans ce doux rêve la concrétisation évidente de leur thèses : de telles scènes fantasmées ne correspondent à rien d’autre qu’au désir de tuer ce qui reste en soi d’adolescence, d’anéantir la bêtise crasse dont on a pu faire preuve au même âge, de revenir sur l’océan d’inepties, parfois irréparables, proférées pour compenser un vide cérébral fort heureusement transitoire pour le plus grand nombre, hélas définitif pour quelques-uns.
Sébastien Gendron – mais qui parmi ses lecteurs s’en étonnera ? – n’y va donc pas de main morte. Pourtant, en aucun cas il ne recherche la facilité. Pas de gore ni d’excès mais, bien au contraire, une véritable réflexion de fond, le tableau d’une adolescence mise à mal, d’une société qui peine à assainir ses marges, d’un monde instable qui, s’il secrète ses propres monstres au niveau local, ne réserve pas un meilleur destin à ceux qui, à tort ou à raison, pensent pouvoir apporter leur contribution en essayant de maintenir l’ordre en dehors des frontières. Sec, épuré, dégraissé, à l’os, « Dans le collimateur » étudie la logique du pire, les mécanismes qui conduisent à l’irréparable, les déterminants de faits divers qui en révèlent bien plus sur l’état du monde et sur les mystères de l’âme humaine que ce à quoi les réduisent les gros titres et les entrefilets. Raide et efficace, tragique, dur et âpre, « Dans le collimateur » est un récit adulte qui pousse à réfléchir. Les amateurs de guimauve ou de romance adolescente, les lecteurs qui s’abîment dans les livres comme les autruches plongent la tête dans le sable passeront donc leur chemin.
_ Titre : Dans le collimateur
Auteur : Sébastien Gendron
Couverture : Pierre Béronie / Jakub Kriz / Unsplash
Éditeur : Pocket Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 208
Format (en cm) : 14 x 22,5
Dépôt légal : janvier 2024
ISBN : 9782266321808
Prix : 16,90 €
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