J’avais été enchanté par « Sorcery of thorns », je ne craignais pas d’être déçu par « Vespertine », la troisième roman de Margaret Rogerson, écrit pendant le confirment de la crise Covid. Plus sombre encore, mois romantique, il tient toutes se promesses.
La trame est classique (ou me semble classique, à force), mais parfaitement tissée. Une héroïne marquée par les épreuves, qui refuse la voie tracée par d’autres, et finalement endosse un destin bien plus mouvementé. Un antagoniste, le confesseur Leander (pourquoi ne pas l’avoir traduit en Léandre ?), suffisamment trouble pour s’interroger tout du long sur son camp. Un allié lui aussi à double face, ce revenant qui la possède, lui accordant de grands pouvoirs mais ne lui disant pas tout, et pouvant la manipuler, au sens propre comme au figuré, s’il le souhaite. Il y a aussi Marguerite, perçue comme l’opposée d’Artemisia au couvent, qu’on découvre solide, débrouillarde et loyale, loin de son apparence de fille jalouse, égoïste et gâtée. Au second rang, des personnages attachants et sincères, le capitaine de la garde, le soldat Charles et son camarade Jean, traumatisé par la bataille, la Mère Dolours forte et sage, qui a cette réplique magnifique : « je n’ai aucune envie de le faire, ce qui d’après mon expérience est le signe le plus clair qu’il faut que je le fasse », sagesse qui sous-tend tout le roman, et la littérature de fantasy en général.
Le monde imaginé par l’autrice rappelle celui de son précédent roman, de très loin. Suite à un rituel mal exécuté par le lointain Roi Corbeau, les fantômes hantent le monde, nécessitant à chaque décès prières, rites et parfois exorcismes. Une partie de la population a la Vision, voit les défunts, et peut donc être formé à les apaiser ou les combattre, avec le risque cependant d’être possédé. Tout cela est clair et cohérent (contrairement à « La Forgeuse d’os », lu récemment), dicte l’intrigue et ses rebondissements, mais aussi des à-côtés émouvants, comme les mains brûlées d’Artemisia, cuisant souvenir de sa possession dans son enfance, ou l’esprit altéré de Jean, colosse de la garde de Bonsaint, semblable à un syndrome de stress post-traumatique.
Comme dans « Sorcery of Thorns », Rogerson se plait à tenter ses héros avec des démons. En absorbant le revenant, Artemisia acquiert une force, une puissance magique capables de miracles, qui font d’elle une héroïne auprès du peuple, une sainte vivante comme la Loraille n’en n’a plus porté depuis longtemps. Pour la jeune nonne qui se destinait à aider son prochain, c’est une formidable opportunité, mais aussi un piège dans lequel elle ne veut pas tomber. Elle refuse de se laisser griser par la célébrité (et le marché de ses pseudo-reliques, très bonne idée historiquement très réaliste, l’y aide beaucoup), mais cette ferveur la porte lorsque ses forces faiblissent.
Le revenant est ambivalent, comme toujours. Sarcastique au début, il se révèle apparemment égoïstement bienveillant (il prend soin de son vaisseau), mais sous son ton bourru et ses piques envers la jeune fille, qu’il appelle « nonne », il finit par révéler quelques failles intéressantes. Artemisia fera la lumière sur son identité, une partie de son histoire, qui expliqueront son attitude jusque dans les dernières pages.
Mais surtout, cette relation possédant-possédé des personnages porteurs de reliques irrigue tout le roman, et le choix des personnages de dominer leur spectre ou de collaborer avec lui, d’obéir aveuglément aux lois de l’Église ou de se risquer à faire un pas de côté, d’être taxé d’hérésie, est le message du roman. D’abord craintive, Artemisia va tout faire pour protéger cet allié, jusqu’à plaider sa cause et sa rédemption.
Deux petits mots aussi sur la magie ancestrale et la magie divine, le glissement de l’un à l’autre après la catastrophe engendrée par le Roi Corbeau. En peu de lignes, l’autrice brosse les liens étroits entre les deux, qu’on s’est efforcé de (faire) oublier, comme une mauvaise réputation. Cela en dit tant, et de manière si simple, sur le renversement apparents des pouvoirs et la naissance du suivant sur les cendres encore chaudes du précédent...
Il y a donc dans « Vespertine » tellement de bonnes choses qu’on est content que l’autrice s’en soit tenue à une intrigue que je qualifiais de « classique ». C’est beau, intelligent, épique, humain et émouvant pour nous serrer le cœur, sombre et magique pour nous faire trembler, tout cela aux bonnes doses, comme on s’y attendait.
Titre : Vespertine (Vespertine, 2021)
Autrice : Margaret Rogerson
Traduction de l’anglais (USA) : Vincent Basset
Couverture : Charlie Bowater
Éditeur : Bragelonne
Collection : Big Bang
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 473
Format (en cm) : 21,5 x 14 x 4
Dépôt légal : juin 2022
ISBN : 9782362316746
Prix : 17,90 €