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Vie Secrète des Ombres (La), tome 1 : Les Eclaireuses
Véronique Beucler
Helium, roman (France), dystopie, 277 pages, octobre 2022, 16,90€

Dans la République des Lilas, homme set femmes vivent séparés, chacun dans sa ville. Les gens ont un double translucide, une ombre (qui remplace la vraie). L’ombre de Louison n’est pas fade comme les autres, mais colorée et vivante. La gamine l’a appelée Pomme, et c’est sa meilleure amie. Quand Louison est en classe, Pomme tente de « réveiller » de leur apathie d’autres ombres, avec peu de succès. Chaque jour qui passe, Pomme parvient à être plus tangible, plus réelle, pour la plus grande joie de Louison.
La fillette, bien embrigadée par le discours officiel, est cependant gourmande de livres d’autrefois, qu’une inconnue lui donne discrètement. Adoptée par l’inconnue, Louison découvre que la République n’est pas aussi douce et protectrice, qu’avant les enfants ne naissaient pas en éprouvette... que les hommes ne sont pas des monstres.
A ses douze ans, Louison est sélectionnée par le Gouvernement pour une mission spéciale, qui va nécessiter qu’elle endure des épreuves et suive un entrainement particulier, particulièrement intense. Elle y perdra ses dernières illusions.



Il y a beaucoup de choses prometteuses dans ce premier tome de « La vie secrète des ombres ». La société partagée, hommes et femmes séparés ; ces ombres, qu’on apprend mouchards de la police, nées d’une découverte scientifique, comme les « colosses », créatures limitées chargées des travaux de force ; ce passé qu’on s’efforce de faire disparaître ; enfin les épreuves de Louison pour cette mystérieuse mission. L’amour du jeune Milan pour Pomme plutôt que Louison. Les luttes d’influence entre Oronce, le Président, Sabio, son mentor et le scientifique découvreur des ombres (et meneur de la rébellion), et Stryckè, l’astrologue du pouvoir.

Mais voilà, force est de constater que malgré de très bonnes idées, une écriture agréable, des chapitres bourrés de bonnes intentions et de message aux jeunes lecteurs, elle ne fait qu’effleurer tous les sujets abordés, et son histoire n’a finalement ni queue ni tête. À mon avis, Véronique Beucler a voulu fusionner « la Déclaration » de Gemma Malley (chez Helium aussi) et « Hunger Games ». Mais le mieux, ou plutôt le trop, est l’ennemi du bien.

La séparation sociale des genres est balayée en quelques lignes, on évoque à peine les violences masculines. Les colosses, sous-humains à la force décuplée, sont mieux traités en fin de volume quand Milan fréquente une famille de travailleurs forestiers. Les ombres, pourtant au coeur de l’intrigue, ne sont pas exemptes d’incohérences : découverte scientifique majeure détournée par le pouvoir, elle ne devrait pas concerner Louison qui n’est pas née en éprouvette. Plus loin, Stryckè, l’astrologue, a réussi à démultiplié son ombre à l’infini... Si il faut attendre les trois quarts du roman pour avoir confirmation que les ombres sont bien « l’âme » des gens, beaucoup de choses restent bancales et nébuleuses. Pomme, exceptionnelle, peut se rendre plus ou moins tangible, assez pour toucher et saisir, pour parler et être entendue, pas suffisamment pour être touchée. C’est à géométrie variable. Enfin, les fameuses épreuves de Louison, qui visent à la priver d’un sens (6 mois sans voir, avec une opération des yeux, 6 mois sans percevoir les odeurs en travaillant en tannerie) ressemblent plus à de la maltraitance (pour la pousser à bout psychologiquement ?) qu’à un entrainement quelconque, que de toute façon la présence de Pomme vient court-circuiter. Le sommet est atteint avec la course entre les 3 finalistes, Louison attaquée par les deux autres ligués contre elle, là encore sauvée par Pomme. Et donc à l’issue de ces épreuves, s’ensuivent 2 ans de formation résumés en 3 chapitres elliptiques, et la révélation d’une mission ubuesque : voyager dans le passé pour chercher des documents utiles au pouvoir. Cela sort presque d’un chapeau, on pense les dirigeants vraiment totalement fous, achevant de nous perdre dans des non-sens scénaristiques toujours plus nombreux.

Les trous dans l’intrigue sont parfois béants, et ce dès le début. Par exemple, Salsifis, la seule ombre que Pomme a pu recruter, parle en argot, parce que l’éducatrice de sa patronne regarde en cachette de vieux films. Comme toutes les maisons sont truffées de mouchards (les ombres y compris) notamment dans les appareils électriques, on s’interroge sur le comment. Plus loin, on découvre opportunément la Nuit des contes, rare moment de l’année où hommes et femmes peuvent se retrouver sans risques... sauf que Louison, à 12 ans, ignorait l’existence de la manifestation qui rassemble toute la population.
Bref, notre seuil d’incrédulité est très fréquemment mis à l’épreuve, quand les artifices de la littérature (la découverte via les yeux de Louison) se heurtent de plein fouet à la logique. Autre exemple avec le personnage de l’astrologue du Président, dont la « science » approximative cohabite avec des découvertes scientifiques bien plus sérieuses comme la séparation des ombres ! Ou les pigeons voyageurs à peine éclos qui retournent là où ils ont été pondus. Enfin, il faut être témoin d’un meurtre pour que Louison brise son endoctrinement vers la page 180, alors qu’elle a vu des rafles, des drones tueurs, subi les pires outrages... et échangé avec des rebelles, hommes et femmes, pendant plus d’un an.

Et pourtant, au milieu de tout ce décor de moins en moins crédible, on suit avec bonheur l’évolution de Pomme, plus lucide parfois que Louison, ombre de plus en plus réelle ; l’amour naissant de Milan, sa découverte des beautés de la nature ; les pitreries orales de Salsifis, on voit monter la révolte, on sent le danger qui plane... J’ai vraiment été emporté par certains aspects, mais atterré par leur traitement superficiel au détriment de rebondissements tape-à-l’oeil.

L’autrice semble avoir confondu complexité et surenchère. On dirait un scénario de série TV américaine, toujours plus inutilement dense, plein de (fausses ?) pistes pour mieux faire oublier la banalité de la trame, noyant les bonnes idées sous les artifices superflus.
Espérons que le tome 2 à paraître, « Mission Versailles », apportera de nombreuses réponses cohérentes, pour assembler ce qui ressemble, pour le moment, à un puzzle aux pièces éparses.


Titre : Les éclaireuses
Série : La vie secrète des ombres, tome 1
Autrice : Véronique Beucler
Couverture : Violaine Leroy
Éditeur : Helium
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 277
Format (en cm) : 22 x 14,5 x 2,5
Dépôt légal : octobre 2022
ISBN : 9782330170240
Prix : 16,90 €



Nicolas Soffray
28 septembre 2023


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