Nous ne ferons pas ici une analyse ni même une lecture détaillée des récits de Maupassant, sur lesquels beaucoup a déjà été écrit. Les éditions Bragelonne ont eu la bonne idée, après une intéressante préface de Noëlle Benhamou, de faire figurer dans ce volume, sous le titre “Le fantastique vu par Maupassant”, un article extrait du journal Le Gaulois du 7 octobre 1885 qui en dit beaucoup. Maupassant y explique que l’on ne croit plus au surnaturel aussi facilement que dans les siècles passés : “Mais quand le doute eut enfin pénétré dans les esprits”, écrit-il en parlant de l’évolution du genre, “l’art est devenu plus subtil. L’écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d’y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l’hésitation, dans l’effarement. ” On trouvera également un constat dans le récit “La Peur” (seconde version) : “Plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l’inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux.” Pour continuer à produire ses effets, le conte doit donc évoluer au fil du temps.
Maupassant est incontestablement l’un des grands maîtres de cette évolution. Si certains de ses contes sont ouvertement fantastiques, d’autres laissent une large part à l’interprétation, mais l’explication alternative, qui ouvre souvent sur les abîmes de l’âme humaine, est rarement plus rassurante – et même souvent moins – que l’acceptation d’un fait surnaturel. Si Maupassant déploie la panoplie du conte fantastique classique, s’il la teinte de macabre, de grotesque, parfois d’exagération, il excelle à y instiller le malaise, faisant passer ses narrateurs – et ses lecteurs – de la contemplation esthétique à la terreur, voire à pire encore.
Une variante sur le thème de l’enterré vif (“Le Tic”), la relique anatomique qui reprend vie (“La Main d’écorché” et sa variante “La Main”), un autre relique et son influence morbidifère (“La Chevelure”), un savant façon Bouvard et Pécuchet confronté aux mystères de la métempsycose (“Le Docteur Héraclius Gloss”, récit sarcastique en trente courts chapitres), le cauchemar macabre d’une maison des suicides (“L’Endormeuse”), les mort sortant de leurs tombeaux pour corriger leurs épitaphes (“La Morte”), les êtres invisibles “ Le Horla”, première et seconde version), la vision poétique se transformant en cauchemar (“La Nuit”), les fait divers abominables narrés avec la « patte » si particulière de Maupassant (“Sur l’eau”, “Le Noyé”), l’anecdote de mœurs à travers le magnétisme organique (“Magnétisme”), les paradis artificiels (“Rêves”), la vie extra-terrestre (“L’Homme de Mars”), la peur lorsque l’inexplicable pointe le bout de son nez (“La Peur”, première et seconde version), une terrifiante histoire de chasse (“Le Loup”), un récit macabre mettant en scène le philosophe Schopenhauer (“Auprès d’un mort”), un conte diabolico-gastronomique (“La légende du Mont Saint-Michel”), la bouleversante image du temps qui passe, inexorablement ( ”Menuet”), un récit d’exorcisme (“Conte de Noël”), un récit à tout jamais mystérieux (“Apparition”), les dangers de l’élégance (“La Mère aux monstres”), la peur d’un fantôme, d’un spectre, la folie l’aliénation, la monomanie, la démence (“Lettre d’un fou”, “Un fou”, “Un fou ?”, “Sur les chats”, “ L’Auberge”, “ Madame Hermet”, “Lui ?”, “ À vendre”, “Un cas de divorce”, “Qui sait ?”). Mais nous ne cherchons ici qu’à donner une idée de la palette de Maupassant : de par leur ambiguïté fondamentale, bien des récits peuvent être rattachés à plusieurs thèmes, entrer dans l’une ou l’autre catégorie.
Ces nouvelles terrifiantes et brèves, qui ont marqué l’époque, sont pour la plupart toujours efficaces, et restent des modèles du genre. Beaucoup oscillent entre explication surnaturelle et psychopathologie. Au lecteur, confronté à l’influence des faits, des idées et des craintes sur la psyché humaine, de choisir l’explication que la terrifiera le moins, qui le mettra le moins mal à l’aise. Qu’il sache que les nouvelles ouvertement non-fantastiques de Maupassant, qu’il trouvera à travers maints autres volumes, sont souvent tout aussi féroces au sujet du genre humain.
Une préface de Noëlle Benhamou, un article de Maupassant lui-même, trente-six contes, des illustrations de Tom Cuzor, un élégant volume relié cartonné, une impression sur papier bouffant crème, un marque-page en tissu : hélas, il manque à cet ouvrage un élément de première importance. L’amateur pointilleux qui voudra rapidement savoir quels textes contient ce bel ouvrage avant d’en faire l’acquisition restera sur sa faim. Le lecteur qui souhaitera relire une nouvelle qui l’aura marqué aura bien du mal à la retrouver. Si l’on trouve en début d’ouvrage mention de six personnes à la tâche sur ce recueil – un directeur, une directrice de la publication, une éditrice, un directeur artistique, une directrice de production, une fabricante – personne n’a semble-t-il eu l’idée d’une table des matières qui fait cruellement défaut. Pourtant, finaliser ce volume n’aurait pas coûté cher ni pris beaucoup de temps : bien moins de dix minutes montre en main, et sans forcer. Les acquéreurs de cet élégant ouvrage n’auront donc pas de table des matières pour vingt euros. Les lecteurs de la Yozone, eux, l’auront ci-dessous gratuitement.
Préface de Noëlle Benhamou p. 5
Le fantastique vu par Maupassant p. 11
La Main d’écorché p. 17
Le Docteur Héraclius Goss p. 27
Sur l’eau p. 95
Magnétisme p. 105
Rêves p. 115
La Peur (première version) p. 119
Le Loup p. 129
Menuet p. 137
La Légende du Mont Saint Michel p. 145
Conte de Noël p. 153
Auprès d’un mort p. 161
Apparition p. 169
La Mère aux monstres p. 181
Denis p. 189
Lui ? p. 201
La Main p. 215
La Chevelure p. 223
Le Tic p. 233
La Peur (seconde version) p. 245
Un fou ? p. 255
À Vendre p. 255
L’Inconnue p. 275
Lettre d’un fou p. 285
Un fou p. 295
Sur les chats p. 305
Un cas de divorce p. 315
L’Auberge p. 325
Le Horla (première version) p. 345
Madame Hermet p. 359
Le Horla (seconde version)
La Morte p. 407
La nuit p. 415
L’Homme de Mars p. 423
Le Noyé p. 435
L’Endormeuse p. 445
Qui sait ? p. 459
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Titre : Récits fantastiques
Auteur : Guy de Maupassant
Couverture et illustrations intérieures : Tom Cuzor
Éditeur : Bragelonne
Collection : Classiques du fantastique
Site Internet : page recueil (site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) : 13,5 x 20
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9791028121181
Prix : 20 €
