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Aventures de Kanako Sawada (les), tome 1 : Terres Sauvages
Lionel Tardy
Favre, roman (Suisse), SF, 374 pages, avril 2023, 21€

Japon post-apo, un siècle après la catastrophe qui a vu la technologie largement régresser et la population mondiale réduite de quelques zéros. Le nouvel Empire assure un peu de stabilité par la dissuasion militaire, mais sorti des grandes villes, c’est le retour à l’ère d’Edo. Des bandes armées rançonnent les villages isolés, y prennent des esclaves. L’armée escorte les caravanes marchandes. C’est dans ce cadre que la jeune et un peu rebelle Kanako Sawada, juste sortie de l’école, fait ses premières armes.



Son capitaine, vieille école et macho, la charge d’une reconnaissance du prochain village-étape avant leur base de destination. Manque (ou coup) de bol, c’est justement ce même jour qu’une bande d’esclavagistes attaque ledit village ! La première partie du roman, « Un nouveau jour se lève », en 160 pages, fait le récit de l’assaut, des choix de la jeune officière, des soutiens qu’elle reçoit... L’auteur nous aura donné à voir auparavant le village de l’intérieur, à travers les yeux d’une fillette qui rêve d’aventures (elle sera servie, toute sa famille va mourir mais l’héroïne va l’adopter), d’une soldate en permission et du second des brigands, un ancien yakuza plus malin que la brute qui mène la bande.
Si ces différents points de vue sont bien gérés, bien écrits, permettent de balayer l’espace, l’état des lieux et nous faire un nécessaire topo historique, la narration n’est pas exempte de faiblesses, de facilités d’exposition. Les militaires ont des mots très tranchés, et les héros sont très entiers, archétypaux. L’auteur répète et fait répéter des tropes à ses personnages, alourdissant une narration en dents de scie. Même l’assaut sur le village a des temps morts. De fait, et passé l’effet d’aubaine des événements, si les recettes du récit d’action sont bien là, on se prend à s’ennuyer, soit parce que cela ne va pas assez vite, soit parce que cela manque cruellement d’enjeux. Les morts ne nous émeuvent pas, noyés dans le happy end de l’adoption de Shina.

Vient ensuite un interlude, « Ronde de nuit », où Kenshin Onoda, le camarade de promo de Kanako, fait son premier service dans un quartier un peu chaud de la ville. Cliché là encore avec son équipier, vieux flic bourru rompu aux us du coin, qu’on devine (et ça se confirme) un peu (beaucoup) corrompu. 70 pages de course-poursuite d’une fratrie de délinquants qui, là encore, sont bien présentés, et on peut s’attacher à la sœur, contrainte de rattraper les bourdes de son frère trop fier et gourmand. La course-poursuite prend un sale tour pour elle, façon “le mal est partout et le pire jamais certain”, et il faut l’intervention de Kanako, rencontrée par hasard dans un resto, pour sauver l’affaire.
De façon peu compréhensible, l’auteur préfère clore son histoire sur Kanako et son petit-ami pas déclaré, dans une scène un peu mièvre, totalement à l’opposé du rythme imposé par la nouvelle. La conversation avec son ami dans le restaurant, censée apporter du lore à cette histoire, était assez lunaire.

Enfin, « Secrets en haute montagne » confirme les qualités et défauts de Lionel Tardy. Cette fois, la jeune officière encadre une mission d’archéologie pré-cataclysme. C’est la joie, elle emmène ses amis et ses collègues moins drôles mais compétents. Mais sur place, les villageois leur signalent que des mercenaires les ont devancés ! L’archéologue est catastrophé, mais Kanako veut éviter un bain de sang inutile et négocie une fouille conjointe du site. Pour faire un break, elle part faire de la rando avec Kumiko, sa sniper qui souffre de la déchéance de sa famille qui a porté préjudice à sa carrière. L’auteur entretient savamment le mystère du détail des faits. Las, nos deux copines se font surprendre par la neige et atteignent un relais d’altitude. C’est le moment des révélations, à cœur ouvert, les grades tombent entre les deux femmes. Et là, oh comme par hasard, elles tombent sur des vieux ordis en état de marche et le journal d’un gars en poste des décennies avant et qui a consciencieusement accompli sa mission de préservation des connaissances de l’Humanité avant la catastrophe. Pour fêter ça, elles redescendent en ski dans la vallée.

Là encore, le récit fait des hauts et des bas. Les scènes de tension sont bien rédigées, et on croit à une bonne partie des personnages quand l’auteur veut bien leur donner de l’épaisseur et des dialogues plus qu’utilitaires. Mais il manque toujours quelque chose pour que la sauce prenne. A moins que ce soit du trop : trop d’exposition, trop de bienveillance... Difficile de faire cadrer le danger des Terres sauvages avec l’attitude ouverte des villageois en dépit de la présence des mercenaires... L’auteur donne la sensation de marcher sur un fil tendu, de régulièrement manquer se casser la figure mais malgré tout, il va au bout de son histoire, cahin-caha, sans trouver son style ni son rythme, déterminé à nous faire comprendre le passé de son univers, dilapidant ses enjeux par trop de facilité. Malgré de bonnes tentatives de-ci de-là, cela manque de subtilité.

Mon ressenti final est donc assez paradoxal : c’est souvent bien écrit, les personnages principaux sont intéressants, c’est parfois palpitant, mais globalement ennuyeux, du fait de la surcharge d’exposition, de lore un peu trop martelé, de personnages secondaires en carton et de choix narratifs à contre-courant de ce que le lecteur attend. Les effets d’aubaine de chaque histoire sont trop gros pour ne pas faire voler en éclats notre seuil d’incrédulité. Si les plus jeunes lecteurs seront sans doute plus indulgents, ils se heurteront à la surabondance de personnages aux patronymes proches, qui justifie bien l’index final.
Si on ressent bien la passion de Lionel Tardy pour le Japon et sa culture, difficile de le suivre dans son perfectionnisme (les suffixes des noms en fonction des grades militaires), surtout mis au service d’histoires un peu faciles. C’est dommage, car la qualité littéraire est souvent là, noyée dans l’excès de bonnes intentions.
On ne peut que lui souhaiter de gagner en clarté et en efficacité pour le prochain volume.

Les illustrations intérieures de Sandrine Pilloud sont très belles, et participent à l’immersion dans ce Japon post-apo sauvage et en ruine. Elles apportent une vraie valeur ajoutée au roman. Au contraire de la couverture, très sombre, finalement assez éloignée de l’ambiance globale du livre.


Titre : Terres sauvages
Série : Les aventures de Kanako Sawada, tome 1
Auteur : Lionel Tardy
Couverture et illustrations intérieures : Sandrine Pilloud
Éditeur : Favre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 364
Format (en cm) : 21 x 14,5 x 2,5
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9782828920432
Prix : 21 €



Nicolas Soffray
4 septembre 2023


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