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Brouillards
Victor Guilbert
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 267 pages, avril 2023, 19,95€

Dans « Douve », nous avions découvert Hugo Boloren, inspecteur de police à Paris. Un jeune homme un peu à part mais qui, avec un père policier et une mère écrivant des livres sur les affaires criminelles, a de qui tenir. Un jeune homme qui ne sait pas mentir et qui a l’impression, face à un problème, d’avoir une bille roulant dans sa tête, une bille cheminant lentement dans des spirales et des circonvolutions invisibles, empruntant d’inexplicables chemins jusqu’au résultat de l’énigme. Dans « Terra Nullius », cette bille semblait avoir disparu, s’être immobilisée dans quelque recoin inconnu de son encéphale. Pourtant, au cours d’une étonnante enquête dans une décharge-monde, camp de réfugiés à ciel ouvert entre la France et la Belgique, cette bille s’était remise à rouler, permettant à Boloren de résoudre une énigme dont la solution échappait à tous.



Un don, donc, mais un don qui n’est pas de tout repos. Trop de tension : Boloren quitte la police. Le voilà devenu zythologue, en d’autres termes spécialiste en bières. Pourtant, rien n’y fait, un fait divers, un article lu dans le journal, et la bille se remet à tourner. Sans compter que les talents de Boloren sont de ceux dont l’État semble avoir du mal à se passer. Aussi, lorsque Marcel Marchand, physionomiste et espion français exerçant outre-Atlantique, se fait dessouder à l’Edmond Theatre de New York, il n’est pas difficile de le convaincre d’aller y faire rouler sa bille.

«  À une époque, New York grouillait des artistes utopistes qui rêvaient d’être le prochain Andy Warhol. Aujourd’hui, c’est peuplé de businessmen qui rêvent de pouvoir en accrocher un chez eux. »

Pourquoi lui précisément ? Parce que la victime aurait griffonné son nom avant de mourir. Parce qu’il n’est pas connu comme espion. Parce qu’un nouveau barman français à l’Edmond Theatre ne devrait surprendre personne. En effet, l’Edmond Theatre ayant autrefois été créé par un mécène français, toute l’équipe, par tradition, demeure française. Une institution locale qui ne survit guère que grâce à sa réputation particulière : elle porterait bonheur, dit-on, aux pièces qui y ont été représentées. Aussi auteurs et metteurs en scène sont-ils prêts à tout pour que leur pièce y soit jouée au moins une fois. Si ce Edmond Théâtre abrite bien des personnages hauts en couleurs – Félix, l’accessoiriste accessoirement fils du consul de France, trisomique mais loin d’être idiot, Lancelot, l’éclairagiste aveugle, William, le janitor afro-américain classieux et perspicace, Tristan, le directeur qui aux yeux de Boloren ressemble à James Bond, Max, son assistante, Tchekhov, leur perroquet alcoolique grand amateur d’Irish coffee, Claire de Riss, une ancienne actrice habitant dans les combles et qui, bien qu’encore vivante, est déjà d’une certaine manière son propre fantôme – il apparaît aussi, avec sa topographie complexe, sa brasserie semi-secrète dans les sous-sols, sa réserve d’accessoires labyrinthique (dans laquelle Boloren est censé retrouver un objet dont on ignore tout caché par Marcel Marchand avant sa mort) et quelques autres particularités, comme un personnage à part entière. Un personnage peut-être déjà mourant, ou à tout le moins en péril : sa réputation de porte-bonheur, le directeur en est bien conscient, ne saurait être éternelle

« Je cherche une aiguille, sans être certain qu’il s’agisse bien d’une aiguille, dans une botte de foin dont les contours ne sont pas nettement déterminés non plus… Le tout dans un brouillard opaque. »

Le défi apparaît à la hauteur des capacités de Boloren et de sa bille intérieure, qui tantôt s’immobilise et tantôt s’affole, et parfois même est portée au rouge de l’ignition interne. L’investigation, il est vrai, se déroule dans des brumes très denses, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré : un brouillard inhabituellement épais envahit New-York. “Les gâteaux cuisent toujours moins vite quand on les regarde à travers la porte du four”, s’émeut un protagoniste. L’image est juste. Tout est là. Mieux vaut parfois attendre que la bille se mette à rouler d’elle-même sans trop s’arc-bouter sur l’incompréhensible. Observer, colliger, noter ce qui semble n’avoir aucune importance, le tout en préparant tant bien que mal des cocktails.

« Les monstres n’ont pas de parure effrayante, parce que nous sommes tous des monstres. Certains un peu plus que d’autres. »

Un attentat dans le métro, des échanges avec sa mère qui perd la mémoire, des recherches dans les archives et le passé de l’Edmond Theatre, des démêlés avec deux agents secrets américains aux surnoms de Merlin et Galapagos, un Consul de France un peu trop présent, des œuvres perdues de Sisley, Monet, Renoir et Pissaro et bien d’autres surprises émaillent ce roman qui séduit par des dialogues légèrement décalés mais qui sonnent juste, par la pertinence du regard, par le goût et le sens de la formule. Une Victor Guilbert’s touch. Un Victor Guilbert qui s’amuse avec une grande figure de la narratologie, celle du fusil de Tchekhov, en faisant passer et repasser les protagonistes devant un fusil alors que le perroquet Tchekhov volète partout alentour, torturant sans cesse le lecteur qui, mystère dans le mystère, s’en émeut : servira, servira pas ?

Et cette affaire, vraisemblable, pas vraisemblable ? Au lecteur de décider après un chapitre final dans la grande tradition du récit policier. Boloren réunit les protagonistes, dont le coupable, et, seul sur scène, finit de démêler l’écheveau. Une fin classique mais une explication astucieuse et inattendue, un poil capillotractée également, ce qui fait aussi partie du genre – l’essentiel du plaisir était dans la quête, dans la découverte des lieux et des personnages. Et dans le fait de suivre Hugo Boloren dans cette troisième aventure, originale et parfaitement formatée à moins de trois cents pages. Le cocktail n’est jamais meilleur que quand il est plaisant, justement dosé et en quantité raisonnable. “Plus que trente-cinq livres et j’arrête”, écrit Victor Guilbert dans la postface. Inutile de le dire : on suivra Hugo Boloren dans ses prochaines aventures.


Titre : Brouillards
Auteur : Victor Guilbert
Couverture : R. Pepin / Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 267
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9782755663556
Prix : 19,95 €



Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Douve » de Victor Guilbert »
- « Terra Nullius » de Victor Guilbert »
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- « Freeman » de Roy Braverman
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- « Le Journal de Claire Cassidy » d’Elly Griffiths
- « Les Sages de Sion » par Hervé Gagnon
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- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
23 avril 2023


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