Il y a des romans qu’on laisse traîner sur sa PAL, pire, qu’on manque oublier dans sa liseuse, et qu’ensuite on regrette de ne pas avoir dévorer tout de suite. A ma décharge, la magnifique couverture de « Mystic Flown » est moins spectaculaire sur la version ePub, au point qu’on pousse un vrai soupir de ravissement l’édition papier en main : Gulfstream a mis le paquet sur la fabrication, avec en plus de la magnifique illustration, du fer à dorer pourpre du plus bel effet, sur la jaquette avec affiche au verso, et sur la couverture en négatif dessous ! C’est presque dommage de le ranger sur une étagère, il mérite une vitrine !
L’autre avantage du papier est que j’aurai sans doute lu davantage la 4e de couverture (toujours un point faible des eBooks) avec la bio de Dana B. Chalys et que mon cerveau aurait tilté que « Mystic Flown » est bien une référence à « Vision d’Escaflowne », soit l’anime de référence qui mêle fantasy et mecha (l’animation a un peu vieilli, le chara design est particulier niveau nasal mais c’est un classique absolu, avec la musique de Yoko Kanno et les chansons de Maaya Sakamoto), et je me serai jeté dessus immédiatement. Les lecteurs du cycle d’Evanégyre de Lionel Davoust savent comme il est rare de trouver des mechas dans les romans. Et c’est bien dommage quand on voit le magnifique résultat dans les deux cas.
Revenons-en au roman. On est dans un univers scolaire, une sorte de passage un peu obligé depuis Harry Potter dans le roman YA (un excellent moyen de concentrer les jeunes au même endroit). L’Université est immense, magique, mêlant plein de trucs, des jardins, des lacs... Le mur d’enceinte donne une illusion de sécurité. Les passages secrets, oubliés des humains mais pas des autres créatures qui les hantent, rajoutent une aura de mystère. Dans la cour, l’armée fait son marché, avec une armure mobile, testant les mages les plus adroits à son pilotage, aussi complexe qu’énergivore.
Très vite, au-delà des petits soucis de chacun, on comprend que l’enjeu en toile de fond, c’est la guerre qui couve, l’équilibre entre les nations ne tenant qu’à la répartition entre ces ARM et surtout leurs pilotes, protégés, voire gardés captifs. Quand on apprend que seul un maître des arcanes peut rivaliser avec une ARM, on mesure à quel point Sadge a une cible sur la tête : vivant, docile, il peut faire pencher la balance ; mort, il maintient le statu quo ou du moins la course aux pilotes.
Pour le jeune homme, traqué depuis son enfance parce qu’en plus il a hérité d’un jeu de cartes particulièrement puissant, c’est trop de pression. Donc, il fuit, il ne reste nulle part, il ne fait confiance à personne, car il sait que tôt ou tard il sera trahi ou vendu. L’université est pour lui une expérience nouvelle, avec une vie au contact d’autres jeunes à problèmes.
Et des problèmes, il y en a. Les esprits chagrins hurleront au wokisme, au catalogue de la diversité. Il est vrai que tout le monde est représenté : Diba a un défaut de pigmentation, d’autres élèves ont des prothèses (pire, elles se les ont faites toutes seules et volontairement, on ouche au transhumanisme), la directrice est en fauteuil et lesbienne, un autre élève qui va les aider est genderfluid... Mais dans une Université si exigeante, si spécifique, on n’est en fait guère étonné de découvrir des jeunes gens si différents, souvent poussés à bout par leurs études et la pression familiale. Le bal de fin d’année sera l’occasion de rencontrer leurs parents et de constater comme l’Université est une Enclave de neutralité, comme le scande la directrice pour s’en convaincre, et le bal le champ de bataille miniature du conflit à venir.
Si on les voit un peu aller en cours, on apprécie de voir les personnages réviser, aller faire des recherches, mais aussi, pour Sadge, travailler tout court pour gagner sa vie, comme un job étudiant, aux Espaces verts de l’école. Le personnage de la jardinière qui le chapeaute, un peu timide, est le plus transparent de tous, il ne vous faudra pas longtemps pour deviner sa véritable identité. Pour Sadge, ce travail manuel, de la terre, est un temps de repos, de décompression, tout comme les moments où il escalade à peu près tous les murs, tant pour renforcer son endurance que pour se hisser loin au-dessus de la foule. Il n’y aura que Diba pour le tirer hors de sa solitude.
Diba est une émotionnelle. Condamnée à mourir jeune, surveillée comme le lait sur le feu, entrainée à dompter, modérer, étouffer ses émotions. Son potentiel est aussi grand que le danger qu’elle représente pour elle et les autres. Elle est dès le départ déterminée à trouver la clé de l’énigme des ARM, pour laisser une trace dans l’Histoire autre que « bombe ambulante », et c’est cette quête qui formera le moteur du récit, Sadge proposant de l’y aider. Mais c’est aussi au contact du maitre des arcanes qu’elle sort elle aussi de sa coquille, accepte le contact des autres, et envisage un autre avenir. Avec l’aide de camarades pluridisciplinaires, le duo va même tenter de fabriquer des inhibiteurs émotionnelles, ouvrant à Diba de nouvelles perspectives.
C’est l’aspect le plus solaire de cette histoire : tous ces êtres plus ou moins cabossés vont s’entraider, de bon ou parfois mauvais gré, pour avancer ensemble et surmonter leurs défauts, leurs handicaps. Tous sont profondément imparfaits (la palme allant à la directrice, une sorte de Dumbledore qui réalise et assume que tout lui échappe), mais cela ne les empêchent pas d’y croire et d’essayer.
Le roman fourmille aussi de scènes d’actions mêlant les codes hollywoodiens et asiatiques, n’hésitant pas à aller aux limites de l’excès (le duel de maîtres-cartes interrompu par Diba) ; des plans méritant un écran de cinéma (les fonds lacustres).
Ils s’équilibrent parfaitement avec les dialogues mordants entre adultes et ados : la directrice ou la commandante se font parfois donneuses de leçons, avec plus ou moins de bonne fortune, car ni Sadge ni Diba n’ont leur langue dans leur poche. Non pas que les adulescents soient buttés, mais leurs aînés ne sont pas les modèles dont ils tiennent à s’inspirer. Sur ce point aussi le roman frappe juste : la colère, la rébellion permanente des jeunes, incompris des adultes, et vice-versa.
Il y a encore mille trucs dont je n’ai pas parlé : le chasseur de primes qui suit Sadge et ses motivations ; les énigmes de l’Université ; la relation que Sadge entretient avec ses Arcanes, qui s’incarnent dans la réalité (mélange de « Pokémon » et « Yu-Gi-Oh » assez réussi), l’origine des ARM... Je vous laisse le découvrir avec d’autant plus de plaisir que vous n’aurez pas à attendre le second tome, paru fin novembre.
Bref, « Mystic Flown » est tout à la fois un roman très contemporain, s’attachant à décrire des jeunes personnages pétris des problématiques sociétales actuelles (soit aux antipodes d’HP où seuls sont stigmatisés les roux et les sang-de-bourbe) et un concentré de l’Imaginaire dont ma génération a été abreuvé par tous les canaux possibles : animes, BD, comics, romans, films... C’est hyper-dense, très réaliste, cela ne ressemble à rien de déjà vu et pourtant tout nous semble familier.
Une pépite, dans un magnifique écrin.
La suite à lire ici.
Titre : Le maitre des Arcanes
Série : Mystic Flown, tome 1/2
Autrice : Dana B. Chalys
Couverture : France Mansiaux, Hypathie Aswang
Éditeur : Gulfstream
Collection : 15+
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 450
Format (en cm) : 22 x 14 x 3
Dépôt légal : mars 2023
ISBN : 9782383491699 / ePub : 9782383491705
Prix : 21,50 € / ePub : 10,99€