Dans son nouveau roman, en deux parties, Carina Rozenfeld mélange habilement les trames classiques d’apprentissage et de romance sur fond de conflit façon « dernier rempart de l’humanité », comme elle l’avait déjà fait avec beaucoup de sensibilité dans « TerreS ».

Alix est une jeune fille sage et discrète. En quelques jours, son avenir bascule du tout au tout. Cela la terrifie d’abord, puis l’attriste, car elle le ressent comme une contrainte, un choix qu’on lui impose, l’obligeant à faire une croix sur ses amis et ses rêves d’avenir.

Sa conception du monde est aussi ébranlée : elle découvre le Voile, une barrière irisée allant et venant au travers du monde, tantôt poreuse, d’où émergent des gargouilles de pierre avides de destruction. Si le motif du Voile n’est pas neuf (citons dernièrement Vic Schwab et Adrien Tomas, mais on pourrait remonter aux plus vieilles histoires de fantômes) comme porte et barrière entre notre monde et un autre, Carina Rozenfeld distille ses spécificités au travers des études menées siècle après siècle par la confrérie, depuis 1209. Ainsi, elle ancre son univers et ses créatures dans l’Histoire, de manière bien plus rationnelle et moins rocambolesque que nombre de thrillers ésotériques bien peu crédibles : les cloches des églises servent à renforcer le Voile, et les gargouilles sculptées sont autant de mises en garde des populations. Enfin, à mesure qu’Alix apprend de ses aînés et explore la Zone Neutre, notre curiosité est aiguisée pour ce monde aux règles radicalement différentes. Beaucoup de mystères à résoudre, peut-être, dans le tome 2, mais d’ores et déjà un monde suffisamment dense et bien construit pour satisfaire les lecteurs les plus blasés par les ingrédients habituels du fantastique.

Je passe rapidement sur les nouvelles amitiés que noue Alix : dans son escouade, il y a forcément le beau gosse un peu plus âgé sur lequel elle craque vite (sera-ce réciproque ?), la fille tatouée, ancienne paumée et lesbienne, très vite sa meilleure amie, et enfin le rouquin pataud, gourmand et gaffeur. Tout le monde s’y retrouve. Finissons avec Noah, le jeune officier, fils d’Isaac, qui incarne la jeune génération et l’autorité.
Narrativement, comme écrit plus haut, on suit une trame classique de révélations et rebondissements. Rien de surprenant, mais cela permet de se concentrer au maximum sur la spécificité de l’univers et le rendu très visuel des choix de l’autrice.

La couverture signée Arsenic & Boule de Gomme est très accrocheuse et donne le ton : les Anges Mécaniques, ces soldats de la confrérie qui luttent contre les gargouilles, ont un équipement un peu spécial. Après des siècles à porter des armures en métal, les voici équipés d’une armure symbiotique, qui se déploie à partir d’une plaque métallique greffée sur leur bras gauche. Tout cela renvoie à des images très imprégnées d’animes, riches en mechas de toutes sorte, d’« Evangelion » à « Escaflowne », ou du côté comics à « Witchblade » ou la combi alien de « Spiderman » et « Venom ». Le tout pour un look angélique tendance exterminateur au mercure.
L’armure génère également une arme, mais Alix semble la seule capable d’en produire plusieurs différentes, ou de s’adapter à la situation, faisant jaillir pointes et piques pour repousser l’ennemi. Elle est aussi la seule à ressentir une sorte de communication avec l’armure, et ce lien qui se crée en elles deux sera au cœur de l’intrigue de ce premier tome. Son origine sera aussi l’objet de questionnements, de remises en cause.

Si l’autrice ne révolutionne rien (à mes yeux de vieux lecteur), elle excelle dans le ciselage d’une fiction jeunesse équilibrée et captivante, elle s’empare à la perfection d’un matériau aux sources contemporaines multiples et offre aux grands ados (et aux vieux ! ^_^) un roman palpitant, pétri de références, jalonnés de problèmes de leur âge tout comme de réflexions plus philosophiques autour de ces thèmes toujours très forts du choix, de l’engagement et du sacrifice.

La suite sort ce printemps, et va se dévorer avec le même grand plaisir.
EDIT : c’est « l’Élue ».

Titre : L’appel
Série : Les anges mécaniques, tome 1/2
Autrice : Carina Rozenfeld
Couverture : atelier Arsenic & Boule de Gomme
Éditeur : Gulfstream
Collection : 13+
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 304
Format (en cm) : 14 x 22 x 2
Dépôt légal : octobre 2022
ISBN : 9782383490227 / ePub : 9782383490593
Prix : 17 € / ePub : 10,99€