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Cirque (Le)
Jonas Karlsson
Actes Sud, Lettres scandinaves, roman (traduit du suédois), 180 pages, novembre 2022, 20€

Le narrateur se laisse convaincre par un ami d’enfance, vu de loin en loin avec les années, de l’accompagner au cirque. Magnus se porte volontaire pour le numéro du prestidigitateur et... disparaît. Sans réapparaître. Tout de même inquiet, le narrateur cherche à retrouver son ami, épie son appartement... quelqu’un l’appelle au téléphone mais ne parle pas, passant de la musique. La musique, sa passion, leur passion partagée pour supporter les brimades scolaires. Peu à peu, il replonge dans ses jeunes années, pour comprendre les racines de leur amitié, et les raisons de leur éloignement, tandis que ses proches semblent froids à l’annonce de la disparition de Magnus.



Jonas Karlsson nous refait, avec le même brio sinon plus, le « coup » du narrateur non fiable déjà utilisé dans « La Pièce ».
On retrouve dans ce récit à la première personne ce narrateur peut-être pas si différent de lui, quadra solitaire, isolé dans une société dont il est facile de se retrouver à l’écart. Le narrateur a une passion, la musique, et une manie, réorganiser ses disques pour trouver une sorte d’ordre parfait, logique, des voisinages artistiques qui le satisfont. Chaque nouveau disque ajouté à sa collection, chaque nouvelle écoute remet bien sûr en cause toute son organisation, balayant les évidences précédentes. A ce titre, « Le Cirque » est aussi un formidable guide musical, une plongée dans les racines du rock des années 80. Quand, au collège, les jeunes se partageaient entre amateurs de hard-rock ou de « synthé », deux clans irréconciliables.

Et c’est autour de la musique que se noue l’étrange amitié du narrateur et de Magnus. Tous deux brimés à l’école y trouvent un refuge, et le premier va être le mentor du second, bien plus malheureux. Le jeune narrateur trouve dans ce rôle de tuteur la force de surmonter le harcèlement des petites brutes de sa classe. Jusqu’à un jour où Magnus le lâche, trahit son amitié, et qu’il décide de le lâcher en retour, distendant leur lien. Et aujourd’hui, de s’interroger sur pourquoi ils continuent à se voir, de loin en loin, si ce n’est au nom d’une vague convention sociale, le temps d’une soirée étrange.

Qui a déjà lu Karlsson sent vite l’anguille sous roche, tandis que les autres relations du narrateur semblent peu émus de la disparition de Magnus, qu’ils n’ont jamais rencontrés ou dont ils ne se souviennent pas. L’un d’eux, Jallo, un peu plus âgé et décrit comme un type mi-débrouillard mi-arnaqueur, trempant dans tous les coups un peu louches pour faire de l’argent, et se prétendant thérapeute, aiguille le narrateur (qui au passage, s’appelle aussi Magnus, comme nous le révèle tardivement l’auteur) vers un lieu perdu en ville, à la recherche d’une réponse à une autre question qu’il ne se pose pas.

Le roman est court, mais l’atmosphère a bien le temps de s’installer, et la lumière de se faire lentement mais sûrement alors que les indices deviennent de plus en plus clairs, les coïncidences trop évidentes pour en être. La révélation arrive chapitre 42, après que le précédent se termine sur une référence explicite à « La Pièce », qui vient confirmer nos hypothèses et nous donner un agréable frisson le long de la colonne. Oui, il nous a promené, tout comme lui s’est aveuglé depuis le début.

Loin d’une redite, « Le Cirque » brosse le portrait émouvant d’un petit garçon mal dans sa peau, traumatisé par une société, par les autres qui refusaient sa différence, son refus ou son incapacité de rentrer dans le moule. Et de l’adulte qu’il est devenu, de ses mécanismes de défense, des illusions dressées pour vivre de son mieux. Derrière le tour de force de nous mener en bateau pendant 150 pages, l’auteur nous entraine dans le décor d’une ville presque fantasmagorique, aux ancrages tantôt solides tantôt flous, à la recherche d’un sens à la vie et d’une définition de la réalité. C’est prenant, ça se dévore d’une traite au au contraire par petits bouts, pour mieux coller à cette quête du mystérieux disparu et ces fréquents retours dans leur passé commun.
Et malgré toute cette tristesse, c’est lumineux et terriblement beau.


Titre : Le Cirque (Cirkus, 2017)
Auteur : Jonas Karlsson
Traduction du suédois (Suède) : Rémi Cassaigne
Couverture : Federico Babina
Éditeur : Actes Sud
Collection : Lettres Scandinaves
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 180
Format (en cm) : 19 x 10 x 1,2
Dépôt légal : novembre 2022
ISBN : 9782330171940
Prix : 20 €



Nicolas Soffray
21 avril 2023


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