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Pincée de Magie (Une), tome 2 : Un Soupçon de Sorcellerie
Michelle Harrison
Seuil jeunesse, roman (Grande-Bretagne), fantasy/fantastique, 416 pages, janvier 2022, 16,50€

Alors que la famille Widdershins cherche à vendre son auberge, les filles recueillent Willow, une gamine trempée et gelée qui dit s’être évadée de l’ïle du Tourment. Peu après, deux gardiens patibulaires débarquent et emmènent Charlie à sa place ! Betty et Fliss, après avoir délivré leur grand-mère, se lancent à son secours, guidées par Willow. Sur leur route, une épave maudite, une pirate impitoyable et une île magique sortie d’un conte, domaine d’une sorcière et de son corbeau...



« Une Pincée de magie » nous demandait quelques efforts, mais à ce prix nous avait emporté dans une époustouflante aventure. « Un Soupçon de sorcellerie » tient les mêmes promesses, et semble presque plus facile à lire.

Je ne redis pas tout le bien que je pense aussi de la couverture de Melissa Castrillon si ? : tout est là, comme des éléments mobiles d’un décor de théâtre, déjà prometteur d’une aventure fabuleuse.

La narration reste centrée sur Betty, la cadette, plus aventurière que sa sœur aînée Felicity, dite Fliss, et plus posée que la benjamine, Charlie, une petite peste débrouillarde.
Dans ce second tome, elles sont à nouveau confrontée à une injustice : Willow et sa mère ont été bannies sur l’île du Tourment car son père est accusé de meurtre et emprisonné. La petite est résolue à prouver son innocence, et pour cela il lui fut retrouver l’homme que son père est accusé d’avoir tué. Pour cela, elle a une carte magique et une pierre trouée, un « Œil de sorcière » qui permet de trouver une cinquième île dans l’archipel, une île cachée, avec un labyrinthe et un trésor...

Mais voilà, la carte a attiré des convoitises, et les deux gardiens qui ont enlevé Charlie par erreur en veulent certainement au trésor. A moins que ce soit au pouvoir de Willow de calmer les feux follets ? Ce qui expliquerait qu’ils se rendent à une vieille épave hantée. Fliss, Betty et Willow les prennent de vitesse et, sur place, avec l’aide contrainte de Crach, un jeune pirate posté en sentinelle, et le pouvoir des poupées gigognes, Betty tente de sauver sa sœur. Las, les pirates débarquent, et c’est Fliss et Willow qu’il faudra sauver !
Sous la menace d’une capitaine pirate avide d’un trésor à la hauteur de ses rêves, les Widdershins partent pour l’île de la sorcière, avec en tête un conte de chez elles, racontant comment trois frères, partis chercher la fortune, ont tour à tour accepté l’épreuve imposée par la magicienne. Betty, s’accrochant à la morale du conte, espère bien qu’elles s’en sortiront...

Il n’y a pas à dire, Michelle Harrison sait ficeler une histoire. Les rebondissements sont nombreux, les dialogues sonnent justes, et les émotions sont intenses. Dès l’arrivée de Willow, c’est la crainte qui domine : celle de se faire arrêter, puis celle de ne plus revoir Charlie, d’échouer à la sauver. Le trajet jusqu’à l’épave, dans des eaux truffés de feux-follets décrits comme des âmes en peine qui hypnotisent les humains qui les écoutent, est une rude épreuve pour les jeunes filles. Régulièrement, une pointe de culpabilité vient les tirailler, mais elles la balaient vite : aurait-il fallu livrer Willow aux gardiens ? Non. C’est contraire à leur bon cœur et cette solidarité qui les anime, entre gens des îles, entre enfants dans un monde d’adultes qui a décidé de règles à leur place. Il n’est pas non plus question longtemps d’abandonner Willow à sa quête désespérée une fois Charlie sauvée.

L’épisode autour de l’épave pirate, se déroulant pour partie de nuit, avec Betty invisible, est passablement angoissant, point d’orgue d’un plan hasardeux aux maigres chances de réussite. La suite, vers l’île de la sorcière, relève davantage du merveilleux, puisque nous suivons le guide du conte, que les filles nous auront raconté en chemin, et dont la morale est simple : les frères trop sûrs d’eux, de leur valeur, ont été punis, le cadet qui montre une richesse du cœur plutôt que l’appât du gain les sauvera. C’est conforme à la propre ligne de conduite des Widdershins, unies dans l’adversité comme dans la joie, mais les tentations proposées par la sorcière sont nombreuses, et les épreuves pour tester leur détermination sont redoutables.
Entre la scène finale d’« Indiana Jones et la dernière croisade » et « Pirates des caraïbes » débarrassé des gesticulations de Jack Sparrow, cette quête pour innocenter le père de Willow déborde de magie, de merveilleux féerique à grand spectacle, le tout à hauteur d’enfant, de grande ado. Sous la menace de la capitaine pirate, Betty s’accroche coûte que coûte à ses certitudes, à la foi en la magie du monde et la véracité des contes. Le contraste entre cette croyance presque enfantine et sa maturité dans sa persévérance à sauver ses sœurs l’avait déjà rendue très attachante dans le volume précédent, et on l’accompagne ici encore avec grand plaisir, soupirant de voir Fliss désespérément pragmatique, incapable de fantaisie. Le fait d’être malade en bateau ne l’aide pas, cela dit. Enfin, Charlie est toujours aussi mignonne, capable du meilleur comme du pire par gentillesse ou naïveté. Toujours à jouer des tours aux adultes, la langue bien pendue, bien trop téméraire pour sa sécurité, elle apporte un peu de légèreté aux passages les plus tendus.

L’aventure se poursuit jusque dans les dernières pages, avant un bref épilogue (un schéma digne de David Gemmell) qui nous permettra de souffler. J’écris régulièrement que la littérature jeunesse n’a rien à envier à l’adulte, mais cette fois j’ai envie de dire que ce « Soupçon de Sorcellerie » est aussi largement supérieur à ce que le cinéma d’aventure dit familial (comme les deux films cités au-dessus) nous propose régulièrement. C’est dense, bourré d’émotions fortes, on tremble vraiment, bien plus souvent qu’on ne rit. L’intrigue recèle quelques surprises agréables, quelques pièges que l’autrice et son héroïne nous ont adroitement tendus en orientant notre façon de voir certaines choses. La dimension jeunesse fond dans la cruauté des méchants (les deux gardiens, la pirate, la société de Crowstone) auxquels les sœurs doivent faire face.
L’autrice expose adroitement les valeurs de ses héroïnes tout comme elle montre aussi leurs failles, leurs faiblesses, et jamais elle ne prend le lecteur, petit ou grand (comme moi) pour un enfant naïf, qu’il faudrait tenir par la main : au contraire, elle le confronte, comme ses personnages, à des choix difficiles.

Commencer l’année par une si belle lecture me ravit. Savoir qu’il reste encore deux volumes à traduire m’emplit encore davantage de frisson de plaisir.


Titre : Un Soupçon de Sorcellerie (a sprinkle of sorcery, 2020)
Série : Une pincée de magie, tome 2/4 ?
Autrice : Michelle Harrison
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Elsa Whyte
Couverture : Melissa Castrillon
Éditeur : Seuil Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 416
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2,5
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9791023512717
Prix : 16,50 €


« Une Pincée de Magie »
« Un Soupçon de Sorcellerie »


Nicolas Soffray
14 janvier 2023


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