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Galaxies n°80 (Nouvelle Série)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Revue, n°80, SF - nouvelles - articles - critiques, novembre 2022, 192 pages, 11€

Plusieurs dossiers : un consacré à l’imaginaire en Ukraine, un autre à Jean-Pierre Vernay et le plus conséquent à l’archéologie et la Science-Fiction.



Ce numéro débute par la nouvelle qui a terminé troisième du Prix Alain Le Bussy 2022, à savoir : “Birth Control” d’Emmanuel Gallant. Dans des centaines d’années, le taux de natalité est en berne, faute d’envie d’avoir des enfants. Aussi un tirage au sort impose à certaines femmes de donner naissance à un bébé. Sacha reçoit le message lui annonçant sa participation au décret Bébé. Pas le choix, elle ne peut s’y dérober. Elle l’accepte à contrecœur mais uniquement à ses conditions... L’auteur trouve un bon angle pour développer son histoire avec Sacha qui refuse l’aide de la technologie, celle qui lui a finalement imposé cette grossesse. Un retour aux sources qui trouve des échos parmi les autres femmes, voyant qu’il existe une autre issue. Une belle nouvelle.

Viktoriya et Patrice Lajoye sont très actifs pour nous faire découvrir les littératures venant de l’Europe de l’est. Comme ils le reconnaissent dans leur présentation de “Chroniques d’Ukraine”, auparavant il n’était pas vraiment fait de distinction entre les auteurs russes et ukrainiens. Les choses ont bien changé depuis : la guerre bien sûr, mais aussi l’emploi de plus en plus important de l’Ukrainien dans les écrits.
Volodymyr Arenev et Mykhaïlo Nazarenko dressent un “Bref aperçu de l’imaginaire ukrainien contemporain”. Beaucoup d’auteurs sont cités, ainsi que de nombreuses œuvres, mais très peu sont connus en France et la grande majorité des livres sont inédits. Il n’est donc pas facile de se raccrocher à quelque chose de connu et j’ai surtout retenu le passage où il est question de prose chimérique qui peut être rapprochée de la fantasy, et peut-être la fausse impression que la SF pure et dure est un peu le parent pauvre de l’imaginaire ukrainien, sentiment renforcé par le texte de Volodymyr Arenev, “Un crayon avec une inscription à demi effacée” qui est assez terne et relève justement de la prose chimérique avec un élément merveilleux opérant la bascule vers l’imaginaire. Pas de quoi soulever l’enthousiasme. On remarquera que le texte date de 2002 et a été traduit du russe.

Dans “Le grand article”, Richard Comballot parle de son amitié avec Jean-Pierre Vernay (1958-2009). Il l’a découvert en tant que fan et, une fois devenu acteur dans le milieu, il a souvent fait appel à lui. Le tableau est vraiment intéressant, car Richard Comballot partage son expérience avec les lecteurs, n’enjolivant pas le portrait, notamment quand il évoque le changement de cap de Jean-Pierre Vernay qui a transformé sa façon de raconter une histoire. Pour lui, il était devenu inconcevable de se contenter de narrer simplement une histoire, sans un gros travail sur le style et l’écriture. Les plus anciens reconnaitront là le leitmotiv du groupe Limite, un collectif d’auteurs qui a écrit le recueil « Malgré le monde ». Perso je n’ai jamais osé m’y lancer... Deux interviews figurent aussi au sommaire, le premier datant de 1987 et le second de 2005. Autant dire que l’expérience Limite est évoquée à maintes reprises. La nouvelle inédite “Et chaque jour, je m’éteins” suit la bibliographie. J’ignore de quand elle date, mais l’écriture est très travaillée avec une histoire qui se découpe en filigrane. Le personnage se remet d’un long coma et est victime de nombreuses absences. Les indices pour comprendre la situation sont disséminés petit à petit, car le narrateur n’est autre que le personnage qui a du mal à retrouver un rythme normal. Le lecteur découvre les divers éléments en même temps que lui. Une expérience de lecture assez étrange, mais stimulante.
Ce dossier sort de l’oubli un auteur aujourd’hui méconnu et donnera peut-être envie de s’y pencher. Son recueil de nouvelles « Fragments de rêve » chez Présence du Futur présente justement l’éventail de ses récits, allant de l’avant à l’après groupe Limite.

La plus grande partie de ce numéro est consacrée au dossier “Archéologie et Science-fiction” dirigé par Julie Morin-Rivat qui fait un travail remarquable. Elle présente très bien la thématique, s’appuyant sur de nombreuses œuvres et puis elle l’illustre à travers deux interviews, celles de Laurent Flutsch et David Anderson. L’interprétation des trouvailles archéologiques s’accompagne d’une part de fiction, car il faut imaginer à quoi servaient les objets trouvés, qui vivait et comment dans les ruines déterrées. Tout est sujet à interprétations. Et que diront les habitants du futur quand ils tomberont sur un des objets de notre époque ? Un nain de jardin sera-t-il vu comme une divinité de notre époque ? Le propos est plein d’intérêt, source de questionnement incessant quant à la perception de notre passé et même de notre futur.
Cinq nouvelles complètent le dossier de manière plus ou moins réussie.
“Labourer le temps” se situe loin dans l’avenir, après la grande catastrophe. Un homme providentiel a permis de sauver l’humanité, du moins c’est ainsi qu’il est présenté. Sous forme d’échanges épistolaires, deux hommes entrouvrent les portes du passé. Même si Adrien Mangold sort du chapeau la capacité de voir le passé d’un des personnages, l’ensemble est cohérent et montre comment l’histoire est souvent réécrite.
Meddy Ligner nous plonge sur une planète où les habitants croulent sous le joug des religieux tout puissants, interprétant tout à leur avantage et pour leur seul bénéfice. Un savant a été exilé dans le désert, bientôt rejoint par un jeune homme dont la famille s’est débarrassée pour avoir une bouche de moins à nourrir. Ensemble ils creusent, mettant à jour une ancienne cité. “En quête de la géante pourpre” montre comment ces fouilles permettent d’expliquer un phénomène récent, la soif de connaissances qui anime certains s’élevant contre un ordre établi, ramenant à une période d’obscurantisme. Un texte bien tourné et au propos intelligent.
L’écriture de Julia Richard est d’une grande lourdeur (est-ce un effet de style ?), ce qui dessert “Et enfin, rétablir le dialogue”. En effet, il n’est pas immédiat de comprendre que des êtres venus d’ailleurs atterrissent sur notre planète n’abritant plus que des vestiges et des cadavres. Qui sont-ils vraiment ? Le début n’est pas clair et la suite n’est guère plus convaincante, même la fin tombe à plat. Tout est interprété à l’aune de la religion des visiteurs, voyant des incantations dans des tags injurieux. L’idée est bonne, mais le traitement ne suit vraiment pas.
Feldrik Rivat semble faire un clin d’œil aux milliardaires se lançant dans des projets fous à leur seul bénéfice. “Le technicien” détruit les vestiges du passé, afin d’en retirer la moindre information. Le concept est intéressant et pose un cas de conscience : est-ce acceptable de détruire pour accéder à la connaissance ?
Revivre le passé peut s’avérer traumatisant, surtout quand il s’agit d’identifier les cadavres d’un charnier. Roznarho (pseudo de Julie Morin-Privat) met en avant une technologie future d’investigation pour une meilleure compréhension des découvertes. Un peu confus, mais suffisamment choc pour que “Cimetière social” fonctionne.

À ce menu déjà conséquent se rajoutent les chroniques de quelques séries télé, du jeu de rôle “The Morrow Project”, de livres et des sorties ciné des deux derniers mois.

Un numéro de « Galaxies » conséquent avec vraiment beaucoup de choses au sommaire. Deux courts dossiers, l’un sur la SF en Ukraine et l’autre sur Jean-Pierre Vernay. Et point d’orgue, celui sur l’archéologie et la Science-fiction très bien mené par Julie Morin-Privat qui présente parfaitement la thématique et l’illustre très bien, que ce soit au travers des œuvres citées, des interviews ou encore du choix des nouvelles. Un « Galaxies » solide et efficace.


Titre : Galaxies Nouvelle Série
Numéro : 80 (122 dans l’ancienne numérotation)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Couverture : Nele Diel
Traducteurs : Viktoriya et Patrice Lajoye pour l’article et la nouvelle du dossier “Chroniques d’Ukraine”
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Galaxies
Dépôt légal : novembre 2022
ISSN : 1270-2382
N° ISBN : 9782376251682
Dimensions (en cm) : 13,5 x 21
Pages : 192
Prix : 11 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
4 janvier 2023


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